Drones : franchir “la vallée de la mort” avant d’atteindre l’Eldorado

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” (Photo : Amazon)

[17/09/2014 16:32:46] Bordeaux (AFP) Le drone d’Amazon, livreur à domicile, fera-t-il école en France? Industriels et scientifiques, sceptiques, concentrent plutôt leurs efforts pour franchir “la vallée de la mort”.

La filière doit en effet surmonter cette phase critique dans le développement d’une technologie, avant d’atteindre l’Eldorado annoncé en termes de revenus et d’emplois.

“Amazon c’est un coup de com! Chez nous, la législation ne permet pas d’avoir des milliers de drones qui livrent des colis, pour des raisons de sécurité et de protection de la vie privée”, tranche Jean-Christophe Drai, directeur des ventes du UAV Show, premier salon européen du drone qui vient de clore ses portes à Mérignac (Gironde), dans la banlieue de Bordeaux.

Véronique Tanguy, responsable des transferts de technologie à l’ONERA, centre français de la recherche aéronautique et spatiale, n’y croit pas davantage: “La première marche du marché, explique-t-elle à l’AFP, se situera davantage sur des besoins industriels que sur ce type d’application”.

Le drone d’Amazon? “On en est très loin”, selon le secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies. Mais, il promet à la filière “bouillonnante” du drone civil une “montée en puissance dans les prochains mois”.

A l’échelle européenne, la France “a déjà pris de l’avance, loin devant les deux acteurs de référence, le Royaume-Uni et la Suède”, ajoute-t-il.

Ce secteur compte plus de 700 entreprises — 670 opérateurs et 40 constructeurs — pour plus d’un millier de machines en service. Il a généré 2.500 emplois et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013.

– “Tripler les revenus dès 2015” –

Les chiffres sont certes encore modestes, mais “le potentiel de développement est très important, nuance Alain Vidalies, dans une filière qui n’existait quasiment pas en 2008 et qui augmente de 50% par an, l’objectif étant de tripler les revenus dès 2015 et quadrupler les emplois en 2025”.

Il faut distinguer les drones voués à la simple prise de vues pour les médias (TV et cinéma) l’agriculture ou encore la sylviculture et les futurs aéronefs voués à l’inspection et la détection de haute précision, sur de longues distances.

Les premiers sont déjà en phase de commercialisation. Les seconds, “en phase expérimentale, posent la question de leur insertion dans l’espace aérien qu’elles devront partager avec les avions”, explique le secrétaire d’Etat.

L’échelle TRL (Technology readiness level) conçue par la Nasa, l’Agence spatiale américaine, évalue le niveau de maturité d’une technologie jusqu’à son industrialisation sur neuf niveaux, avec une zone critique entre le quatrième et le septième.

Industriels et scientifiques l’appellent la “vallée de la mort” et c’est là que doit se mobiliser le plus gros des capitaux et donc “la plus forte prise de risques pour investisseurs publics ou privés”, explique Véronique Tanguy.

C’est le prix à payer pour lancer une nouvelle génération de drones sûrs et ouvrir des parts de marché potentiellement très lucratives.

– “Faire aussi bien que l’humain” –

Aujourd’hui, l’offre est “relativement redondante et ne répond pas obligatoirement aux besoins de grands utilisateurs” comme la SNCF, RFF, EDF, ERDF, Bouygues ou Vinci pour la surveillance rapprochée de réseaux, d’infrastructures ou d’ouvrages. Les opérateurs utilisent en effet les drones “à 90% pour faire de la vidéo et seulement 10% pour des applications plus industrielles”, constate l’experte de l’ONERA.

Selon Véronique Tanguy, “tout reste à imaginer. Si le drone veut émerger et grossir il faut qu’il fasse au moins aussi bien que l’humain. On sait regarder une fissure béante sur un mur mais pas détecter le démarrage de la fissure. C’est tout le rôle de la recherche sur les capteurs qui seront embarqués sur les drones du futur”. Elle fait un parallèle avec le smartphone: “il y aura d’abord multiplicité d’acteurs qui s’élimineront naturellement pour consolider le secteur, à condition que les opérateurs puissent in fine proposer leurs propres applications”.

“Les petits et moyens drones sont en passe d’atteindre la phase de maturité technologique”, souligne Jean-Christophe Drai, qui prédit un décollage “dans les six à douze mois, avec des revenus de 20 millions d’euros dès 2015”.