Tunisie : Temps de parole présidentiel (2/2)… Attention à la «pensée unique»!

 

dictature-1.jpgNous avons vu, dans un premier article, comment les médias se doivent de veiller à ce que la place occupée par le président de la République ne se fasse pas aux dépens de ses concurrents politiques. Il y va, sans doute, de la bonne marche du jeune édifice démocratique que tous les Tunisiens veulent construire depuis le 14 janvier 2011.

La question de la place des activités du président de la République dans les médias n’est pas nouvelle. Elle est posée dans tous les pays démocratiques. A commencer par la France, où le Conseil d’Etat avait contredit dans un arrêt, en date du 8 avril 2009, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), l’autorité de régulation de l’audiovisuel qui veille au respect notamment des règles déontologiques dans ce secteur.

Le Conseil d’Etat s’était vu obligé d’annuler une décision du CSA dans laquelle il refusait de comptabiliser les déclarations du chef de l’Etat français et de ses collaborateurs dans les médias dans celles du gouvernement. Etant donné que le CSA se devait de faire respecter dans l’audiovisuel la règle des trois tiers: un tiers pour le gouvernement, un tiers pour la majorité et un tiers pour l’opposition.

Elu au suffrage universel, le président de la République est considéré comme le président de tous les Français. Il est, donc, un «arbitre». La Constitution française stipule, à ce propos, qu’il «assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat».

Par sa décision, le Conseil d’Etat, ne l’a pas, donc, entendu de cette oreille en donnant raison à ceux qui, dans l’opposition, estimaient qu’il est «un capitaine»; en somme, un «membre du gouvernement».

Dans ce même ordre d’idées, des critiques ont été adressées au président Sarkozy, il y a un mois, par des responsables politiques de la gauche française, et à l’approche de l’élection présidentielle d’avril-mai 2012, concernant ce qu’ils ont jugé être une «entrée du président de la République en campagne» et le fait surtout de faire payer celle-ci par les deniers de l’Etat.

Le contexte incite à la prudence

Ce dernier se déplaçait, selon eux, à l’intérieur du pays aux frais du contribuable (frais de déplacements, organisations de réunions publiques,…) pour prêcher, toujours aux dires de certains socialistes, la bonne parole UMP (Union pour un Mouvement Populaire), le parti qui l’a fait élire et dont il est issu.

Retournons en Tunisie pour dire qu’une forte présence du chef de l’Etat dans les médias peut s’avérer dangereuse. D’autant plus que ce que nous observons, ces derniers jours, sous nos yeux, risque de perdurer. Inutile de préciser que le président de la République ne va pas arrêter de sitôt ses activités.

Entre ses audiences, ses discours et allocutions, ses visites en Tunisie, ses voyages à l’étrangers, ses interviews, ses inaugurations… il aura plus d’une occasion de figurer en bonne place dans tous les médias et d’occuper dans ces derniers une place de choix dont ses concurrents politiques ne peuvent sans doute pas rêver.

Inutile de préciser également que ces activités sont nécessaires: elles s’inscrivent dans le quotidien du président de la République qui est le président de tous les Tunisiens et qui a pour attributions de veiller à la bonne marche du pays.

Le contexte politique tunisien incite cependant à la prudence: élu, pour une période transitoire d’une année ou d’une année et demi, il pourra occuper le terrain politique beaucoup plus que ses concurrents politiques.

On peut imaginer la suite

D’où le danger de favoriser, à la longue, une «pensée unique» (l’expression est empruntée au journaliste Ignaco Ramonet, qui voit dans les médias un danger pour le pluralisme appelant à «un cinquième pouvoir» pour lutter contre les abus de ceux-ci) qui pourrait lui permettre de développer ses idées ou celles de son parti, le CPR (Congrès Pour la République) ou encore de la Troïka à laquelle son parti a adhéré (Ennahdah, Ettakatol et le CPR) beaucoup plus, donc, que celles de ses concurrents.

Arrêtons-nous, ici, un instant pour nous demander si le président Moncef Marzouki est dans son rôle d’arbitre lorsqu’il cite en exemple du CPR, le parti dont il a longtemps présidé aux destinées, vendredi 23 décembre 2011, lorsqu’il s’adresse aux chefs d’entreprise, réunis au siège de l’UTICA.

Le président de la République a en effet recommandé de ne pas alimenter la caisse des partis politiques en soulignant que le CPR est devenu la deuxième force politique du pays sans toucher à l’«argent politique».

On peut imaginer la suite: cet état de fait pourrait lui faciliter les choses à la fin de cette période transitoire qui pourrait être suivie d’une élection présidentielle.

Le danger est renforcé par le fait que par opportunisme, certains médias, cela est visible dans tous les pays du monde, ne soient pas tentés de jouer le jeu de la pluralité des opinions.

Sans tomber dans une paranoïa et sans voir partout le complot médiatique, il faut relever que les médias sont, quelquefois contre le gré, un vecteur privilégié de ce «soft-power» (la puissance douce), dont le concept est développé par Joseph Nye, en 1990, dans son ouvrage «Bound to Lead»; un pouvoir «qui ne fonctionne pas sur le mode de la coercition (la carotte et le bâton), mais sur celui de la cooptation, c’est-à-dire la capacité de faire en sorte que l’autre veuille la même chose que soi».

Cela reviendra, donc, en premier lieu, aux médias, et notamment aux médias audiovisuels publics, financés par la redevance, de veiller au respect d’un certain équilibre dans ce domaine. Il y va, sans doute, de la bonne marche et de la vigueur du jeune édifice démocratique que tous les Tunisiens veulent construire depuis le 14 janvier 2011.