En Ukraine, la révolte en direct sur l’internet

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à Kiev le 28 janvier 2014 (Photo : Aris Messinis)

[29/01/2014 06:49:07] Kiev (AFP) L’image, parfois floue, tremble, mais on distingue les cocktails Molotov qui volent ou les policiers anti-émeutes qui lancent l’assaut. En Ukraine, la révolte est filmée par les smartphones et diffusée en direct sur l’internet.

Les chaînes de télévision sur le web ont fleuri depuis le début de la contestation et proposent des heures de programme en direct animées par des présentateurs, micro-casque sur la tête, dans des studios improvisées.

Surtout, elles retransmettent en direct des images du mouvement, comme le faisait en 2004 la chaîne d’opposition Kanal 5, première télévision à relayer la Révolution orange qui a porté au pouvoir des pro-occidentaux.

Ironie du sort pour Kanal 5, toujours très active: elle reprend désormais souvent sur son antenne les flux que proposent ces chaînes web en “streaming”, comme Espreso TV.

Le contenu de ces canaux a suivi l’évolution du mouvement. Si on y voyait surtout il y a deux mois les images de la foule rassemblée place de l’Indépendance dans une atmosphère bonne enfant, leur antenne est désormais rythmée par les assauts des policiers anti-émeutes sur les barricades des contestataires ou les prises de bâtiments publics, ministères à Kiev et administrations régionales en province.

Et la diffusion de ces images a constitué un important relais de la contestation, lui donnant une résonance internationale et contribuant à sa propagation à travers le pays.

Sur le terrain, pour chaque manifestant qui lance un cocktail Molotov ou tombe sous les coups de matraque de la police, plusieurs autres filment la scène avec leur téléphone portable.

Les autorités réagissent

“C’est une technologie disponible pour les manifestants et ils l’utilisent pour la diffuser aux autres régions”, explique Olga Onuch, chercheur au Nuffield College de l’université d’Oxford (Royaume-Uni), qui étudie l’utilisation de l’internet.

“Cela donne au spectateur l’impression de participer et leur permet d’accéder aux zones de manifestation 24 heures et 24 et 7 jours sur 7”, poursuit-elle.

Revers de la médaille, l’internet et les réseaux sociaux ont aussi servi de catalyseurs à la diffusion des rumeurs, relève Mme Onuch.

Elle cite l’exemple d’une photographie, qui a fait le tour des réseaux sociaux, d’un homme présenté comme un tireur d’élite russe qui aurait tiré sur les contestataires pendant les heurts meurtriers qui ont secoué Kiev. Un tel incident n’a jamais été confirmé.

Et si les recherches menées par Mme Onuch ont montré que l’internet constitue bien la première source d’information pour les manifestants, leur participation au mouvement dépend plus des coups de téléphones ou des SMS reçus.

Elle relativise aussi l’explosion de l’utilisation de Twitter, peu connu en Ukraine, à l’occasion des manifestations. “Une hausse de quelques centaines de milliers d’utilisateurs reste modeste dans un pays de 45 millions d’habitants.”

Les autorités ont semblé prendre cette menace au sérieux, adoptant de sévères lois anticontestation punissant la diffamation sur la toile qui ont finalement été abrogées mardi.

Pour autant, “ils ont été incapables de bloquer l’internet comme cela a été fait en Egypte et en Turquie” lors de mouvements ces dernières années, souligne Mme Onuch.

Selon une étude publiée cette semaine par la société TNS Ukraine, 83,7% des personnes interrogées ont indiqué s’informer sur les manifestations sur l’internet, soit bien plus que par la télévision, la radio ou même les proches.

“Il y a eu un bond de l’utilisation de l’internet pendant la crise politique, surtout sur les sites d’informations”, souligne Ivan Mateiko, de TNS Ukraine.

Le site Ukraïnska Pravda, en première ligne de la contestation et dont une journaliste a été battue en décembre, a fait état de la multiplication par dix du nombre de visiteurs arrivés sur ses pages via un lien sur Facebook ou Twitter ces dernières semaines.

Les réseaux sociaux ont donné un écho au mouvement bien au delà de l’Ukraine. Pour la première fois cette semaine, un “hashtag” (mot-clé) lié à l’Ukraine, #digitalmaidan, est entré dans la liste des plus partagés dans le monde sur Twitter, relayé par la diaspora ukrainienne à l’étranger.

Il a été employé mardi soir par le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, qui a souhaité, en ukrainien, sur son compte Twitter, que “les aspirations démocratiques du peuple ukrainien soient entendues”.