Tunisie – Justice électorale : Entre dogme politique et modélisation mathématique!

Les mathématiques au secours des sciences sociales, c’est un outil de transparence sans pareil. On l’a vérifié, une fois encore pour le perfectionnement des modes de scrutin électoraux. Il n’y a pas de doute, cela aide à y voir plus clair. Le recours aux maths peut empêcher de contrôler les résultats des élections via un système électoral.

wmc-caricature-president.jpgEst-ce une garantie de stabilité politique? Pas si sûr!

L’Association des Tunisiens des grandes écoles “ATUGE“ s’est joint à la vague d’interrogations et de réflexion nationale autour de la question du choix du mode de scrutin électoral, même si l’affaire a déjà été tranchée. Mais cette contribution d’un très haut niveau scientifique servira à perpétuer la réflexion, exercice d’hygiène pour les esprits.

En la matière, les Tunisiens ont une faim illimitée. Ils en ont été privés de longues décennies durant. Et, la première fois de leur existence démocratique où ils font un choix, les résultats ont pris tout le monde de court.

L’initiative de l’ATUGE de réunir un séminaire autour de la question est une œuvre de salubrité démocratique. La société tunisienne a besoin de trouver ses repères démocratiques et la consultation publique sur la question électorale abonde en ce sens. Plus on élargit l’horizon de la concertation, plus on enracine la culture du dialogue et de l’engagement citoyen. C’est sain pour la démocratie et donc une garantie pour la stabilité politique.

Le thème du séminaire est bien tranché: “Justice électorale, entre le dogme politique et la modélisation mathématique“, la question est de savoir s’il faut concilier entre les deux ou privilégier l’un par rapport à l’autre.

La justice électorale n’est pas un vain mot

Le problème de la justice électorale est central, il y va du fonctionnement de la démocratie. La justice électorale protège autant les électeurs que les candidats, dira Michel Balinski, mathématicien, directeur de recherche émérite au CNRS.

Le conférencier prend pour hypothèse que la justice électorale doit faire correspondre les voix au nombre de sièges à l’Assemblée. Or, les modes de scrutins courants sont défaillants en la matière. Démo à l’appui, Michel Balinski montre que “l’uninominale“ favorise les petits par rapport aux grands. La proportionnelle au plus fort reste est incohérente. L’exemple contemporain typique nous vient d’Angleterre. Le parti travailliste, mené par Tony Blair, n’a recueilli que 35% des voix, en 1998, mais il a obtenu 55% des sièges au Parlement. On se souvient que Tony Blair a engagé son pays dans la guerre en Irak alors que l’opinion y était opposée. Voilà à quoi on peut s’exposer quand la justice électorale n’est pas garantie.

Michel Balinski soutient, chiffres à l’appui, sur des scrutins grandeur nature, que la biproportionnelle est la plus équitable car elle empêche qu’une minorité de voix élise une majorité de députés.

En fait, ce mode comporte une nouveauté. Il permet de transférer les voix en surplus, d’une circonscription à l’autre au sein d’une même région électorale. Il résume la situation par une formule suffisamment explicite: “chaque électeur a son député“.

Le choix de stabilité politique

Mansour Moalla, ancien ministre des Finances, invité au séminaire, ne voit pas la question sous le prisme des mathématiques mais à l’aune de la logique politique. Il s’est prononcé sur la question en publiant un article de presse où il prend parti pour le scrutin uninominal à deux tours. En toute probabilité, l’ancien ministre des Finances de Bourguiba s’appuie sur le système français, du moins partiellement. Il considère que ce système est cohérent et que, confort suprême, il dégage une majorité. Par conséquent, il laisse présager une stabilité.

Mansour Moalla estime que la bipolarisation favorise la constitution d’un socle nationaliste et que cela est essentiel à la souveraineté d’un pays et à la démocratie. Ce choix-là a le mérite d’être conséquent.

Le découpage électoral, commande le résultat des élections

Chafik Sarsar, président de l’ISIE, pour sa part, minimise le risque de contrôle des élections via le mode de scrutin. Le tout est dans le découpage des circonscriptions électorales. Toutefois, cela nécessite une parfaite connaissance de la géographie électorale du pays. A partir du scrutin du 23 octobre, il est possible pour ceux qui veillent au découpage des secteurs électoraux de faire basculer le résultat en faveur d’un parti précis. Avec force détails, on voit que c’est de la nanotechnologie électorale, donc efficace à 100%.

L’injustice électorale tue-t-elle la démocratie?

Cette question est soulevée par Dr Adel Kalai, médecin engagé dans le travail associatif, qui a modéré le panel. Il soutient que l’injustice électorale démobilise les électeurs. Ce faisant, elle porte préjudice à la démocratie car elle fausse complètement les résultats des élections.

A l’heure actuelle, dit-il, les systèmes électoraux sont conçus par les politiques; ils sont à la fois joueurs et arbitres et concepteurs des règles de jeu.

Cependant, la conception du mode de scrutin ne peut pas négliger sa faisabilité sur le terrain des élections et son efficacité pour arriver à élire des structures à même de gouverner. Et, d’ajouter, la Constituante est en face d’une opportunité unique qui consiste en un mode de scrutin juste, réaliste et accordant le pouvoir à des structures capables de gouverner.