Tunisie : La pensée de Bourguiba…. Le rempart?


bourguiba-04042011-art.jpgL’irruption, encore une fois, du clivage Néo versus archéo va rythmer l’avenir
de la transition démocratique, dans notre pays. L’héritage
bourguibien peut-il
arbitrer cette bataille?

Alors que le sort de la transition démocratique se joue en ce moment même au
sein de l’ANC, quel est l’intérêt de réunir un sommet national sur la pensée de
Bourguiba, peut-on se demander ? Et dans le même ordre d’idées n’est-il pas
paradoxal de chercher à bâtir la démocratie avec l’arsenal bourguibien qui a
institué la collusion du parti unique et de l’Etat ?

Originalité historique, c’est à Monastir, sa ville natale, que Bourguiba a
essuyé la première dissidence des démocrates au sein du parti destourien lors de
son congrès en 1970. Et c’est à Monastir ce samedi 24 mars que beaucoup de
figures marquantes de cette dissidence avec à leur tête BCE s’essayent à un
travail de refondation de la pensée de Bourguiba.

Aller à Monastir c’est comme venir à Canossa, cela revient à valider l’actualité
du projet bourguibien ? Aller se ressourcer de la méthodologie du père de la
Tunisie moderne n’est pas fortuit. N’est-ce pas se préparer à un baroud
politique ? Ce symposium, en toute vraisemblance, se prolongera par une
confrontation de projets sur la scène publique qui appellera à l’arbitrage
populaire et dont on est réduit à espérer qu’il se tranchera par les urnes. Quel
sera l’après 24 mars ?

A l’actif de Bourguiba, sa méthodologie et la nature de son projet

Pour comprendre le Bourguibisme, il faut décrypter les témoignages des amis mais
également des opposants. Ses amis considèrent que sa méthode a triomphé.
Brillamment, clament-ils car les Tunisiens se sont émancipés par eux-mêmes. Ils
décrivent Bourguiba comme un esprit positif qui s’est armé de ce qu’il y a de
meilleur dans le monde développé, pour combattre ce qu’il y a de pire dans la
société tunisienne.

Avec le Bourguibisme, disent-ils, la société tunisienne s’arrogeait le droit à
l’auto affirmation/ détermination. Et de ce fait, ils considèrent qu’elle
s’inscrit en rupture totale par rapport à la démarche fataliste et perdante des
générations précédentes. En effet, la Tunisie moderne a institué la primauté de
la raison. C’est, de leur point de vue, une option ferme et sans retour pour le
progrès, un challenge pour le mouvement et une voie passante sur la trajectoire
du développement.

Ses détracteurs regardent cette réussite comme une rançon payée par le monde
occidental à Bourguiba pour le récompenser de son alignement. son succès,
relatif, n’est que le prix du renoncement identitaire que comporte son projet.

Au passif de Bourguiba, l’impasse démocratique et la répression

Pour mesurer la part de zone grise dans le bilan de Bourguiba, là encore le
mieux est de référer à ce qu’ont dit ses amis et ses opposants. Pour les
premiers, après la lumière il y eut l’arbitraire, ce qui a mis Bourguiba dans un
faux jour. Il a fait miroiter un projet démocratique et dans les faits, il a
sanglé la Constitution de 1959 à ses projets personnels. Ses détracteurs
invoquent la répression policière et l’oppression politique.

Pro-occidental, il s’éloignait de la cause arabe. Laïc, selon les plus cléments,
et maçonnique selon les plus acharnés de ses opposants, il nous a éloignés de
notre foi musulmane. Et par-dessus tout, sa mégalomanie a fait le lit de la
dictature de Ben Ali.

Comment appréhender le bilan bourguibien

Le solde du bilan de Bourguiba ne peut se comprendre que par un jugement
objectif. Bourguiba était irrité par la critique mais ne brimait pas la liberté
de pensée. L’émancipation de la femme a transformé la société tunisienne en la
désaliénant de ses anachronismes libérant ses énergies. Dans son film «Talathoun»
(Les années 30’) Fadhel Jaziri montre un Bourguiba qui relaie en politique, les
thése modernistes de penseurs tunisiens, de sciences humaines. Ses sources sont
donc nationales et son projet, par conséquent, n’est ni importé ni téléguidé de
l’extérieur, mais d’essence strictement tunisienne.

L’unité nationale a couronné l’œuvre de Bourguiba. Sous son règne et peut-être
pour la première fois dans l’histoire de notre pays, est apparu un « démos »
tunisien. Les choix politiques de Bourguiba ont été critiqués par certains pays
arabes. Ultérieurement ils ont fini par saluer leur pertinence. Bourguiba ne
nous a pas mis au ban de la société arabe ni de la société musulmane. Deux
Tunisiens, Pr chedly Klibi et Habib Chatty, ont présidé, respectivement
l’Organisation de l’unité arabe et l’Organisation de la communauté islamique.

Et tout en se lançant dans la compétition à l’échelle du monde Bourguiba ne
dirigeait son action contre aucun groupement de pays. Son objectif était que la
Tunisie rejoigne le cortège des nations développées, ce qui est la façon la plus
noble de lustrer le message de l’Islam et des Arabes. En somme il était porteur
d’un projet civilisationnel. Et ce qui est encore plus surprenant c’est que son
projet vicié par tant d’écarts autoritaires, dont la présidence à vie a débouché
sur des acquis que l’on n’obtient que dans des systèmes démocratiques. Et c’est
ce qui fait la force du projet bourguibien.

Stabilité et pérennité

Visionnaire, Bourguiba? Ses choix, à l’évidence, encore plus ses réalisations,
plaident en sa faveur. N’a-t-il pas bâti sa démarche sur la nécessité du fameux
rendez-vous avec l’histoire que nous n’avons plus le droit de rater. N’a-t-il
pas établi que les jeunes Etats ont besoin de stabilité et de pérennité pour se
sortir du sous développement.

N’a-t-il pas décrété la bataille du développement comme la mère des batailles. A
bien y regarder le projet bourguibien se trouve en ligne avec les exigences de
la révolution : liberté, dignité et prospérité. Bourguiba regarde devant. Les
autres propositions alternatives émises de-ci, de-là regardent derrière.

Bourguiba a cultivé l’individualité tunisienne sans effacer l’identité
arabo-musulmane des origines. Il a été à l’origine d’un «plus» citoyen qui a
soudé le peuple, pour la première fois de l’histoire de notre pays. Il a éduqué
les institutions de l’Etat et leurs dirigeants aux valeurs républicaines. Et
c’est un trait d’exception tunisien, et notre révolution l’a bien démontré.

De son vivant comme après sa mort, revoilà Bourguiba réengagé dans un combat
contre les forces rétro et archéo. Le projet bourguibien, c’est du comptant. Les
projets opposés, c’est l’aventure. Bourguiba rassemble et les autres clivent et
divisent la société tunisienne.

A Monastir il ne s’agit pas de lustrer le projet bourguibien mais de le caler en
antithèse aux idées passéistes. Pour cela, il n’y a pas d’autres moyens que de
se mettre en campagne et de relancer le contact direct avec le peuple, pour
rester dans la tradition bourguibienne. La pression populaire, seule est de
nature à ramener le consensus à l’ANC, là où se tranchera le débat. A défaut,
bonjour les dégâts.