«A ce jour, il n’y a que des ballons d’essais pour le projet du Budget de l’Etat 2018. Il n’y a aucun document officiel définitif», a déclaré l’expert économique Ezzeddine Saïdane sur le plateau de Myriam Belkhadhi, lundi 2 septembre.

M. Saïdane déplore une approche «amateuriste» s’agissant du projet de loi des finances. Nous en sommes encore à la logique des informations distillées à petites doses pour savoir si elles vont être tolérées ou pas pour pouvoir ensuite calculer la marge de manœuvre.

Le budget de l’Etat représente le tiers de l’économie tunisienne

«C’est une mauvaise approche. En principe, le programme du gouvernement aurait dû être finalisé au mois d’août, soumis aux partenaires sociaux et aux partis et ensuite proposé à l’ARP. Le budget de l’Etat représente le tiers de l’économie tunisienne. Il doit en principe refléter la politique du gouvernement et ses orientations socio-économiques.

les dépenses de l’Etat augmentent de 12% par an et la dette de 14%

Depuis 2011, nous n’avons pas réalisé de croissance. S’il n’y a pas un taux de croissance positif qui puisse renflouer les caisses de l’Etat et renforcer son budget alors que les dépenses de l’Etat augmentent de 12% chaque année, les conséquences sont l’aggravation de la dette publique. Une dette qui a annuellement progressé de 14%.

En 2010, le budget de l’Etat était de 18 milliards de dinars, aujourd’hui nous parlons de 35 et peut-être même de 36 milliards de dinars. Mais qu’en avons-nous fait? Le budget doit illustrer l’équilibre entre les dépenses de l’Etat et ses revenus. Et en principe, le déficit du budget ne doit pas dépasser les 3%, ce qui représente une ligne rouge et nous l’avons dépassé de loin. Nous vivons un déficit de l’ordre de 7 à 8% depuis près de 7 ans, ce qui est inadmissible».

Il y aurait d’ores et déjà une unanimité de la part de toutes les parties concernées pour récuser le projet du budget de l’Etat car le gouvernement n’aurait pas été assez franc quant à la réalité du pays. Soit une situation catastrophique.

Avons-nous fait le bon diagnostic pour trouver les bonnes solutions? 

A ce jour ce n’est pas le cas. Il s’agit avant tout de susciter une dynamique de croissance économique qui permette de mettre fin au déficit à travers la création de richesses et de postes d’emplois. Aucune politique ou vision à ce propos jusqu’à présent.

Ce qui est très grave, estime M. Saïdane, c’est que le destin de la Tunisie tient à ce jour à une décision qui sera prise au siège du FMI à Washington DC. Si le FMI n’avait pas débloqué la deuxième partie du prêt accordé à la Tunisie en juin 2017, pour des raisons politiques, notre pays ne serait pas autant asphyxié par les dettes extérieures.

«Ce déblocage a ouvert grandes les portes aux autres bailleurs de fonds internationaux pour accorder d’autres prêts à la Tunisie et aggraver le montant de sa dette extérieure. Dans l’attente, la Tunisie a usé de son droit à avoir un prêt pour des raisons politiques auprès du FMI, et on ne peut le faire qu’une seule fois et nous ne savons pas ce qu’il adviendra de la troisième tranche du prêt du FMI qui, en principe, devrait être libérée au mois d’octobre 2017. C’est le rapport de la nouvelle commission du Fonds qui viendra dans les prochains jours en Tunisie qui scellera notre sort».

Les rapports précédents ont été très mauvais pour notre pays. «Le FMI n’a même pas usé du langage diplomatique pour parler de la Tunisie, ce qui est en quelque sorte une atteinte à notre souveraineté nationale».

L’orientation suivie dans le projet du budget de l’Etat serait erronée, d’après Ezzeddine Saïdane pour qui, ce projet marginalise une part importante et qui se rapporte aux dépenses de l’Etat qu’il n’aborde pas de manière claire et met la pression sur l’investissement public à savoir le titre II qui constitue le seul moyen de relancer l’économie et de créer de l’emploi. Dans le même temps, on ose parler de croissance !

Comment avoir de la croissance sans investissements publics ?

Si on applique les mesures annoncées à ce jour, nous pouvons dire qu’elles seront les clous qu’on enfoncera dans le cercueil de l’entreprise tunisienne

Par ailleurs, on parle de l’augmentation de la pression fiscale sur les particuliers et les entreprises alors que notre secteur privé perd de plus en plus de ses capacités compétitives. «Si on applique les mesures annoncées à ce jour, nous pouvons dire qu’elles seront les clous qu’on enfoncera dans le cercueil de l’entreprise tunisienne, elles réduiront également considérablement le pouvoir d’achat du citoyen. Ce pouvoir d’achat qui a régressé de 25% depuis 2011. Si nous continuons sur cette lancée, il reculera à 29% et bloquera tout espoir de relance économique».

La solution ?

Pour sauver l’économie de la Tunisie il faut avant tout maîtriser les dépenses publiques

Elle ne réside certainement pas dans les leurres ou les diagnostics erronés, estime l’expert. C’est en faisant le bon diagnostic pour mettre en place une stratégie de sauvetage valable. Une stratégie autour de laquelle doivent s’accorder toutes les parties prenantes: «Si nous voulons sauver notre économie et notre pays, il n’y a pas 36.000 solutions, il s’agit avant tout de maîtriser les dépenses publiques, c’est la seule voie. Autrement, rien ne sera résolu et nous achèverons une économie d’ores et déjà en situation de détresse, sans parler de la nécessité d’assainir les entreprises publiques à l’origine d’une hémorragie sans pareille des finances publiques».

Dans l’attente, les points de vue à propos du projet du budget de l’Etat diffèrent d’une partie à l’autre. L’UGTT a estimé qu’elle ne peut pas se prononcer à propos d’un projet de loi des finances qui n’est pas définitif.

L’élargissement des bases d’IMPOSITION à l’ensemble des activités et des catégories socioprofessionnelles, sans exclusives ni privilèges, est indispensable

Pour l’UTICA, «il s’agit de maîtriser les dépenses publiques compte tenu des ressources que le fonctionnement normal de l’économie peut générer, et c’est la relance de l’économie qui générera plus de recettes, ce qui autorisera plus de dépenses publiques. La recherche d’augmentation des rentrées fiscales par la hausse des taux est contre productive; elle est à exclure. L’élargissement des bases d’imposition à l’ensemble des activités et des catégories socioprofessionnelles, sans exclusives ni privilèges, est indispensable. Il en est de même pour la TVA, un élargissement de l’assiette imposable est préférable à une augmentation des taux.

La restructuration financière des entreprises publiques constitue une voie pour soulager le budget de leurs considérables déficits, et également de procurer des recettes nouvelles. Il n’y pas de schémas uniques, mais plutôt du cas par cas».

Précisons dans ce cadre que la dernière mouture sera proposée jeudi prochain aux signataires du Pacte de Carthage.

Amel Belhadj Ali