Tunisie : La fronde des cadres du pays


av_gov_tr-27042013-l.jpg“Je
suis pour le consensus. Le consensus sur ce que je veux faire”. Cette profession
de foi, lâchée, un jour, par l’’ancien Premier ministre conservateur
britannique, Margaret Thatcher, et remise à l’esprit, ces derniers jours, à
l’occasion du décès de la «dame de fer» à l’âge de 87 ans, m’a parue d’une
grande actualité en Tunisie. Cette maxime de l’intransigeante Maggie rappelle à
un point près le comportement de la Troïka, particulièrement du parti
majoritaire,
Ennahdha. Ce dernier ne cesse de ressasser, dans les médias, qu’il
est pour le consensus alors que dans les faits il n’écoute que lui-même et ne
fait que ce qui lui convient.

Saisis par eux-mêmes et grisés par le pouvoir, les nahdhaouis en ont, tout
simplement, usé et abusé.

Cette tendance fâcheuse dont les Tunisiens avertis étaient convaincus, depuis
belle lurette, est devenue, ces jours-ci, flagrante, voire criarde. L’heure est
hélas grave. De plus en plus nombreux, députés, journalistes, avocats/juges,
syndicalistes… en ont ras-le-bal et commencent à le crier sur les toits.

Les députés de l’opposition, bernés par des constituants nahdhaouis enclins à
gagner du temps et à mouiller les affaires, ont été les premiers à réagir et à
dénoncer ces pratiques annonciatrices d’une dictature certaine.

C’est dans cet esprit que s’inscrit la démission, lundi dernier, du député du
Mouvement des démocrates socialistes, Ahmed Khaskhoussi, de la Commission de la
justice, administrative, financière et constitutionnelle.

Il a expliqué son acte par l’inutilité de sa présence dans cette commission et
indiqué que sa présence au sein de cette commission, tout comme celle du reste
de ses collègues opposants, «ne change strictement rien». «Nous sommes tout
juste des éléments pour le décor et ce qui se passe à l’intérieur de l’Assemblée
est une forme de violence», a-t-il déclaré.

Idem pour les députés Lazhar Chemli, Souhir Dardouri, Iyed Dahmani, Khemais
Kssila, Noômen Fehri, Salma Mabrouk, Nadia Chaabene, Samia Abbou qui ont
démissionné de la commission d’enquête sur les incidents violents qui ont eu
lieu le 9 avril 2012.

Ils ont motivé leur démission par la non-activation des mécanismes juridiques
devant leur permettre d’effectuer leur mission et de dévoiler toute la vérité
sur ces événements.

Au rayon des syndicalistes, la centrale syndicale, irritée par la tendance du
gouvernement à couvrir les membres des Ligues de protection de la révolution (LPR)
et les nahdhaouis impliqués dans l’agression perpétrée, le 4 décembre 2012,
contre le siège de la centrale syndicale, et à gagner du temps, a décidé de
publier, le 6 avril 2013, c’est-à-dire 4 mois après les événements, de façon
unilatérale son rapport alors que, selon l’accord conclu, l’UGTT et le
gouvernement devaient rendre public un rapport commun.

Sans surprise, le rapport de la centrale syndicale, qui s’appuie sur des
rapports de la police, incrimine les Ligues de protection de la révolution (LPR)
et des éléments nahdhaouis.

Les magistrats, de leur côté, ont été amenés à observer, le 28 mars 2013, une
grève générale -bien une grève générale- pour protester contre la proposition
des partis de la Troïka de nommer des représentants des pouvoirs exécutif et
législatif dans la composition de la future Instance indépendante de la
magistrature. Ils estiment que cette Instance ne peut être indépendante qu’en
respectant sa composition qui ne doit inclure que des magistrats.

Les journalistes sont également furieux contre la Troïka. La mise en place de la
Haute autorité indépendante pour la communauté audiovisuelle (HAICA) a trop
traîné. La présidence, qui gère le dossier, subit la pression des nahdhaouis
pour qui les représentants des journalistes ne sont pas de son goût et doivent
être remplacés même en violant la loi. Selon les informations du syndicat, la
présidence manœuvre pour remplacer, illégalement, un de ses représentants par un
autre proposé par ses soins.

Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) estime avoir fait le
maximum de concessions, respecté la loi qui stipule que le syndicat a le droit
de nommer en toute indépendance deux représentants et menace de boycotter la
future HAICA au cas où la loi régissant sa composition serait violée.

Les avocats ne sont pas dans une meilleure posture. Le bâtonnier de l’Ordre
national des avocats tunisiens, Chawki Tabib, a évoqué, le 11 mars 2013,
«l’absence de transparence dans l’affaire relative à la suppléance des avocats
dans les institutions étatiques. Selon Chawki Tabib, cette affaire représente,
aujourd’hui, un enjeu de 50 millions de dinars, distribués aux avocats proches
du gouvernement et qui sont pistonnés par cinq ministres de l’ancien
gouvernement.

D’après lui, ces pratiques qui prévalaient durant le régime de Ben Ali, et qui
ont été abolies par le gouvernement de Mohamed Ghannouchi, refont surface
aujourd’hui. «Les avocats sont nommés, pour représenter les institutions
étatiques, en fonction de leur loyauté au gouvernement», a-t-il-dit.

Même les avocats de l’Etat sont mécontents. Les conseillers rapporteurs auprès
des services du contentieux de l’Etat ont observé un sit-in devant le palais du
gouvernement à La Kasbah, pour protester contre la marginalisation des services
du chef du contentieux de l’Etat, la dégradation de la situation matérielle et
morale des membres du corps et surtout la politique d’atermoiement adoptée par
le gouvernement qui traîne du pied avant de soumettre à l’ANC un projet de loi
portant création d’une Instance du contentieux de l’Etat.

Cela dit, par delà les doléances des uns et des autres, il y a là une véritable
fronde des cadres du pays. Il y a là plus qu’une protestations, une véritable
résistance à cet acharnement inégalé des nahdhaouis à monopoliser les rouages de
l’Etat, à leur ferme détermination à contrôler, par tous les moyens, la société
civile et les organisations professionnelles, à leur intransigeance à refuser,
de fait et de juré, le consensus et le compromis. Il y a hélas péril en la
demeure.