Tunisie Elections 2014 : «Je suis plus jeune d’esprit que ceux qui me critiquent» (Béji Caid Essebsi)

Il n’est de jeunesse que celle du cœur, disent les poètes et les écrivains versés dans le romantisme et le sentimentalisme. Pour Béji Caïd Essebsi, candidat à la présidentielle en Tunisie, la jeunesse d’esprit, le sens du compromis et la sagesse prévalent sur toutes les autres qualités en cette phase difficile par laquelle passe la Tunisie. Notre pays a-t-il besoin d’un père leader ou d’un jeune leader?

Reconnaissons qu’en matière de vivacité d’esprit, de sens de la répartie et de réponses convaincantes et bien argumentées, BCE dépasse de loin nombre de candidats à l’investiture suprême. S’il est élu président de la République, cela se traduira-t-il dans ses faits et actes? Qui vivra verra.

Entretien

bce-wmc-interview-2014.jpgWMC : Une partie de vos électeurs potentiels s’inquiètent à propos de votre âge et de votre entourage. Quant à vos adversaires, ils s’en servent comme arguments dans leurs campagnes électorales pour dire qu’il serait difficile pour vous de diriger le pays qui passe par une situation délicate, en matière de disponibilité et d’indépendance dans la prise des décisions.

Béji Caïd Essebsi : D’abord l’âge, je ne peux pas le changer. La jeunesse n’est pas un état civil, c’est un état d’esprit, et je pense que j’ai l’état d’esprit des jeunes et je suis beaucoup plus jeune d’esprit que ceux que je connais et qui me critiquent et que je connais. De quel entourage vous parlez?

L’entourage, c’est la famille et également des personnes influentes de Nidaa Tounes qui représentent pour certains une menace pour la Tunisie…

D’abord, c’est le contraire qu’on me reproche. On me reproche de gouverner seul. En réalité, je ne le fais pas tout seul, je l’ai d’ailleurs déclaré lors d’une rencontre avec la Commission de l’égalité et de la démocratie et de la révolution. Moi je consulte tout le monde lorsqu’il s’agit de prendre des décisions importantes, mais je décide tout seul quand on me dit “prenez tel ministre ou tel autre“… Je n’accepte pas et je tranche.

Mais je travaille en concertation avec tous les acteurs sociaux, UGTT et UTICA, et toutes les composantes de la société dès qu’il s’agit d’enjeux importants pour le pays. Je l’ai fait quand j’étais Premier ministre, je suis un homme de compromis contrairement à ce qu’on pense, j’écoute tout le monde, ensuite je fais ma propre analyse et je prends mes décisions en fonction de l’intérêt général que tout et un chacun ne représente pas forcément.

«… Mon leitmotiv est la patrie avant les partis et bien évidemment avant les hommes…»

Il y a des personnes qui défendent des points de vue sans être pour autant inquiétées par l’intérêt du pays que par le leur propre. C’est pour cela que mon leitmotiv est la patrie avant les partis et bien évidemment avant les hommes. Et ce qu’il s’agisse de ma famille ou des autres. Je n’ai jamais désigné un membre de ma famille dans une responsabilité. On me reproche mon fils, mais il est comme tous les autres, il a milité, participé et été élu et est allé jusqu’à se désister pour préserver l’intérêt général.

Par ailleurs, dans toutes les démocraties desquelles nous voulons nous inspirer, il y a une cohérence entre la majorité élue au Parlement et le choix du président de la République, qu’il s’agisse des Etats-Unis, de la France ou de la Grande-Bretagne.

Pourquoi, d’après vous, dans cette démocratie naissante, il y ait autant des critiques virulentes à votre égard et des prétendues peurs du retour de la dictature?

Ces gens-là veulent soumettre la dynamique politique du pays à leurs propres critères. Quand est-ce que cette question de «Taghaouel» (hégémonie) ou de nouvelle dictature a été soulevée, c’est là une création de l’esprit? C’est après la victoire de Nidaa Tounes aux législatives. Or, il est vrai que ces élections nous ont donné une primauté mais pas la majorité. Ce qui revient à dire que nous ne pourrions pas gouverner seuls et que nous ne le ferons pas.

«Monsieur Mustapha Ben Jaafar, tout de suite après les élections, est monté au créneau pour dire “j’ai peur du Taghaouel“»

Mieux encore, qui a suscité ce genre d’histoire? Ce sont ceux qui ont été lessivés par les élections. Prenez l’exemple de Monsieur Mustapha Ben Jaafar, lequel tout de suite après les élections, est monté au créneau pour dire «j’ai peur du Taghaouel», parce que lui il a obtenu au début 0,6 siège avant, et aujourd’hui il est à zéro, il a fait un progrès! Et ainsi de suite, ce sont ceux qui ont été écartés par les élections de l’espace politique qui ont réagi comme cela, et je préfère ne pas encourager ces polémiques. Si cela avait été quelqu’un d’autre, même de ma propre formation qui se serait présenté, les réactions auraient été différentes.

bce-wmc-interview-2014-02.jpgEn ce qui me concerne, mon exercice gouvernemental précédent plaide pour moi: j’ai respecté les règles de jeu, réalisé les premières élections et me suis retiré. Alors, le «Taghaouel», c’est chez eux. Nous les avons élus pour une année, ils sont restés trois ans, et c’est une atteinte grave à la loi; deuxièmement, nous les avons élus pour réviser une Constitution, ils se sont accordés des attributions de Parlement à vie. Alors ce n’est pas à mon âge que j’irais dans le sens du «Taghaouel», au moins, mon âge plaide pour moi en la matière.

«En ce qui me concerne, mon exercice gouvernemental précédent plaide pour moi: j’ai respecté les règles de jeu, réalisé les premières élections et me suis retiré».

Pour revenir au contexte actuel. Presque tous les observateurs estiment que le prochain exercice gouvernemental serait des plus difficiles dans un contexte où tous les indicateurs sont à l’orange si ce n’est au rouge. Nous pouvons même parler d’un cadeau empoisonné. Quelle est l’approche que vous préconisez pour vous en sortir? Il y a des institutions comme l’UGTT -qui a joué à ce jour un rôle politique qui dépasse largement ses prérogatives syndicales- ou encore l’UTICA -dont la mission doit être éminemment économique. Comment pensez-vous gérer les relations entre partenaires sociaux et acteurs politiques pour sortir le pays d’une crise qui perdure?

Si j’ai accepté cette responsabilité, c’est parce que j’estime être capable de faire sortir le pays de cette crise et cela ne se fera pas en un seul jour. C’est une crise qu’il faut régler dans un processus évolutif. Ensuite, parce que j’estime pouvoir dialoguer avec toutes les forces en présence pour les amener à la résolution de ces problèmes. Autrement, nous allons continuer à creuser le fossé. L’UGTT est un acteur principal tout comme l’UTICA, et je pense que nous devons discuter avec ces deux organisations sinon avec plusieurs pour trouver des solutions, et ils doivent coopérer à cela sinon c’est l’instabilité sociale. J’en ai fait l’expérience quand j’étais à La Kasbah, nous avons dialogué et je n’ai fait aucune concession, mais j’ai prouvé que des efforts doivent consentis par tout le monde pour sauver le pays.

«Le peuple ne nous a pas donné un blanc-seing…»

Je pense engager le dialogue et créer une structure de concertation au sein de laquelle seront prises les grandes décisions. Le peuple ne nous a pas donné un blanc-seing, peut-être une primauté, mais nous ne nous gouvernerons pas seuls. Ennahdha a 69 sièges, il faudrait la consulter pour les grandes décisions également. Il faut être à la hauteur des attentes du peuple, savoir gérer le débat et ne pas être l’apparatchik de tel ou tel parti ou acteur social. Il faut comprendre que la conjoncture nous impose de participer tous à sauver notre pays.

A suivre la Partie II