La Banque centrale de Tunisie (BCT), à la faveur de son deuxième programme de jumelage avec la Banque de France, a pu, grâce au transfert d’expertise, moderniser le cadre opérationnel de ses interventions. La BCT se donne désormais les moyens de sa politique monétaire.

Vendredi 5 courant, la BCT et la Banque de France ont organisé un séminaire conjoint pour célébrer la clôture du deuxième programme de jumelage entre les deux institutions.

Mohamed Salah Souilem, DG à la BCT et responsable du projet pour la Tunisie, et son homologue français, Alain Duchateau, en présence du gouverneur de la BCT et de la représentante de l’UE, ont exposé le programme dans toutes ses composantes technique et financière. Les deux responsables ont parlé d’un véritable transfert d’expertise.

Tout comme le premier, ce jumelage a duré deux ans, de mai 2015 à mai 2017, et a été financé par la Commission européenne, avec un budget de 745.000 euros, soit la contrevaleur de près de 2 millions de dinars tunisiens.

Rappelons que le premier jumelage, qui a eu lieu de 2011 à 2013, avait pour but de procurer à la BCT la capacité de prévision de l’inflation et de la croissance sur un horizon de trois ans. Le second, pour sa part, portait sur la modernisation aux meilleurs standards européens -étant donné la participation active, à ce deuxième programme, d’experts des Banques centrales d’Angleterre et d’Espagne notamment-, à la modernisation du cadre opérationnel de la politique monétaire de la BCT. Donc, la BCT est ainsi outillée pour anticiper les tendances de l’inflation, les prévisions de croissance et peut adapter, en conséquence, le volume de liquidités pour optimiser la masse monétaire qui sera en circulation avec un taux d’intérêt adéquat.

Désormais elle dispose de l’expertise nécessaire pour intervenir efficacement sur le marché interbancaire avec des instruments affinés. Le but étant de transmettre l’impulsion de la politique monétaire à l’activité économique.

Ce plan de modernisation a été accompagné de la circulaire 17-2 adressée aux banques de la place. Elle leur précise le manuel des opérations sur le marché monétaire à la lumière du cadre rénové.

Les grands principes de la politique monétaire

Est-il besoin de rappeler que la mission première d’une Banque centrale est de protéger la valeur de la monnaie nationale. A l’issue des deux plans de jumelage, la BCT a structuré le marché monétaire interbancaire de sorte qu’il soit le plus liquide, profond et transparent. De la sorte, la BCT est à même de calculer son taux directeur, principal instrument de politique monétaire, qui soit le plus proche possible des conditions réelles du marché. Et, nouveauté supplémentaire, ce taux sera proposé par le Conseil d’administration de la Banque pour plus de transparence et de liquidité.

Le marché monétaire interbancaire est de ce fait réorganisé pour que les banques intervenantes soient en adéquation de standing. Elles seront au nombre de 15 environ à opérer directement. Ce sont celles qui répondent le mieux aux conditions prudentielles.

La BCT a ce souci d’éligibilité des contreparties afin de minimiser le risque de défaut. Cette condition assure, par ailleurs, la situation d’atomicité du marché pour ne pas favoriser les banques disposant d’une trésorerie saine et excédentaire au détriment des banques illiquides. Ces dernières traiteront directement avec la BCT, qui dispose à la faveur de la nouvelle loi bancaire 2016-35 du statut de prêteur en dernier ressort. Les banques illiquides pourront reconstituer leur trésorerie sans avoir à désaxer le marché.

En l’absence de facteurs de déséquilibre, donc sans soubresauts et sans grands écarts, les tensions de surliquidité et de sous-liquidité auront peu d’incidence sur le marché et maintiendront le taux interbancaire sur une tendance prévisible.

Cette reconfiguration du marché a commencé à prendre forme dès septembre 2016, avec la naissance du TUNIMAF, la nouvelle dénomination du marché interbancaire, ainsi que le lancement à cette date d’un nouvel indice de place le TUNIBOR. Ce taux est obtenu par fixing en fin de matinée par simple calcul de moyenne arithmétique, des taux de rémunération de dépôts, par les banques de la place. Ce taux synthétique doit donner plus de cohérence et plus de concurrence au marché.

Les moyens matériels de la politique monétaire

Plusieurs instruments existent: on parle en l’occurrence d’un Tool kit ou d’un tool box, soit un kit d’outils ou boîte à outils, pour que la BCT agisse sur les flux de liquidité des banques. L’outil classique étant celui de la réserve obligatoire. A l’heure actuelle, il est de 1%, ce qui est un niveau bas et donc avantageux pour améliorer la trésorerie des banques.

Le second est celui des opérations de refinancement. Il comprend notamment les opérations principales de refinancement. Celles-ci concernent les opérations par lesquelles les banques intervenant sur le marché peuvent soit placer leur excédent de liquidité ou emprunter au jour le jour. A l’avenir, les banques présenteront tous les mouvements de trésorerie le matin à la BCT, non plus par téléphone mais via les système de Reuter’s Dealing ou Bloomberg, selon le nouveau SED (Système d’Echange électronique de données) de la BCT. Et elles s’interdiront d’opérer au-delà de midi les gros virements de sorte à ne pas perturber le marché pour garder leur position de trésorerie.

A l’appui de leurs offres/demandes, les banquiers respecteront un Catalogue des Actifs Eligibles au Refinancement (CAER). Le critère ici étant la valeur de négociabilité des actifs. Pour le moment les bons du trésor sont favoris. La signature du trésor étant bien entendu la première qualité de risque.

Cela veut-il dire pour autant que la BCT fait marcher la planche à billets? Oui et non. C’est une soupape de trésorerie pour l’Etat, cela ne fait pas de doute. Cela s’apparente davantage à une titrisation de la dette publique qu’à une création monétaire pure et simple.

Pour l’anecdote, on rappelle que les grands mouvements de trésorerie sont rythmés de manière cyclique. La première quinzaine du mois est une période d’afflux de dépôts. La seconde est une période de retrait. Cela semble corrélé au versement des salaires.

Au plan saisonnier, l’été et les fêtes religieuses sont des périodes de retrait, également. Il se trouve qu’en toutes circonstances, l’appel de liquidité a été satisfait à hauteur de 99%. La finalité de la modernisation du cadre opérationnel est de pouvoir calibrer la liquidité du système de paiement dans son ensemble et de calculer des taux d’intérêt les plus proches possibles de la réalité de l’activité économique.

Décrocher du TMM

La perspective qui s’offre à la place est de décrocher, à horizon raisonnable, la facturation des crédits du TMM, qui n’est qu’un instrument de gestion de court terme.

Mohamed Salah Souilem et Alain Duchateau considèrent que le succès de l’opération de jumelage actuelle se manifeste au niveau de la liquidité et de la transparence du marché. Il faudra travailleur à lui donner plus de volume, donc de profondeur. Un plan de développement des créances négociables est déjà disponible.

Parmi les actions qui peuvent y contribuer, tous deux ont cité la gestion active de la trésorerie de l’Etat. Et en deuxième lieu, la contribution à une dynamisation du marché secondaire des titres obligataires.

La BCT offre une courbe des taux d’intérêt monétaire, il est temps d’aider à la création d’une courbe des taux obligataires. Cette hiérarchie donnera toute sa cohérence à l’allocation optimale des ressources. Toutefois, la maîtrise de l’inflation ne prendra tout son sens que si l’on se fixe un objectif précis. La Banque centrale européenne est liée par un taux inférieur à 2% tel que stipulé par le Pacte de stabilité de l’UE. Pareille contrainte n’existe pas en Tunisie, à l’heure actuelle. Il faudra y venir.