Tunisie-Administration-Ennahdha : La désintégration de l’Etat …

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«Ennahdha n’a voulu écouter personne et s’est révélée incompétente. Elle a limogé des technocrates compétents et les a remplacés par ses fidèles qui n’ont que des années de prison pour seule compétence». Samir Taieb, porte-parole du parti Al Massar, ne croyait pas si bien dire à quelques exceptions près. Et pour illustrer ses affirmations, il a présenté l’exemple de Kais Dali, ancien PDG de la CPG, limogé parce qu’il a voulu préserver les deniers publics en insistant sur le transport du phosphate par les wagons des chemins de fer et non par les gros engins dont les propriétaires sont des sympathisants du parti au pouvoir.

Sur les réseaux sociaux, ces pratiques de plus en plus courantes suivies par le gouvernement nahdhaoui sont dénoncées. On vient d’ailleurs de publier un document attestant que les fils du député d’Ennahdha, Walid Bannani, viennent d’être recrutés par la Pharmacie centrale. Une information mensongère, prétendent certains responsables de la Pharmacie centrale. Mais ce n’est qu’une question de temps avant de déceler le vrai du faux…

Il faut reconnaître par ailleurs que la doctrine des frères musulmans de laquelle s’est inspiré le parti Ennahdha porte en elle tous les ingrédients visant l’infiltration de tous les centres de décisions par les fidèles du parti. Rached Ghannouchi, son président, en avait discuté franchement avec les représentants des mouvements salafistes. En substance, il leur disait “patientez le temps que nous arrivions à contrôler tous les rouages de l’Etat“. Parmi les idées maîtresses de l’entretien: “les médias, la police et l’armée sont encore détenus par les Laïcs tout comme l’économie et l’Administration tunisiennes!”.

Ghannouchi a-t-il donné des instructions à ses ministres disciples pour faire le ménage dans leurs administrations et désigner les fidèles en lieu et place des compétences et technocrates? Dans la réalité, les exemples sont légion et nous avons tous assisté à la valse des PDG, des directeurs généraux et des administrateurs dans pratiquement tous les ministères dirigés par des nahdhaouis. Certains estiment l’infiltration de l’Administration tunisienne par Ennahdha à hauteur de 2%, d’autres à 15%. Les chiffres ne sont pas précis mais l’infiltration, elle, est réelle.

Le Décret n°2012-3256 du 13 décembre 2012, fixant les procédures de réintégration des agents publics ayant bénéficié de l’amnistie générale et de régularisation de leurs situations administratives a beaucoup aidé dans ce sens. Il stipule, entre autres, que «les agents publics ayant bénéficié de l’amnistie générale et en tenant compte de leurs situations administratives respectives, doivent être réintégrés dans les postes qu’ils occupaient avant la cessation de leur activité, et ce même en surnombre. Ils bénéficient du même avancement que leurs homologues, et ce à compter de la date de cessation de l’activité jusqu’à la date de réintégration». Ce qui revient à dire qu’ils peuvent être désignés dans des postes dont ils n’ont pas accompagné l’évolution, et dans lesquels ils n’ont pas été acteurs ou concepteurs de programmes ou de stratégies.

Prenez l’exemple d’un ouvrier accusé d’acte terroriste ou de complot contre l’Etat en 1990, il va se retrouver en 2013 nommé au poste d’administrateur et bénéficiant de tous les avantages dont ont bénéficié ses confrères qui ont participé à des concours et prouvé leurs aptitudes à avancer dans l’échelon administratif. Est-ce logique? Oui c’est la logique des Frères.

Un exemple scandaleux : le limogeage du directeur général de la Coopération internationale au M.E.S

Jelel Ezzine, professeur à l’ENIT, détenteur d’un PHD aux Etats-Unis, représente l’exemple type du bradage de l’Administration nahdhaoui des principes élémentaires du respect des compétences et de l’indépendance d’esprit des hauts commis de l’Etat.

En 2003, directeur adjoint des études à l’ENIT, Jelel Ezzine a été nommé en 2005 directeur à la Coopération internationale du ministère de l’Enseignement supérieur avant d’en devenir le directeur général en 2009. Il n’a jamais été un activiste politique, ni un «Zelm» de l’ancien régime. C’était seulement un Tunisien patriote qui est rentré des Etats-Unis, sacrifié une carrière de professeur bien rémunéré en Arabie Saoudite pour servir son pays.

Et c’est Moncef Ben Salem resté pendant plus de vingt ans hors circuit universitaire qui a jugé au bout d’une année d’exercice que l’homme en question n’assurait pas.

Jelel Ezzine, technocrate reconnu à l’international, expert auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique, et qui a tenu tête à Gordon Gray, ambassadeur des USA pour protéger les intérêts de la Tunisie (Voir entretien Jelel Ezzine/Gordon Gray sur le site Wikileaks), a géré entre 2005 et 2009 le budget consacré à la recherche universitaire et soutenu toutes les unités de recherches au sein des universités tunisiennes. Il a été l’architecte des écoles doctorales dans notre pays, ce qui représente le couronnement des structures universitaires en Tunisie.

Dans le rapport de 20 pages envoyé par Pr Ezzine au ministre de l’Enseignement supérieur et au chef du gouvernement, publié sur son blog (http://jasminrevolution.blogspot.com/2013/05/official-report-regarding-my-discharge.html), en réponse à la lettre de révocation qu’il avait reçue, ce dernier s’étonne de l’argumentaire dans lequel il n’aurait prétendument pas réalisé les objectifs de la direction.

Parmi les réalisations les plus importantes de la Direction générale de la coopération internationale que nous ne pouvons pas toutes citer (voir lien), figurent le lancement de la coopération avec les instituts allemands de recherche dans l’industrie et principalement dans les domaines des nouvelles énergies, un accord conclu avec la République Sud-africaine dans le secteur de la recherche et principalement médicale, la création avec les voisins algériens d’un comité de prospective dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche universitaire et signature d’un contrat avec la Libye en vue de doter les universités libyennes de cadres et d’experts tunisiens dès rétablissement de la situation sécuritaire, et réaffirmation de la présence de l’Etat.

Jelel Ezzine n’est pas le seul à avoir pâti des traitements spéciaux octroyés par les ministres d’Ennahdha aux compétences, il y en a d’autres, des centaines et des milliers de Jelel Ezzine, partout et dans tous les ministères. Ils ont été «congelés» et abandonnés à leur propre sort.

Et alors que 25 avocats se sont mobilisés juste après le 14 janvier pour faire la chasse aux sorcières, ces mêmes avocats tiennent aujourd’hui une posture inerte, et se complaisent dans un attentisme total face à la destruction étudiée et systématique de l’Administration tunisienne. La seule qui a pu résister et tenir le pays. Ceux-là mêmes qui ont fait la Kasbah II pour mettre à bas l’ancien régime devraient aujourd’hui réagir face à la désintégration de l’Etat. Ou est-ce plus gratifiant de s’attaquer aux hommes d’affaires et aux politiques que de défendre les compétences de l’Etat?

Car le projet des Frères est en marche, c’est un TGV propulsé par le mirage du Khalifat que rien n’arrêtera. Citant une étude des Frères musulmans faite par Malek Bennabi, Youssef Girard écrivait : «Les Frères Musulmans se donnaient pour tâche de défendre l’islam (politique) tant sur le plan spirituel et éducatif que politique. Afin de défendre ce but, ils déployèrent de nombreuses activités dans différents domaines: l’éducation par la fondation des écoles, par le biais des médias et une participation directe à la vie politique égyptienne. L’association se divisa en plusieurs branches -Travail, Paysans, Familles, Etudiants, ou encore Presse et traduction- afin de mener son activité. Toutefois, l’association des Frères Musulmans connut de nombreuses évolutions au cours de son histoire». Ce sont là les directives d’Hassan El Banna, fondateur du mouvement des Frères musulmans.

Ceci ne date donc pas d’aujourd’hui, l’histoire des Frères est jalonnée d’infiltrations aussi bien dans les hautes sphères décisionnelles sécuritaires et militaires qu’administratives. Il n’y a pas longtemps, les médias américains dénonçaient l’infiltration de l’Administration OBAMA par la confrérie islamiste. A se demander si le président américain, lui-même, n’est pas en fait un islamiste qui s’ignore…