L’économie d’aujourd’hui et de demain n’est pas seulement fondée sur le savoir, elle est également celle où toutes les activités, tous secteurs confondus, évoluent dans une dynamique constructive, progressiste et harmonieuse. Le développement économique est tout autant à fonder sur le secteur des assurances qui réalise 6 à 7% du PIB de nombre de pays au monde et au cœur de la dynamique économique mondiale.

Le secteur des assurances peut offrir de grandes possibilités de croissance en concourant aux financements publics et en participant au développement du tissu entrepreneurial.

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Président de la FTUSA et PDG de la STAR

Lassad Zarrouk, PDG de STAR Assurances et président de FTUSA (Fédération tunisienne des sociétés d’assurances), est “monsieur Assurance de la Tunisie“. Plus que ses hautes compétences reconnues sur la scène socioéconomique nationale, sa grande capacité à gérer les crises et les situations difficiles n’est pas à démontrer, la zen attitude est une aptitude à anticiper les événements suivant une logique implacable et un pragmatisme à toute épreuve.

Entretien

WMC : Le pays est en crise, c’est une vérité de La Palisse. Comment réagit le secteur des assurances par rapport à cela?

Lassad Zarrouk : Généralement et en matière de culture référentielle, les périodes d’instabilité favorisent le secteur des assurances. Parce que l’intérêt accordé par les ménages, les particuliers et les entreprises aux assureurs augmente. En Tunisie, le secteur des assurances n’est pas très développé, nous sommes à moins de 2% de taux de pénétration au niveau du PIB, alors que la moyenne internationale est de 7%. Nous sommes par conséquent assez loin de la moyenne internationale mais aussi régionale puisque certains pays de la région réalisent le double ou un peu plus que la Tunisie en la matière.

Ceci étant dit, le secteur des assurances a, depuis 2011, réalisé des augmentations de 6 à 8% annuellement, donc 2 à 3% que la croissance économique. Le problème reste que certains produits ne décollent pas, nous nous limitons à la structure de portefeuille classique et à la couverture des risques traditionnels.

« Tant que nous n’aurons pas assaini la branche automobile, l’image de tout le secteur en souffrira ».

L’assurance-vie ne décolle pas et reste toujours liée à l’activité bancaire; l’automobile domine toujours le secteur, et lorsque ce produit à lui seul est celui qui «introduit» le consommateur tunisien dans le secteur des assurances, ce n’est pas la meilleure des choses.

Tant que nous n’aurons pas assaini la branche automobile, l’image de tout le secteur en souffrira. Par conséquent, nous avons adopté toute une stratégie depuis 2014 adossée à un plan d’action sur les cinq prochaines années. Notre objectif est de conclure avec l’Etat un contrat-programme comme c’est le cas pour nombre d’autres pays.

Nous ambitionnons d’assainir tout d’abord la qualité du relationnel existant aujourd’hui, d’améliorer la qualité des prestations dans la branche automobile et développer et promouvoir l’assurance dans toutes ses dimensions, y compris celle de l’assurance-vie, celle des PME/PMI et les microentreprises qui possèdent un grand potentiel.

« Mais là où le bât blesse, c’est que de part et d’autre, aussi bien en matière d’offres que de demandes, il n’y a pas d’échanges sérieux et efficients pour développer notre secteur ».

Mais là où le bât blesse, c’est que de part et d’autre, aussi bien en matière d’offres que de demandes, il n’y a pas d’échanges sérieux et efficients pour développer notre secteur.

Le contrat-programme à travers lequel nous avons interpellé les autorités publiques non pas à déployer plus d’efforts mais pour plus de visibilité à travers une vision globale qui pourrait nous faciliter le défrichage du terrain, assouplir la réglementation et mettre en place un cadre législatif et procédural qui boosterait le secteur.

Les compagnies d’assurance pourraient ainsi élargir leur champ d’intervention, ce qui mènerait à un exercice plus performant de notre métier et qui nous permettrait de satisfaire nos différents types de clientèle (particuliers, ménages et entreprises) et surtout générer de l’épargne qui est un axe de croissance énorme.

Pourquoi l’épargne …des assurances revêt-elle autant d’importance?

Lorsque nous voyons les régimes de retraite, j’estime qu’il y a des niches assez riches que nous pouvons débroussailler en tant qu’assureurs et améliorer notre participation à la croissance économique.

Notre objectif sur les cinq ans à venir était d’améliorer notre taux de pénétration sur le marché et élever notre score dans le PIB. Ce que nous faisons actuellement est uniquement du rattrapage et une amélioration des conditions tarifaires. L’impact des événements de 2011 a eu pour effet que les entreprises se sentent de plus en plus concernées par notre secteur. Il y a une prise de conscience de l’importance de leur couverture assurantielle. Reste que le taux de pénétration n’a pas progressé.

Peut-être parce que les produits des assurances ne se sont pas renouvelés?

Evidemment, il y a des efforts à fournir. Nous parlons là de modernisation des systèmes d’information, d’innovation et la mise en place de nouveaux concepts afin de drainer de nouvelles parts de marché. Mais le problème est que chaque compagnie travaille à son niveau, la stratégie globale que nous avons mise en place n’a pas encore pris forme sur le marché, il n’y a pas d’efforts de la part des pouvoirs publics pour assurer pleinement leur rôle qui consiste en premier lieu à libéraliser l’économie et instaurer des systèmes comme ceux de la protection contre les catastrophes naturelles et le changement climatique auxquels la Tunisie est exposée.

Le rapport édité par la Banque mondiale en 2012 en parle, d’autres pays similaires ont d’ores et déjà pris leurs précautions et ont mis en place un système pour se protéger contre les risques cumulatifs, ce qui revient à dire que nous devons procéder à l’évaluation des effets graduels d’une action sur l’environnement ainsi que tous les cas d’exposition à ce danger et principalement leur impact sur le secteur agricole.

En tant que compagnie d’assurance, nous avons également un important rôle à jouer. Il s’agit d’améliorer notre gouvernance en y imposant plus de transparence et surtout permettre aux compagnies qui souffrent d’un problème de solvabilité de se mettre au niveau des standards internationaux et des normes appliquées par les autorités de régulation.

« Il faut que nous nous investissions plus pour donner au secteur la place qu’il mérite dans l’économie nationale ».

Il y a des axes sur lesquels nous devons insister et ceci aussi bien venant des autorités compétentes que de la profession elle-même. Il faut que nous nous investissions plus pour donner au secteur la place qu’il mérite dans l’économie nationale. Pour résumer la situation, nous pouvons affirmer que ce secteur peut largement mieux faire. Il faut que les compagnies d’assurance se mettent dans une dynamique positive, de modernisation, de formation et d’innovation, mais cela reste insuffisant car il y a également l’impératif de la réorganisation de tout le secteur qui prévaut et surtout la révision totale de la réglementation en vigueur aujourd’hui pour repositionner notre secteur et sensibiliser les différentes clientèles au potentiel du secteur.

Vous parliez stratégie, concrètement comment doit-elle, d’après vous, se déployer ?

Nous visions l’amélioration de la réglementation et les contacts avec les autorités publiques n’ont jamais été rompus. Le problème est qu’avec la succession des gouvernements, avec la crise des finances publiques et les problèmes du secteur bancaire, les pouvoirs publics se sont attelés à éteindre les «incendies» se convertissant par la force des choses en sapeurs-pompiers et nous n’avons pas figuré parmi leurs priorités. Alors que le secteur des assurances ne souffre pas d’un problème structurel insurmontable, tout au contraire, ces dernières années, il s’est auto-assaini et s’est attaqué à la problématique organisationnelle.

La reste la grande question: comment optimiser notre potentiel? Comment faire en sorte que ce secteur assure un rôle déterminant sur le plan économique comme c’est le cas à international? Dans des pays similaires au nôtre, le secteur a fait un grand saut en avant en tout juste quelques années. Il s’est développé pour atteindre les taux de 3, 4 et 5% du PIB.

« En Tunisie, nous sommes à un peu moins de 2% du PIB, nous mobilisons plus de 4 milliards de dinars d’investissements ».

En Tunisie, nous sommes à un peu moins de 2% du PIB, nous mobilisons plus de 4 milliards de dinars d’investissements. Imaginez à 4% combien nous pourrions mobiliser de fonds à injecter dans la machine économique du pays, au moins le double. Si on donne au secteur des assurances, le rôle qui lui est alloué, il pourrait beaucoup apporter au pays: d’abord plus de sécurité aux ménages et aux entreprises et, in fine, à l’économie. Donc c’est d’une pierre plusieurs coups.

Qu’est-ce qui bloque au-delà de l’inertie des autorités publiques?

C’est la culture. Le secteur des assurances est considéré comme étant un produit secondaire, on ne s’y intéresse qu’une fois les besoins de base satisfaits. Il faut investir dans la communication et nombreuses sont les compagnies qui investissent dans la modernisation de leurs systèmes d’information, la diversification des produits et l’amélioration de la qualité des prestations.

L’une de nos priorités est de diminuer les délais de règlement des produits classiques tels ceux en relation avec l’automobile. Des efforts ont été faits, on parle de plus en plus du secteur du marché des assurances parce que certaines firmes ont amélioré leur communication. Grâce à des stratégies de communication intelligentes et ciblées, amélioration de la qualité de service et le financement de l’économie aussi bien à travers le secteur bancaire qu’à travers le marché des capitaux.

« L’une de nos priorités est de diminuer les délais de règlement des produits classiques tels ceux en relation avec l’automobile »

lassaad-zarrouk-assurances-star-tunisie-wmc-2Au niveau de l’offre, il y a eu des améliorations, reste la création de la demande et cela dépend de la réglementation et des autorités de régulation. Nous avons, pendant deux ans, travaillé sur une étude menée par un cabinet international avec les autorités de régulation qui a débouché sur un projet de contrat-programme où il y a des axes dont l’un relatif aux moyens de renforcer le rôle des assureurs dans le développement de l’économie nationale.

A ce jour, nous n’avons pas de réponse. Ce contrat-programme est inscrit sur l’agenda du gouvernement en attendant la mise en œuvre.

De quoi retourne ce contrat-programme?

En fait, il y a des obligations et des droits. Nous proposons des améliorations substantielles dans notre mission en tant qu’acteurs économiques: protéger les ménages, protéger les entreprises et financer davantage l’économie, et en contrepartie, nous nous attendons à ce que les pouvoirs publics osent assouplir les réglementations et les adapter aux normes internationales.

Il faut qu’elles deviennent plus libérales pour nous donner la capacité d’intervenir à différents niveaux. Il est important d’arrêter d’administrer les prix. A titre d’exemple, la tarification automobile, soit la branche la plus populaire, est pratiquement administrée sur la responsabilité civile. Elle accapare près de 54% du chiffre d’affaires des opérateurs dans le secteur des assurances.

L’administration des prix pousse les compagnies à vendre obligatoirement les garanties facultatives, à ne pas assurer une qualité de prestation qui satisfasse aux exigences de notre clientèle et à limiter l’offre parce que nous ne pouvons diversifier la demande. Tout cela nous a menés à ce qu’on appelle un goulot d’étranglement. Alors que nous pouvons faire beaucoup mieux: on libéralise sur 3 à 5 ans la branche automobile, on développe l’assurance agricole, on promulgue une loi-cadre pour le développement de l’assurance-vie et les barèmes salariaux au niveau de l’assurance-vie pour qu’elle devienne un vrai complément à la retraite légale qui va souffrir de plus de difficultés à cause de l’évolution démographique, et là notre secteur pourrait jouer un rôle important.

Depuis 4 ans, les avantages parafiscaux se rapportant à la sécurité sociale ont été remis en question alors que ce que nous prévoyions était de développer l’assurance-vie en Tunisie. Tout au long des lois de finances successives, on est resté dans le déni de ce qui peut arriver. Nos orientations semblent être tout le contraire de l’essor de l’assurance-vie en Tunisie.

Nous voulons qu’il y ait une évolution de la réglementation dans l’industrie automobile pour que nous changions notre image sur le marché et il faut qu’à ce propos il y ait des efforts de la part des assureurs et des autorités de régulation.

«Mettre à jour l’assurance agricole pour donner aux opérateurs dans le secteur et au pays une capacité de résilience face aux caprices des facteurs climatiques »

Mettre à jour l’assurance agricole pour donner aux opérateurs dans le secteur et au pays une capacité de résilience face aux caprices des facteurs climatiques et environnementaux telles des catastrophes naturelles comme les inondations et aussi ajuster l’assurance vie dans le sens d’une meilleure visibilité légale et procédurale du secteur.

Le fait que la loi pour la réglementation bancaire ait été soumise aux parlementaires a permis de mettre en lumière aux représentants du peuple et au grand public les enjeux d’un tel secteur.

Nous attendons maintenant que le Comité général des assurances soumette le projet débattu avec la profession au gouvernement lequel ensuite devrait le traduire en réglementations, en loi-cadre à soumettre aux parlementaires. Nous avons beaucoup avancé et nous espérons que les pouvoirs publics accorderont l’importance qui lui est due à ce projet pour qu’en 2017 notre secteur puisse progresser et surtout devenir un acteur important dans la dynamique économique du pays.

Quel rôle pourrait jouer le secteur des assurances dans la couverture maladie pour pallier à la crise des caisses sociales qui se sont répercutées sur la CNAM ?

Le secteur des assurance pourrait en effet jouer un rôle crucial pour ce qui est des assurances maladies. Il faut préciser tout d’abord qu’il y a deux branches importantes: l’assurance maladie et il y a l’assurance retraite, apanage de l’assurance-vie.

Nous pourrons jouer un grand rôle de complémentarité avec les régimes légaux et c’est ce qui se passe à l’international. L’assurance est celle de l’épargne par excellence. Aujourd’hui on parle d’une situation de sous-épargne dans notre pays, les assurances pourraient y remédier. Elles ont une grande capacité de mobilisation de l’épargne et surtout celle dite vertueuse et sur le long terme.

Concernant les assurances maladie, notre rôle est incontournable. En 2004, lorsque nous avions légiféré sur ces assurances, nous avions offert de grandes opportunités aux compagnies d’assurances qui assument parfaitement leur mission en la matière. Aujourd’hui, à voir plus d’un million de bénéficiaires des assurances maladies et assurances groupes dont bénéficient les entreprises structurées, on réalise l’importance du rôle des compagnies d’assurances en la matière et ce sont les ménages tunisiens qui en profitent.

« En ce qui nous concerne, le seul blocage pour son expansion en Tunisie est d’ordre légal. Le jour où ce secteur sera doté des outils légaux… nous pourrons aisément arriver à réaliser 4 à 5% du PIB ».

Mais il ne faut pas que ces avantages profitent uniquement aux salariés des secteurs public et privé. Nombre de compagnies ont innové et ont cherché à compléter les offres de la CNAM en créant de nouveaux produits individuels d’assurances maladies. Cela ne suscite pas un grand engouement pour le moment mais je pense que cela viendra avec le temps.

Le secteur des assurances est très dynamique, il évolue avec l’évolution du mode de vie et l’apparition de nouveaux besoins et de nouvelles exigences. En ce qui nous concerne, le seul blocage pour son expansion en Tunisie est d’ordre légal. Le jour où ce secteur sera doté des outils légaux nécessaires à son essor, je pense que nous pourrons aisément arriver à réaliser 4 à 5% du PIB.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali