Economie : Quels remèdes pour le fléau de l’inflation en Tunisie?

inflation-04082014.gifTout
au long des derniers mois, il a été fait état de grandes pressions
inflationnistes dans notre pays. Ces pressions interviennent alors que la
Tunisie connaît un ralentissement économique sur fond de frustrations sociales
se traduisant par une croissance faible, une augmentation du nombre de chômeurs
et une baisse significative des investissements.

On essayera, au niveau de ce qui suit, de dégager l’écart entre l’inflation
enregistrée et ressentie tout en cherchant à identifier les facteurs qui en sont
à l’origine et les grandes lignes de la politique de sa maîtrise.

L’inflation, définie comme la hausse des prix à la consommation, a été un
phénomène presque permanent en Tunisie au cours des dernières décennies. Elle
traduit la perte du pouvoir d’achat du dinar, matérialisée par un accroissement
général et persistant des prix.

Récemment, l’inflation, telle que mesurée par la variation de l’indice des prix
à la consommation (IPC), s’est élevée à 4% en 2010, 3,5% en 2011, 5,4% en
février 2012, 6% en mars 2013 et 5,7% en juin 2014, et ce selon les statistiques
de l’Institut national de la statistique (INS). Aujourd’hui, l’inflation est
dite ouverte.

Les indices de glissement précités et qui révèlent un taux d’inflation dépassant
6% en 2013, sont calculés sur la base d’un panier de biens de consommation,
majoritairement composé de produits subventionnés dont les prix évoluent,
légèrement, d’une année à une autre. Le niveau ascendant de l’inflation
interpelle les spécialistes pour appréhender la complexité et les enjeux du
débat actuel en Tunisie sur cette problématique.

Les causes éventuelles de l’inflation en Tunisie

Rappelons que, pour la Tunisie, la liste des produits et la structure des
pondérations adoptées au sein du panier de consommation sont déterminées en
fonction du budget consacré par le ménage moyen pour chaque groupe de produits.

L’IPC tunisien a une représentativité relativement limitée tant du point de vue
de la couverture géographique que du nombre de produits inclus dans le panier.
Ainsi, l’échantillon couvre 3.155 points de vente pour 1.010 produits répartis
en 12 groupes.

“Un IPC fondé sur le panier du consommateur moyen reflète mal l’inflation
ressentie par la population“

Afin de mieux cerner l’impact de l’inflation sur la société, il est nécessaire
d’en affiner sa mesure sachant qu’il existe en Tunisie de fortes disparités
régionales et des inégalités sociales. Un IPC fondé sur le panier du
consommateur moyen reflète mal l’inflation ressentie par la population. Il
faudrait alors parler de plusieurs indices d’inflation qui tiendraient compte
des disparités régionales et de consommation entre les différentes couches
sociales.

D’après plusieurs analyses empiriques, le couple inflation-pauvreté présente une
forte corrélation et l’inflation ressentie pourrait atteindre un seuil variant
entre 9 et 10%, notamment durant les prochains mois.

Taux d’inflation (base 100 en 2005)

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Source : INS

“La hausse remarquable du taux d’inflation en Tunisie s’explique par
l’inflation importée, le facteur monétaire, la multiplication des réseaux de
contrebande et le déséquilibre entre l’offre et la demande“

L’inflation est expliquée par des facteurs structurels et conjoncturels. Il
s’agit, essentiellement, de l’inflation engendrée par l’enflure de la monnaie en
circulation et la panique monétaire, de l’inflation induite par la demande et de
la spirale inflationniste. On évoque aussi l’inflation importée et l’inflation
liée à la structure des marchés et les anticipations des variations de prix.

La hausse remarquable du taux d’inflation en Tunisie durant les mois passés et
qui continue à peser gravement sur les équilibres macroéconomiques s’explique
par l’inflation importée, le facteur monétaire, la multiplication des réseaux de
contrebande et le déséquilibre entre l’offre et la demande.

En effet, selon la note conjoncturelle de l’INS publiée en mars 2014, la
tendance des prix à la production (2,1%) a connu un décrochage par rapport à la
tendance des prix à l’importation; ce décrochage est le résultat de
l’augmentation des coûts de production fin 2013. Les acteurs économiques locaux
ont dès lors directement répercuté cette augmentation sur le prix de vente de
nombreux produits.

Pour ce qui est du facteur monétaire, la dépréciation du dinar vis-à-vis l’euro
et du dollar U.S, respectivement de 16,7% et de 6,3% au cours des deux dernières
années, a généré de l’inflation qui s’est accéléré suite à la stabilisation de
nos réserves de change par le recours massif à l’endettement extérieur. De plus,
cette dépréciation du taux de change affecte fortement la facture énergétique et
alimentaire, ce qui risque de continuer à peser sur le budget de l’Etat
directement par les dépenses de fonctionnement et indirectement aux travers de
la Caisse compensation.

D’un autre côté, la contrebande et l’exportation illégale ont entraîné des
pénuries de plusieurs produits principalement alimentaires et autres. Les
réseaux de plus en plus actifs dans ce créneau criminel sont enclins à vendre
des produits à des prix supérieurs au marché tirant les prix vers le haut au
niveau national. Ces exportations illégales sont toujours évoquées comme moteur
potentiel de l’inflation, particulièrement depuis 2012.

Pistes d’ajustements et recommandations

La théorie économique dispose de plusieurs instruments pour influer sur
l’inflation. Il s’agit, sur ce plan, de la politique monétaire et, à ce titre,
pour faire baisser l’inflation, les autorités monétaires optent pour la ponction
des liquidités et pour l’élévation du taux directeur sur le marché
interbancaire, ce qui entraîne un ralentissement de la demande car
l’investissement et la consommation diminuent et donc les prix baissent.

Dans certains cas, une hausse du taux directeur destinée à freiner une économie
en surchauffe peut générer des effets pervers qui contrarient les objectifs
visés en attirant les capitaux spéculatifs.

Comme mesures de régulations en Tunisie, on peut citer les décision de la Banque
centrale de Tunisie (BCT) de relever son taux d’intérêt directeur à maintes
reprises, le déplafonnement du taux de rémunération des dépôts à terme, le
relèvement du taux minimum de rémunération de l’épargne et la revue des mesures
prises en octobre 2012 portant sur la rationalisation des crédits à la
consommation par la réduction du taux de la réserve obligatoire.

“Une hausse du taux directeur destinée à freiner une économie en
surchauffe peut générer des effets pervers…“

Néanmoins, la politique budgétaire et fiscale visant à exacerber les forces
naturelles du marché pourrait s’avérer efficace pour limiter l’inflation en
stimulant la production dans les secteurs où les prix augmentent; on parle de
politique de l’offre. L’Etat intervient en rationnant encore plus fort, par une
fiscalité augmentée, la disponibilité de produits dont il n’est pas possible
d’augmenter l’offre (exemple: produits pétroliers).

Pour contenir les tensions inflationnistes, l’Etat tunisien intervient
fréquemment pour inonder le marché (importation de lait, moutons de l’Aïd…).

La politique de change qui consiste en une dévaluation ou réévaluation de la
monnaie nationale peut aussi avoir des effets sur l’inflation. En jouant sur la
valeur de la devise nationale, l’Etat peut favoriser l’exportation ou rendre
l’importation moins coûteuse. Cette dernière solution peut être utile pour
diminuer l’inflation, surtout lorsqu’il s’agit d’inflation importée.

Apprécier la monnaie peut aussi agir sur la demande en freinant celle-ci, qui
peut entraîner une baisse de l’inflation si elle est causée par une demande trop
forte.

“La politique budgétaire et fiscale peut s’avérer efficace pour limiter
l’inflation en stimulant la production dans les secteurs où les prix augmentent“

Dans ce cadre, on peut citer les tristes records enregistrés par le dinar ces
derniers mois qui ne cesse de se déprécier face à l’euro et au dollar U.S. Ces
dépréciations ont été accompagnées par une baisse des recettes en devises, des
restrictions à l’importation et de la perte de la valeur de l’investissement.

Autre instrument pour limiter l’inflation, il s’agit du contrôle des prix et des
salaires: c’est une mesure qui a une portée plus vaste et plus générale que le
contrôle de l’inflation, mais elle a aussi été utilisée spécifiquement pour
combattre l’inflation. Un contrôle des prix et des salaires a plus de chance de
fonctionner s’il est accepté par la société.

cycles economiques

Source : Les grands cycles économiques, Rodrigue Tremblay, Association des
économistes québécois, avril 2004.

Concrètement, en Tunisie, plusieurs mesures de régulation doivent être mises en
place et de façon immédiate pour juguler le fléau de l’inflation qui commence à
ronger les piliers de l’économie nationale. De prime abord, il est indispensable
de garantir la sécurité alimentaire des Tunisiens en visant l’augmentation de la
production des produits agricoles sensibles et la garantie de
l’approvisionnement du marché à travers la production nationale et l’importation
de produits étrangers si cela est nécessaire.

Parallèlement, la mise en place d’un programme de formation de stocks
d’ajustement pour des produits stratégiques et le renforcement des réseaux
d’espace de vente «du consommateur au producteur» sont des mesures permettant de
lutter contre les pénuries et la hausse des prix.

Quant au volet monétaire, il est recommandé de limiter l’impact du
déplafonnement du taux de rémunération des dépôts à terme, la rationalisation de
la fixation du taux minimum de rémunération de l’épargne et la dynamisation des
crédits à la consommation en agissant sur l’instrument du taux de la réserve
obligatoire.

“Nécessité de mettre en place un programme de formation de stocks
d’ajustement pour des produits stratégiques et le renforcement des espaces de
vente du consommateur au producteur“

La révision du régime de change actuel -où le choix a été fait sur le système
flottant et dirigé- aiderait à un meilleur ciblage au niveau de la lutte contre
l’inflation importée.

A côté de ces mesures, la perception de l’inflation est une vérité et la
poursuite des tensions inflationnistes mesurées par l’IPC restera probable pour
les prochains mois. Il semble que le problème ne soit pas uniquement un problème
de régulation et de ciblage mais plutôt un problème de mesure: l’IPC semble ne
pas refléter la réalité et l’inflation.

L’inflation affaiblit les ménagères et les entreprises

Nous venons de passer ci-dessus un certain nombre de facteurs contribuant à
expliquer l’inflation observée en Tunisie ces derniers mois. Cependant, ces
facteurs liés en grande partie aux évènements qui ont secoué le pays ne
permettent pas de confirmer ou d’infirmer si cette inflation observée est
durable et persistante.

L’inflation a un impact non seulement sur le panier de la ménagère mais aussi
sur l’entreprise: elle les affaiblit en leur donnant l’illusion de réaliser des
profits, elle fausse l’estimation de leur valeur patrimoniale et elle nourrit
l’instabilité sociale.

Afin de cerner et cibler l’inflation, il est souhaitable de prendre en
considération la composition de l’IPC et les changements comportementaux des
consommateurs.

Les limites de l’IPC sont multiples du fait que sa construction ne prend pas en
considération l’évolution de la qualité des biens, le changement des
comportements des consommateurs, les fluctuations du cours de change,
l’apparition de nouveaux produits ou services ou de nouveautés dans d’anciens
produits.

Il en est de même pour le changement dans la répartition inter temporelle des
achats des consommateurs qui n’est pas pris en considération par l’IPC.

“Les Tunisiens ressentent de plus en plus le décalage entre l’évolution
des prix annoncés et la réalité“


A ce titre et parallèlement aux mesures qui doivent être prises par les
autorités commerciales et sécuritaires en vue de renforcer le contrôle à la fois
des prix et aux frontières, et afin de mieux évaluer les effets de l’inflation
sur la société, il est nécessaire d’en maîtriser, parfaitement, son estimation
et un effort de communication doit être fait autour de l’inflation du panier de
la ménagère.

Les Tunisiens ressentent de plus en plus le décalage entre l’évolution des prix
annoncés et la réalité. Il est plus que jamais nécessaire d’imposer la mise en
place d’un véritable indice du coût de la vie. Le coût de la vie est une
évaluation du coût moyen des dépenses de consommation des ménages. Les indices
utilisés pour mesurer l’inflation ne permettent pas de mesurer l’évolution du
coût de la vie. Pour mesurer l’évolution du coût de la vie, il faut inclure la
variation des quantités consommées.

Enfin et afin d’illustrer l’importance de l’effet de la composition en biens et
services du panier moyen pour chaque consommateur pris individuellement, une
démarche pour lancer un simulateur d’inflation personnalisé doit être entamée.

Le simulateur permet aux acteurs économiques en fonction de leur propre
consommation d’évaluer l’inflation qu’ils subissent.

Il sera question à ce niveau d’intervenir sur une plateforme virtuelle, toute
chose étant égale par ailleurs, pour affecter le niveau revenu selon la part de
dépense effective consacrée à chaque groupe de produits voire à chaque produit
et non conformément à la pondération du consommateur moyen avancée par l’INS.

*Spécialiste en Gestion des Risques Financiers