L’amour en ligne défie les tabous dans la douleur au Pakistan

photo_1355695349261-1-1.jpg
à Muzaffarabad (Photo : Sajjad Qayyum)

[16/12/2012 22:06:35] MUZAFFARABAD (Pakistan) (AFP) Sania n’était qu’une étudiante lorsqu’elle a rencontré Mohammed sur un forum en ligne. Ils sont tombés amoureux, puis se sont mariés, défiant nombre d’interdits au Pakistan, une société conservatrice où les fiancés sont choisis par les familles.

En Occident, les sites de socialisation sont devenus des “lieux” normaux, communs, pour rencontrer l’âme soeur ou papillonner.

Mais pour Sania, 22 ans, fille d’un chauffeur de camion pakistanais, la romance en ligne s’est traduite par des gifles et des menaces de mort de sa propre famille. Et une nouvelle vie loin des siens dans l’anonymat.

“Chez nous, personne ne peut se marier à quelqu’un d’étranger (à la famille). C’est dans nos traditions”, confie la jeune femme à l’AFP. Sania vient de Rawalpindi, ville jumelle de la capitale Islamabad, dans la province du Pendjab; Mohammed, lui, est de Muzaffarabad dans la partie du Cachemire administrée par le Pakistan.

Ils se sont rencontrés en ligne, ont échangé des textos et demandé des années durant à leurs parents de les marier. En vain. Un beau jour, Sania a pris la poudre d’escampette et s’est rendue en car dans la ville de son Roméo.

“J’étais terrifiée pendant les quatre heures du trajet, je me disais que si ma famille me retrouvait, elle me tuerait”, se souvient-elle.

Son amoureux l’a cueillie à son arrivée et ils se sont aussitôt mariés. La famille de Mohammed a accepté leur union, mais celle de Sania ne décolère pas. Deux ans après leur brève lune de miel, le couple vit toujours dans la peur.

La famille de Sania l’a ramenée à deux reprises à Rawalpindi dans l’espoir de la persuader d’abandonner sa relation. “La dernière fois, ils m’ont gardée trois mois et ont exercé une pression énorme pour que je divorce… mais j’ai réussi à prendre la fuite”, encore, relate-t-elle.

Sania et Mohammed ont depuis changé leur numéro de téléphone, se sont installés dans un quartier pauvre de Muzaffarabad et ne s’aventurent guère à l’extérieur de la ville.

Au Pakistan, les mariages sont souvent “arrangés” par les familles. Et les femmes qui se marient sans l’accord de leurs parents sont ostracisées, voire tuées, pour avoir “déshonoré” leur famille.

Mariages internet

Or à l’ère des réseaux sociaux, il est désormais plus facile de rencontrer l’âme soeur, d’échanger des photos et d’alimenter en privé une relation à l’extérieur du cercle de la grande famille et du jeu des alliances.

“Les mariages internet sont une nouvelle tendance au Pakistan. Les nouvelles technologies sont entrées dans nos maisons et le tabou (sur les mariages) commence à disparaître dans les familles éduquées et influentes”, explique Mohammad Zaman, sociologue à l’Université Quaid-e-Azam, à Islamabad.

“Il y a une forme d’émancipation sociale. Les jeunes veulent avoir leur mot à dire dans le choix de leur partenaire”, ajoute-t-il, précisant que les parents demeuraient plus ouverts au choix des jeunes hommes.

La liberté procurée par internet se heurte aussi à la géopolitique, a appris Tahir. L’homme de 26 ans a rencontré sur Facebook une jeune universitaire, Nazia. Ils ont échangé via le service de téléphonie sur internet Skype. Avec un hic, majeur: son amoureuse vit dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde, ennemi historique du Pakistan, de l’autre côté d’une des frontières les plus militarisées au monde dans l’Himalaya.

Les deux pays se sont affrontés à plusieurs reprises pour le contrôle du Cachemire, la dernière fois en 1999. La situation s’est depuis apaisée, mais la circulation d’une région à l’autre demeure strictement contrôlée. Les voyageurs doivent obtenir un permis gouvernemental et emprunter l’autocar qui fait le trajet une fois par semaine entre Muzaffarabad et Srinagar, la capitale du Cachemire indien.

Le mois dernier, une Indienne de 22 ans a été arrêtée et détenue, selon les médias locaux, après avoir tenté de traverser la “Ligne de contrôle” qui sépare les deux régions pour aller rejoindre son petit ami rencontré sur Facebook, vivant dans la portion pakistanaise du Cachemire.

Si internet était le seul lieu où lui et sa douce pouvaient se rencontrer, le Cachemire est probablement le seul endroit où ils ne pourront jamais se voir en personne.

“Nous venons du Cachemire et avons plein de choses en commun, mais nous ne pouvons pas nous rendre de leur côté et eux du nôtre… J’aime Nazia et je ne pense pas pouvoir vivre sans elle, mais notre relation n’a pas d’avenir”, regrette Tahir, un nom fictif.