Tunisie-Qatar (1/1) : Pourquoi l’émirat déchaîne-t-il tant les passions?

 

mouzit-9atar.jpgLe petit émirat du Qatar, qui fait moins de 15% du territoire tunisien et presque 10% de la population tunisienne, déchaîne les passions d’une partie des Tunisiens. Ce pays est soupçonné de nourrir une hégémonie tout en étant un bras américain dans la région arabe. Essai d’analyse.

La venue de l’Emir du Qatar en Tunisie pour la commémoration du premier anniversaire de la révolution du 14 janvier 2011 n’est pas passée –loin s’en faut- inaperçue. Elle a mobilisé nombre de Tunisiens dont certains ont voulu manifester leur colère contre cette arrivée. A Sfax, le jeudi 12 janvier, et à Tunis, le samedi 14 janvier 2012, premier anniversaire de la révolution. A Tunis, les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: «Le peuple tunisien est libre. Non à l’ingérence qatarie et américaine».

Dans ce même ordre d’idées, on ne peut interpréter, sans doute, autrement l’allocution de Houcine Abbassi, secrétaire général de l’UGTT, prononcé ce 14 janvier 2012, et dans laquelle il a mis en garde contre toute ingérence étrangère dans les affaires du pays, soulignant que «la Tunisie, qui a déclenché l’avènement du printemps arabe, sait mener à bien sa politique économique et sociale en toute indépendance».

Un rôle négatif dans la région arabe

Mais pourquoi cette arrivée déchaîne-t-elle tant les passions? La réponse est simple. On pourrait schématiquement dire parce que certains Tunisiens estiment que le Qatar s’immisce dans les affaires tunisiennes, croyant comme fer que ce petit émirat du Golfe arabe souhaite aliéner notre pays.

Précisons d’abord, toujours en schématisant, que deux grands courants politiques soupçonnent principalement le Qatar de jouer un rôle négatif dans la région arabe. Il s’agit des militants panarabes et des militants de gauche. Les uns et les autres, et encore dans la schématisation, soupçonnent le régime de l’Emir Hamad Bin Khalifa Al-Thani d’être au service de l’impérialisme américain.

Vrai ou faux? Quoiqu’il en soit, les uns et les autres s’appuient en cela sur un ensemble de faits alimentés par une riche et nombreuse littérature concernant le rôle que ne cesse de jouer un émirat désertique de 11.437 Km2 (moins de 15% du territoire tunisien) et presque 1,700 million habitants (presque 10% de la population tunisienne) dans la région arabe où il est au four et au moulin; un rôle qui dépasserait pour beaucoup sa vraie dimension, qu’elle soit géographique, stratégique, humaine, militaire, scientifique ou même économique. Le pays vit de la vente de ses ressources pétrolières et gazières et n’a pas d’industrie ni de savoir-faire qui valent le détour.

Que dit cette littérature, dont une partie, disons-le tout de suite, peut être contredite et dont nous exposons ci-après quelques fragments? Essentiellement que le Qatar est incontestablement un bras américain dans la région arabe. Les observateurs s’attardent, à ce propos, sur de nombreuses contradictions dans la politique qatarie.

Le Qatar défend la démocratie dans le monde arabe et vilipende, par le biais de sa chaîne Al Jazeera, propriété de la famille Al Thani, les régimes totalitaires arabes! Certes. Mais le pays ne répond pas réellement aux canons de la démocratie. Au Qatar, il y a une Constitution, depuis 2003, qui a institué –seulement- un “Majlis Al-Choura” (Conseil consultatif) dont trente des quarante-cinq membres sont élus au suffrage universel direct, les quinze autres étant nommés par l’émir. Cette Constitution interdisant la formation de partis politiques.

Al Jazeera, parlons-en. Une riche littérature évoque son rôle non seulement pour soutenir et soigner l’image des Islamistes ou Frères Musulmans avec lesquels l’Emir aurait conclu un accord pour asseoir son autorité dans la région, mais aussi pour faire accepter l’«ennemi israélien» en lui donnant la parole sur ses ondes. Une première –et une exception- pour une télévision arabe.

Des travaux universitaires ont décortiqué le parti pris d’Al Jazeera qui fait toujours prévaloir la position des Islamistes en recourant à des méthodes comme le silence. Ainsi, Al Jazeera n’aurait pas pipé mot sur cette soudanaise du nom de «Loubna», qui a été, fin 2010, condamnée à 50 coups de fouet parce qu’elle a osé porter un pantalon. Cherchez du reste des informations sur l’Etat du Qatar, vous n’en trouverez que rarement. On ne comprend pas toujours pourquoi! Sinon pour accréditer une thèse qui dit qu’Al Jazeera serait chargée d’une mission qui consiste à nuire certains régimes arabes et d’en préserver d’autres. A commencer par Qatar et… le Bahreïn voisin dont la chaîne a vite étouffé la révolte!

L’universitaire tunisien Moncef Ayari relève dans un excellent travail, publié en 2006 par l’ASBU (Union des radiodiffuseurs des Etats arabes), sur «Le traitement de l’information dans les chaînes de télévisons arabes, entre les exigences professionnelles et les orientations politiques» que les mouvements islamistes s’accaparent la part du lion dans les interviews diffusées par Al Jazeera.

Toujours concernant Al Jazeera, un de ses anciens dirigeants, le palestinien aux orientations islamistes, Wadah Kanfar, a été obligé de démissionner après qu’un câble de Wikileaks a révélé, en septembre 2011, qu’il est un interlocuteur des services de renseignement de l’armée américaine. Le document rend compte d’une réunion, à l’ambassade américaine au Qatar, le 19 octobre 2005, au cours de laquelle Wadah Kanfar «a promis de mettre un bémol à la rhétorique anti-américaine en vigueur sur sa chaîne» (voir notamment: Docteur Wadah et Mister Khanfar: l’insaisissable patron d’Al Jazeera annonce sa démission, lemonde.fr du 21.09.11)

Nous y reviendrons.