OPINION – Tunisie – Assassinat de Mohamed Brahmi : A qui profite le crime?!

brahmi-assassinat.jpgUne certitude: le commanditaire du lâche assassinat du sympathique député Mohamed Brahmi, surnommé «le Qatari» par son large public en raison de son look, est le moins qu’on puisse dire, un islamiste nihiliste diabolique. Et pour cause. Ce meurtre est une véritable bombe à fragmentation tant il porte préjudice aux intérêts de moult parties. Nous en retenons quatre.

Premièrement, cet assassinat porte un coup dur aux républicains tunisiens en ce sens où l’ignoble crime a eu lieu le jour du 56ème anniversaire de la proclamation de la République que la société civile avait décidé, pour la première fois dans l’histoire du pays, de s’en approprier la célébration. Ce meurtre, en ce jour fort symbolique pour les Tunisiens, ne peut que porter la signature de la mouvance islamiste (Ennahdha et dérivés) laquelle, depuis son accès au pouvoir en Tunisie, s’est toujours souciée d’instaurer en Tunisie un émirat islamiste devant appliquer la Chariaâ et dépendre d’un pouvoir central régional, en l’occurrence le 6ème califat. Le message est, ici, très clair: l’islam politique n’est pas républicain et ne le sera jamais. Les soupçons se portent, ainsi, sur Ennahdha qui s’est illustré, depuis son accès au pouvoir, par son aversion pour la célébration des fêtes nationales.

Deuxièmement, ce meurtre vient discréditer la police tunisienne. Le commanditaire l’a narguée de la manière la plus humiliante en utilisant la même arme qui avait été utilisée pour assassiner le leader Chokri Belaid. Il s’agit d’un véritable défi que les assassins et leur commanditaire lancent aux policiers tunisiens. L’objectif est de les démoraliser et de leur prouver qu’ils sont et seront impuissants devant ces zombies de la mort. Là aussi des doutes de plus en plus confirmés planent quant à l’existence d’une police parallèle nahdhaouie obéissant non pas aux ordres du ministère de l’Intérieur mais à ceux de Montplaisir (siège du parti Ennahdha).

Conséquence: les policiers tunisiens, infiltrés par des nahdhaouis, auraient été trahis par leurs propres collègues partisans.

Autre élément d’information de taille : les assassinats de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi ont eu lieu tous les deux dans le district de police de l’Ariana, ce qui suscité bien des interrogations…

Troisièmement, l’assassinat de Mohamed Brahmi semble sonner le glas d’Ennahdha et de l’islam politique en Tunisie, du moins annoncer le processus de sa disparition, à moyen terme, du paysage politique en Tunisie, et ce au regard des dégâts multidimensionnels occasionnés, depuis deux ans au pouvoir.

Pour revenir à l’abject assassinat, les fréristes au pouvoir (nahdhaouis) ont commis une grave erreur en chargeant leur sbire, le soi-disant ministre indépendant de l’Intérieur, de désigner, maladroitement, un bouc émissaire dans cette affaire. Il s’agirait, en l’occurrence, d’un élément d’Ansar Châria d’Abou Yadh. Au delà du démenti apporté par ce courant islamiste extrémiste, objectivement, Ansar Chariâa n’avait aucun intérêt à tuer Mohamed Brahmi, un musulman pratiquant parfait. Ce dernier, une personne pieuse qui a fait à maintes reprises le grand pèlerinage (4 fois) et le petit pèlerinage (Omra), ne cadre pas avec le profil auquel ce courant s’oppose généralement.

La seule partie qui avait intérêt à le faire n’est autre que le parti Ennahdha dans le mesure où Mohamed Brahmi était une des rares personnalités politiques à soutenir le limogeage des fréristes égyptiens et la déposition de leur ex-président Morsy par leur armée. Pour les nahdhaouis, c’était une ligne rouge qui avait accéléré son arrêt de mort lequel intervenait après l’appel au meurtre lancé en public par Sahbi Atig le président du groupe parlementaire nahdhaoui à l’Assemblée nationale constituante (ANC), à tous ceux qui soutiendraient le scénario égyptien et envisager sa reproduction en Tunisie.

Là aussi la responsabilité des nahdhaouis au pouvoir est engagée de la plus belle manière. A ce propos, Gilbert Naccache, figure de proue de la gauche révolutionnaire tunisienne, estime que «Si la responsabilité politique de tout le gouvernement et des présidents de la République et de l’ANC est patente dans l’assassinat de Mohamed Brahmi, celle de Nahdha ne fait pas le moindre doute: par sa dénonciation hystérique des opposants, par les efforts qu’elle a déployés pour couvrir les agissements criminels des LPR, par les discours de haine, par son soutien à Sahbi Atig…».

Quatrièmement, l’assassinat de Mohamed Brahmi a été à la fois une tragique et “précieuse“ opportunité pour se ressaisir et reprendre du poil de la bête. Ecrasée, durant deux ans environ, par un parti majoritaire aux relents dictatoriaux, et frustrée d’être impuissante devant le projet de dictature que les nahdhaouis s’emploient à mettre en place, l’opposition, forte d’un appui populaire inespéré, a retrouvé l’esprit d’initiative et décidé de rattraper le temps perdu.

C’est comme dans un match de football. Face à un adversaire conquérant et gagnant comme Ennahdha, l’opposition démunie dès le commencement et sans avoir fait beaucoup de jeu, vient de marquer, à la dernière minute des prolongations (la légitimité électorale étant finie le 23 octobre 2012), un point qui a son pesant d’or grâce à une erreur fatale de la défense nahdhaouie. L’heure est désormais aux penalties.

Cela explique pourquoi elle a placé la barre très haut dans ses revendications et décidé de n’accepter un retour à la normale que lorsque le gouvernement et l’Assemblée nationale constituante seront dissous. Pour elle, le gouvernement en place, de par sa tendance à mettre la main sur tous les rouages de l’Etat (nominations partisanes à tous les niveaux) et l’ANC, de par sa tendance, à gagner du temps et à tout faire pour élaborer une Constitution à la mesure des intérêts nahdhaouis et leurs supplétifs, n’inspirent aucune confiance et ne font que préparer le terrain à une nouvelle dictature certaine qui pourrait durer plus longtemps que celle de Ben Ali.

D’où l’enjeu pour l’opposition d’anticiper sur ce projet démoniaque en essayant au moins de neutraliser le gouvernement lequel, une fois réellement indépendant, serait la seule garantie à même d’assurer la neutralité de l’administration, et partant, l’organisation d’élections démocratiques et transparentes.…