Le quotidien de contraintes des femmes sous l’État islamique

internet-daech-afp.jpgLa doctorante spécialiste du djihad et des femmes Géraldine Casutt nous décrit le quotidien, circonscrit par l’autorité masculine, des femmes françaises au sein de l’État islamique. Une vie de contraintes, qui pourrait bien finir par les lasser.

Géraldine Casutt est assistante en science des religions à l’université de Fribourg en Suisse, où elle prépare une thèse consacrée au djihad féminin en co-tutelle avec l’EHESS à Paris. Son doctorat porte sur les modalités d’engagement des femmes musulmanes occidentales dans le djihad et leurs représentations en tant que femmes dans le djihadisme. Elle travaille notamment sur les réseaux sociaux, où elle entretient des dialogues avec certaines de ces femmes. Dans un long entretien, que nous restituons en trois parties, « pourquoi les jeunes filles rejoignent les rangs de l’État islamique », « la vie quotidienne des femmes sous l’État islamique » et « pourquoi l’État islamique ne peut pas exister sans les femmes », la chercheuse nous raconte à quel point ces jeunes filles ont le sentiment d’avoir choisi cette vie, comment elles vivent leur quotidien de contraintes, quitte à s’enfermer dans une bulle de lassitude, et leur rôle crucial au sein du système Daech

Lefigaro.fr/madame. – Une fois arrivées en Syrie, les candidates au djihad sont-elles mariées dans la foulée ? 
Géraldine Casutt. –
Certaines candidates ont réalisé des sortes de pré-mariages sur Skype, qui sont validés une fois sur place. Celles qui arrivent avec leur frère ou tout autre parent masculin n’ont pas besoin de se marier tout de suite. D’autres arrivent seules, en célibataires et vont au maqqar, une maison qui regroupe les femmes qui n’ont pas de tuteurs masculins. Les sœurs vous aident à trouver un mari djihadiste. Le mariage se fait rapidement en général car les conditions de vie au maqqar sont difficiles. Qui plus est, sans homme, une femme a un accès très réduit à la vie sociale. On est dans une compréhension de l’islam selon laquelle la femme est une éternelle mineure. Elle doit avoir un tuteur masculin, qu’il soit mari, père, cousin, frère… L’engagement d’une femme dans le djihad dépend d’une figure masculine : elle a besoin d’un homme pour être membre à part entière de la sphère djihadiste, pour accéder à son rôle d’épouse et de mère. Pour nous, Occidentaux, le mariage est fondé sur la connaissance de la personne, or, dans la conception de l’État islamique, Dieu régit tout. Il mettra quelqu’un sur votre route qui est bien pour vous. Le mariage, même avec un inconnu, est censé fonctionner car Dieu est dans le mariage. Certains foyers sont polygames mais toutes les femmes n’y sont pas disposées. Il existe des mariages mixtes entre personnes qui ne sont pas du même groupe ethnique mais généralement les unions se font entre conjoints qui parlent la même langue et viennent tous deux d’une culture occidentale.

Dans un document de l’EI sur la condition des femmes dans le califat traduit par la Quilliam Foundation, le mariage d’une fillette de 9 ans est légitimé. Les mariages précoces sont-ils fréquents ?
Je ne crois pas que pour le moment on marie beaucoup de fillettes de neuf ans. Les recrues sont des adultes. La question va toutefois se poser dans dix ans, quand les enfants qui ont grandi seront en âge. Est-ce que les parents, issus de sociétés occidentales, vont les marier plus tôt ? Et même si mariage il y avait, ça ne veut pas dire qu’il soit consommé.

On se demande parfois comment des femmes peuvent cautionner les atrocités commises envers les femmes dans l’EI, par exemple les viols des Yézidies et l’existence de marchés aux esclaves. Comment réagissent-elles ?
On pense qu’une femme va être rebutée, dissuadée par les souffrances infligées à d’autres femmes. Et pourtant : elles sont bien au courant que les Yézidies sont réduites en esclavage et qu’il y a un trafic, ça ne les rebute pas. Elles adhèrent à un système de pensée et une représentation du monde où il y a les méchants d’un côté et les bons de l’autre. Il faut éliminer et punir les ennemis et en l’occurence, les Yézidies sont des Yézidies avant d’être des femmes. Certaines djihadistes trouvent normal de les violer ou d’en faire des domestiques. La fonction de l’acte sexuel avec l’esclave est l’humiliation, tandis que l’acte sexuel avec son mari a une fonction reproductrice. Si les Yézidies tombaient enceintes de leur mari, l’enfant serait élevé dans la haine de sa communauté d’origine.

Les femmes de l’État islamique vivent dans des zones très éloignées des combats. On a entendu certaines djihadistes dans des reportages et documentaires confier qu’elles menaient une vie normale, qu’il y avait des magasins pour faire du shopping et les courses. À quoi ressemble leur quotidien ?
Elles vivent en effet sur des territoires qui ne sont pas directement des zones de conflit, où la guerre n’est ni ouverte ni visible. Même si l’on est en guerre, il y a une vie quotidienne. L’accès au monde extérieur est toutefois conditionné par le mari. Si elles se promènent dans la rue, c’est avec leur chaperon. La majeure partie du temps, elles restent chez elles et les sœurs se visitent les unes les autres.

AFP