Indépendance, an 60 : L’économie tunisienne a tous les attributs d’une économie dépendante

Soixante après l’accès du pays à l’indépendance, l’économie tunisienne demeure encore une économie dépendante de l’étranger, une économie pré-marché, une économie peu intégrée, une économie qui ne crée pas toujours assez de valeur et assez d’emploi. Depuis, plus de trois décennies la Tunisie connaît un chômage endémique avoisinant en moyenne les 15% de la population active.

tunisie-economie-reparable-2014-680.jpgCette récession structurelle que connaît cette économie en fait une sérieuse menace pour la souveraineté et l’indépendance du pays.  Selon un sondage effectué, ces jours-ci,  par le cabinet Sigma Conseil sur la perception que se font les tunisiens des dangers qui guettent  l’indépendance du pays, 23% des sondés, citent la détérioration de l’économie du pays.

Une économie illégale
De nos jours, l’économie tunisienne a tous les attributs d’une économie criminelle. Plus de la moitié de cette économie est assurée par le secteur informel. Sur un total  de 584 mille entreprises que compte le pays, 524 mille opèrent dans les activités souterraines  en fraude du fisc, estime une étude menée par Hernando de Seto, fondateur de l’Institut Liberté et Démocratie (ILD) pour le compte de la centrale patronal e (UTICA). La contrebande aux frontières sud-est et ouest  du pays coûte à l’Etat tunisien, un manque à gagner de plus de deux milliards de dinars selon la Banque mondiale. La corruption et la mauvaise gouvernance qui gangrènent l’économie du pays coûtent  à la Tunisie 4 points de croissance, par an, relève le Directeur général de la gouvernance à la présidence du gouvernement, Tarek El-Bahri (16 février 2016).

A toutes ses pertes faramineuses s’ajoutent, le coût de l’effort sécuritaire mené pour la lutter contre le terrorisme lequel est une conséquence du cumul des mauvaises politiques économiques suivies depuis 1956. Entre 2014 et 2015, plus d’un milliard a été prélevé sur le budget de l’Etat pour équiper les forces sécuritaires et pour financer des ouvrages destinés à protéger le pays contre toutes sortes d’agressions (contrebande, bandes armées…).

Conséquence : en 60 ans, on est passé d’une économie rurale sous-développée à une économie criminelle.

A la base, une mafia politico-financière

A l’origine de cette détérioration systématique de l’économie du pays,  des dirigeants véreux et incompétents qui n’ont jamais eu à rendre compte. Ces soi-disant dirigeants, à défaut d’imaginaire et de compétence, ont choisi les solutions de facilité visant dans l’ensemble à faire dépendre le pays de l’étranger par le biais d’un endettement excessif et de l’institution de juteux avantages fiscaux et financiers au profit des investisseurs étrangers. 

La première initiative a été la loi 72 qui, sous prétexte de l’avantage comparatif des bas salaires, avait bradé la force du travail du pays et transformer le pays en paradis fiscal pour le blanchiment de l’argent et pour les industries de bout de chaîne sans aucune valeur ajoutée  et sans apport significatif pour l’industrie du pays. A titre indicatif, les 1300 entreprises off shore implantées en Tunisie ont investi en moyenne 50 mille euros (chiffre de la chambre Tuniso- française du commerce et de l’industrie). 

La deuxième a été manifestement le plan d’ajustement structurel (PAS) lequel a été adopté, en 1986,  en pleine banque route de l’économie du pays. Ce PAS, conçu à la hâte et mal encadré, a très vite montré ses limites avec son lot d’endettements et conditionnalités, de privatisations et de licenciements.

La troisième est une conséquence de la seconde. Les limites, pour ne pas dire l’échec du PAS, a obligé la mafia politico financière de l’époque (Ben Ali et compagnie) de penser à des palliatifs. Parmi ceux-ci, ils ont trouvé dans la conclusion, en 1995, de l’Accord d’association, une aubaine pour obtenir des crédits et souffler. Seulement, ce n’était qu’un appât. En 2008, date de l’insurrection populaire dans le bassin minier et de l’entrée en vigueur de la libéralisation des échanges des produits manufacturiers, avec comme corollaire, l’exonération des produits européens importés des droits de douane, les tunisiens ont découvert que cette libéralisation avait un coût très élevé. Elle  s’est traduite par un manque à gagner de moins de 3% du PIB tunisien, selon l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) et par le renforcement de la dépendance de l’économie nationale de la zone euro avec laquelle la Tunisie réalise, aujourd’hui,  plus de 80% de ses échanges.

Une telle situation ne pouvait pas continuer. C’est ce qui explique, en partie le soulèvement du 14 janvier 2011.

Néanmoins, les gouvernements qui ont relayé la dictature de Ben Ali n’ont pas fait mieux. Ils ont recouru aux mêmes pratiques : accélération du rythme d’endettement dont la part du PIB est passée de 40% en 2010 à 54% en 2015, privatisation des entreprises publiques, accroissement de tous les déficits (courant, budgétaire..), déstructuration d’importants pans de l’économie (entreprises publiques, industries extractives…),  accroissement de la compensation dont toutes les personnes et activités en bénéficient sans discernement, recrudescence de la corruption, de la contrebande, de la contrefaçon….

Moralité : par l’effet de l’ensemble de ces politiques criminelles, l’économie du pays est une économie sinistrée et le pays est, de nos jours, divisé de fait en deux. Un littoral relativement viable et prospère et un arrière pays extrêmement pauvre et sous développé.

Pour parvenir à ce stade avancé de détérioration, les gouvernants, qui ont eu à gérer le dossier économique, ont utilisé des mécanismes hyper régionalistes. Pour ne citer que les plus visibles, il y a tout d’abord les plans de développement (une dizaine depuis 1956) qui ont toujours donné la priorité absolue à l’investissement lourd sur le littoral et une administration hyper-centralisée dont le dada est le contrôle sélectif à priori, une aberration qui bloque tout dès le départ.