Tunisie : Un Ramadan sans cafés ni restaurants!

Les interrogations se multiplient à l’approche de Ramadan et s’accentuent même au vu des dernières déclarations du ministre des Affaires religieuses, Noreddine Khademi qui recommande «de ne pas ouvrir les cafés et les restaurants pendant le mois de Ramadan».

L’information fait le tour de la Toile et amplifie une certaine appréhension qui a commencé l’année dernière avec le refus de servir des musulmans et même des non-musulmans, par peur ou par intimidation ou croyance, dans plusieurs endroits du pays.

A Hammamet, le célèbre café «Sidi Bou Hdid» a fermé ses portes au désespoir de nombreux touristes qui regrettaient de ne pas avoir été informés à l’avance. A Korba, une pâtisserie précise que la consommation sur place pour les Tunisiens est interdite, et un restaurant touristique à Nabeul a refusé de servir une bouteille de vin à un couple de touristes non-musulmans sous prétexte qu’un Tunisien était assis à leur table.

Dans la capitale et du côté de l’avenue Habib Bourguiba, il n’y avait que deux cafés qui sont restés ouverts. A l’intérieur, l’air y était irrespirable que l’on tournait de l’œil à peine l’on y pénétrait. Il est inutile de revenir en détails sur les tarifs appliqués et le service qui y est assuré. Sur l’avenue principale du pays, les chaises sont pliées, les parasols sont en berne et les tables groupées. L’ensemble affiche un air de ville abandonnée et meurtrie.

Quelqu’un se soucie-t-il de l’esthétique de la ville ou de son attractivité? La Tunisie reste-t-elle une destination touristique durant Ramadan ou cet état de «grâce» lui sera désormais particulièrement retiré? Que font les malades, les femmes enceintes, ceux qui ne veulent pas jeûner, et les touristes alors? Où ces derniers en particulier peuvent-ils se restaurer? Tiens, François Hollande, alors qu’il était en visite en Tunisie, invitait les Français à venir nombreux passer l’été chez nous, surtout qu’il considère que «l’islam et démocratie sont compatibles». Mais bon, passons!

Alors que de nombreuses initiatives pourraient être prises pour faire du pays une vraie destination ramadanesque avec un vrai focus sur les festivals, la cuisine et les traditions populaires…, la situation actuelle est en passe de devenir critique en ce sens où les non jeûneurs deviennent traqués partout et que les villes ressemblent à des zones fantômes qui font fuir au lieu de respirer la vie, la générosité et la solidarité si précieuses durant le mois saint entre les humains.

N’y a-t-il pas d’autres moyens pour rendre les cafés ouverts discrets mais agréables? Ne suffirait-il pas de mettre des grands pots de fleurs ou des stores pour que l’ensemble reste attrayant? Pareilles suggestions peuvent paraître farfelues quand on se souvient des propos non moins farfelues du président de l’Association centriste de sensibilisation et de réforme, Adel Almi, autoproclamé défenseur des «bonnes mœurs», qui prône des caméras de surveillance pour traquer les “fattaras” (les non-jeûneurs pendant le mois de Ramadan)!

Pour en revenir à la polémique qui va sûrement grossir dans les prochains jours, l’intimidation prend diverses formes. Cela commence avec une campagne contre les cafés et les restaurants qui se hasarderaient à rester ouverts pendant ramadhan par des menaces. Ahmed D, cafetier, le reconnaît du bout des lèvres en disant: «De toutes façons, je ne peux travailler 24H/24. Je préfère ne pas tenter le diable et rester fermé. En plus, le soir, mon café est bondé jusqu’au petit matin… Alors à quoi bon? Ils risqueraient de tout casser …». Mais qui “ils“? Bien entendu, il évitera de répondre à la question.

L’année dernière, le Mufti de la République a appelé aux cafetiers et gargotiers de fermer leurs portes «pour ne provoquer personne». Le ministère des Affaires religieuses a prôné le contraire. Cette année les cartes sont redistribuées.

A l’heure actuelle, la question est de savoir comment la Tunisie, pays de tolérance et d’ouverture, va continuer de négocier ce tournant entre tolérance et repli identitaire. L’étape est cruciale, il s’agit de ne pas balayer avec la transition démocratique l’islam à la tunisienne. Un islam de la diversité et de l’ouverture.