Habib Malouche : Mon histoire avec l’affaire BFT

Premier Tunisien à avoir endossé l’habit de l’arbitre commercial, Habib Malouche, raconte dans quelles circonstances il a eu à travailler sur l’épineux dossier du litige opposant l’Etat tunisien à la société ABCI au sujet de la Banque Franco-Tunisienne (BFT).

WMC : Vous avez eu à arbitrer dans le dossier du litige opposant l’Etat tunisien à la société ABCI au sujet de la Banque Franco-Tunisienne (BFT). Dans quelles conditions cela s’est-il fait?

Habib Malouche : J’ai arbitré dans ce dossier en 1985 ou en 1986. En 1981, il y a eu une augmentation du capital da BFT qui était alors (et est toujours, ndlr) sous le contrôle de la Société Tunisienne de Banque (STB). Cette banque n’ayant pas voulu participer à l’opération d’augmentation du capital, on a été cherché un investisseur étranger. C’est un ministre de l’époque qui a pris contact à Paris avec ABCI. Cette dernière a participé à l’augmentation du capital, et est devenue majoritaire, mais n’a eu droit malgré cela qu’à un seul siège d’administrateur sur douze.

En outre, il y a eu blocage de la vente en bourse par la Banque centrale. Et au lieu d’être domicilié à la BFT l’argent versé par ABCI avait été placé sur le marché monétaire et les intérêts versés à la STB pendant quatre ou cinq ans.

Ce n’est qu’avec l’avènement du gouvernement de Mohamed Mzali, si mes souvenirs sont bons, et à la faveur d’une intervention saoudienne –parce que la société ABCI était entre autre saoudienne avec un président tunisien- que les actions ont été remises à ABCI.

Après avoir pris le contrôle de la BFT, l’actionnaire majoritaire de cette banque a demandé à bénéficier des intérêts de l’argent qu’elle avait versé et qui avait été placé sur le marché monétaire. D’où la demande d’arbitrage.

ABCI a nommé comme arbitre le Professeur Schaeffer doyen de la faculté de droit de Paris, la BFT a désigné l’avocat du Contentieux de l’Etat. La Chambre de Commerce International a dit que le meilleur président pour le tribunal arbitral est Habib Malouche. C’est ainsi qu’on m’a demandé d’être président.

Etant fonctionnaire, j’ai demandé les autorisations nécessaires au gouverneur de la Banque centrale et au président de l’APB.

Nous avons effectué l’arbitrage et rendu une sentence à l’unanimité. A l’époque, la STB avait estimé que l’argent aurait dû être déposé à la Banque Franco-Tunisienne mais que les intérêts ne devaient pas aller à la BFT et demandé l’application du droit tunisien qui stipule que lorsqu’on créé une société on dépose les souscriptions et celles-ci ne produisent pas d’intérêt jusqu’à la constitution de l’assemblée générale. C’était ridicule. C’était une position qui avait été jugée inapte par le tribunal parce qu’il ne s’agit pas d’une société nouvelle. Il s’agit de vente et d’achat d’actions d’une banque existant depuis des dizaines d’années.

La sentence prononcée a été signée par la Cour de la CCI. ABCI a alors demandé l’exequatur auprès du Tribunal de grande instance de Paris et de la Cour d’Appel de Tunis. La réaction des autorités n’a pas tardé.

Lors d’une cérémonie au siège de l’APB, le gouverneur de la BCT m’a dit: «en tant qu’arbitre international on ne peut rien contre vous, mais en tant que fonctionnaire de l’Etat c’est terminé». Pourtant, le président venait de me renouveler mon contrat de délégué général de l’APB pour cinq ans. J’ai donc pris mes cartons et suis parti.

Avez-vous subi d’autres sanctions ?

J’ai écrit au président de la République (Zine El Abidine Ben Ali, ndlr) pour lui expliquer en quoi consiste l’arbitrage et qu’une fois la sentence prononcée rien n’empêche la présidence de la République de créer une commission de conciliation pour amener ABCI à composition. Le Président m’a fait dire que je devais rester à mon poste. Mais comment est-ce que je pouvais rester? Est-ce j’allais me plaindre tous les jours auprès de lui?

Les autorités n’ont pas voulu exécuter la sentence. Mais par la suite la Cour de cassation a tout balayé (en accordant, après le 14 janvier 2011, l’amnistie à Abdelmajid Bouden, ancien président d’ABCI et affirmé haut et fort que dans cette affaire la justice tunisienne avait été instrumentalisé par l’exécutif, pour spolier cette société de son droit, ndlr).

L’Etat tunisien veut contrôler l’arbitrage, mais une fois condamné il cherche par tous les moyens d’éviter l’exécution de la sentence.

Propos recueillis par Moncef Mahroug