Le maillon faible de l’entrepreneuriat en Tunisie

Par : Tallel


entreprise-291020121-l.jpgQu’est-ce
qui grippe la machine entrepreneuriale tunisienne? Pourtant, les conditions
théoriques pour que ça marche sont là, notamment l’existence de pépinières
d’entreprises ou incubateurs, une quarantaine au total.

Alors, pour répondre à cette question, nous avons rencontré Mustapha Mezghani,
expert international spécialiste en TIC et entreprenariat, directeur du cabinet
2CW. Il a participé à différentes études et missions relatives aux incubateurs
ou pépinières d’entreprises aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger.

M. Mezghani rappelle que nous avons un programme d’incubateurs qui date de 10
ans, et que notre pays possède le taux de pépinières d’entreprises par habitant
le plus élevé d’Afrique. «Sauf que là aussi on fait du nombre… sans efficacité.
Aujourd’hui, normalement, nous devrions nous situer dans un stade où on a
suffisamment de recul pour pouvoir avoir des évaluations de l’existant sauf
qu’aucune analyse qualitative n’a été faite jusqu’à aujourd’hui. On se contente
souvent d’annoncer le nombre d’entreprises incubées, jamais combien ont survécu
à leur troisième ou quatrième année“, regrette-t-il.

Selon lui, ces évaluations n’ont pas été faites –ou mal faites-, car si cela
avait été fait, ça nous aurait permis de constater que très peu d’entreprises
ont survécu à leur 3ème année.

Comparativement, il nous informe qu’en Afrique du Sud, par exemple, les études
ont montré qu’1 dollar investi dans l’incubation d’entreprise génère 5 dollars
de taxe. Toujours dans ce pays, 80% des entreprises ayant suivi un processus
d’incubation survivent à leur troisième année d’existence, contre 20% qui ne
suivent pas le processus.

Enchaînant sur les nouveaux programmes pour la création d’emplois et
d’entreprises, notre expert estime que «si on donne de l’argent (financement)
sans que les entreprises suivent un processus d’incubation, sans que les
entrepreneurs ne soient encadrés et accompagnés, sans qu’il y ait de suivi,
c’est non seulement de l’argent jeté par la fenêtre, mais surtout on ne fait que
reporter ou retarder le problème du chômage de 2 à 3 ans vu le fort taux de
mortalité qui sera enregistré».

Il nous explique cela par le fait que, en général, «les porteurs de projet ont
un profil de technicien mais manquent de compétence managériale; ils n’ont pas
de connaissances en gestion -qu’elle soit en Ressources Humaines, financière,
commerciale, de production ou de stock…». Et justement, le rôle de l’incubateur
c’est de permettre au porteur de projet, à l’entrepreneur, de développer ces
compétences à travers une formation (minimale) mais aussi et surtout de
l’accompagnement et de l’encadrement.

Notre interlocuteur évoque aussi un autre point important: le porteur de projet
a généralement une idée ou une technologie mais n’a pas le produit lui-même. Or
c’est un produit que le marché demande. «Donc, le rôle de l’incubateur c’est de
l’aider à confirmer son idée de produit, l’accompagner dans la préparation de
son business plan, et confirmer par ricochet que son idée est effectivement
convertie en produit commercialisable».

Selon M. Mezghani, la plupart des entreprises qui ne réussissent pas ou ferment
sont victimes de leur succès, c’est-à-dire d’une mauvaise planification
résultant d’un manque de compétences managériales.

Il souligne également que les services rendus par ces incubateurs sont très
limités: un hébergement de l’entreprise qui bénéficie des services communs, et
très peu d’accompagnement, voire pas du tout ou en deçà de la qualité désirée.

L’expert tunisien constate aussi que «ce n’est pas la faute aux responsables des
pépinières car ces derniers manquent d’expérience en entreprenariat. En règle
générale, ils viennent de l’administration ou sont recrutés pour la tâche alors
qu’ils viennent tout juste de sortir de l’université». Autrement dit, en raison
de leur manque d’expérience en entreprise, ce ne sont pas des gens capables
d’apporter un plus “pratique“ à l’entrepreneur… alors que sous d’autres cieux,
le responsable de l’incubateur est le premier vis-à-vis de l’entrepreneur, il
est à la fois son conseiller et son confident, et c’est lui qui lui prodigue les
conseils de premier niveau, voire plus. Ces directeurs d’incubateurs viennent
généralement du monde de l’industrie avec une expérience confirmée en tant que
numéro un ou numéro deux d’une entreprise. br>
L’expert va plus loin dans son analyse, il remet en cause le modèle d’incubateur
lui-même qui est à cheval entre l’APII et l’Université. Autrement dit, des
incubateurs publics gérés par des gens de l’administration. «De par leur
obligation, ces gens se doivent de respecter les procédures et ne peuvent, par
conséquent, être assez réactifs pour permettre le développement d’une entreprise
privée…», souligne-t-il.

Comme solution, M. Mezghani propose de revoir de fond en comble ce modèle et de
mettre en place un autre modèle fondé sur un partenariat public-privé (PPP), où
la gestion de la pépinière serait confiée à la partie privée comme cela a déjà
fait ses preuves ailleurs. «Il existe des modèles de PPP qui ont fait leurs
preuves sous d’autres cieux et il est dommage que la Tunisie n’en bénéficie pas
alors qu’ils ont été installés à l’étranger par des compétences tunisiennes».

Sera-t-il entendu? Rien n’est moins sûr. Mais comme disent les Anglo-saxons,
wait and see!