Tunisie : Au secours de la Compagnie des phosphates de Gafsa!

Par : Tallel

cpg-gafsa-yazaki-1.jpgCe qui se passe dans la région de Gafsa depuis le soulèvement de Redeyef en janvier 2008 est loin d’être banal et mérite qu’on s’y arrête pour tenter une analyse de la situation, en dehors de toute polémique. Le départ de Yazaki et l’appel au secours lancé par la direction de la Compagnie des phosphates ne sont que deux nouveaux indicateurs de la gravité de la situation.

Voici en effet une région (Gafsa – Tozeur – Kébili), constituant l’angle sud-ouest du pays qui est, malgré les apparences, dotée de richesses naturelles très importantes, et d’une infrastructure non négligeable: deux aéroports internationaux, une ligne de chemin de fer qui les relie à deux ports de commerce, en l’occurrence Sfax et Gabès, l’étoile minière qui fournit les phosphates la plus grande richesse nationale, des oasis de plaines et de montagnes qui fournissent 200.000 tonnes de dattes par an en moyenne dans une large gamme de variétés, une zone touristique étendue originale et diversifiée entre ces oasis et le Sahara, un musée à Metlaoui et un autre à Tozeur, les Gorges du Thelja où le train Beylical dit «le Lézard Rouge» permet des excursions touristiques originales. Sans parler des ruines de Sbeïtla quasiment oubliées au nord de Gafsa, des établissements universitaires de sciences, technologie, lettres, administration des entreprises…

Tout y est donc pour générer un développement économique et social!

Et pourtant, la population de la région vit encore, pour la plupart, dans la précarité et la pauvreté. Elle enregistre le taux de chômage le plus fort du pays, et le niveau et la qualité de vie dans cette région sont loin d’offrir le bien-être attendu!

A l’évidence, il y a manqué l’essentiel, c’est-à-dire ce qu’on pourrait appeler «le savoir développer»: il y a apparemment chez ceux qui ont présidé au développement de la région une confusion entre «développer» et aligner des infrastructures et des «projets» sans toutefois se soucier de leur intégration dans une ’vision’ ou un schéma de développement global de la région.

C’est que, pour les populations locales, peu de choses ont changé depuis des décades! La production de phosphates a plus que doublé depuis la tunisification de la Compagnie; les prix ont fluctué et sont aujourd’hui autour de 140 dollars la tonne; les habitants de la région le savent. Le Groupe chimique se développe; mais le bien-être promis aux populations tarde à venir.

La piscine romaine de Gafsa n’est aujourd’hui plus praticable, pour pollution de l’eau; la source de Tamerza n’arrive plus à faire face aux besoins de l’irrigation de la palmeraie en raison de cette urbanisation démesurée et la soif imprévue et de l’hôtellerie… Les services de santé, de transport, les équipements de loisir, etc. sont loin de répondre aux besoins.

A Tozeur, vantée à travers le monde pour son charme, le premier et unique restaurant touristique, hors hôtels, vient juste d’ouvrir. Le centre-ville n’offre pas réellement ce cadre original où le touriste pourrait apprécier le dépaysement promis par les agences de voyage… Et l’on peut continuer à volonté la liste des insuffisances.

La population «se rabat» alors sur la Compagnie des phosphates à qui on lui demande de se substituer à l’Etat défaillant et à remplir les rôles que celui-ci n’a pas su remplir. Or, la Compagnie des phosphates n’est pas, ne pourra pas se substituer à l’Etat.

Il ne faudrait, par conséquent, pas tout ramener au tribalisme, ni aux animosités locales: tout le monde sait que la pauvreté aiguise les différents. Il ne faut pas non plus tout ramener aux procédures de recrutements de la Compagnie menacée d’étouffement sous le poids de sa masse salariale! D’ailleurs, tout le monde sait qu’elle est à bout de ses capacités!

Elle a mis le doigt dans un engrenage et ne sait plus comment en sortir pour ne plus devenir une entreprise politique dont la rentabilité n’est plus financière…

Je suis aussi de ceux qui regrettent que le Conseil d’Administration de la Société n’ait pas joué son rôle ni assumé sa responsabilité au point d’abandonner ses prérogatives pour ajouter une carence à l’autre… A l’évidence, on tourne en rond!

Quel schéma pour quelle alternative?

Il serait donc grand temps –et il ne sera jamais trop tard- de rechercher les solutions au problème de l’emploi, là où on aurait une chance de les trouver: de concevoir, avec «la participation des populations concernées», un vrai «Plan de développement régional» qui répondrait à leurs attentes, de concevoir une solution concrète et complète aux problèmes qui se posent aux différents secteurs économiques de la région pour générer les emplois et les richesses que la compagnie ne pourra jamais offrir.

Je ne prétends pas être planificateur de développement ni détenir un savoir-faire spécial dans ce niveau, mais le bon sens voudrait que l’on procède par étapes et celles-ci semblent être au nombre de trois qu’il faudrait entreprendre «simultanément», avec un plan de communication à l’appui.

Dans un premier niveau, on se préoccuperait de désamorcer le conflit au niveau des revendications des demandeurs d’emploi. A cet égard, les structures de la Compagnie, notamment le Conseil d’Administration, le Commissaire aux comptes, le directeur des ressources humaines et le directeur financier devraient «reprendre les commandes» et se conformer à la réglementation. Tout ce qui est dans les compétences de la Compagnie devra être fait, cela dit dans les limites des possibilités financières; le reste est du ressort des pouvoirs publics.

Le problème étant clairement posé, une campagne de communication devra être organisée pour expliquer la nécessité de sauver la compagnie.

Dans un second niveau, l’Etat entreprendrait simultanément d’offrir des opportunités d’emplois et de revenus dans tout ce qui est «relativement» peu coûteux et aisé à réaliser, tout en ayant un effet immédiat sur la qualité de vie des populations et la création d’emplois, entre autres:

– L’agriculture attend que les problèmes fonciers, les problèmes de coûts des intrants agricoles, les problèmes de l’endettement des agriculteurs (dont on parle moins que l’endettement des hôteliers) reçoivent des solutions;

– Partout dans la région les problèmes de la disponibilité et de la répartition judicieuse de l’eau entre l’agriculture, le tourisme et l’urbanisation nécessite un arbitrage souvent esquivé pour des raisons politiques. Ces mesures ne nécessiteront pas des investissements importants mais plutôt une gestion administrative, réglementaire, et politique;

– L’habitat attend d’être développé dans le cadre d’une urbanisation élégante, agréable et vivable, et non par la création de «cités» programmées pour être «populaires». Il ne doit plus s’agir d’aligner des logements les uns derrière les autres sur le flan d’une colline, mais d’édifier des villages cohérents avec les équipements collectifs qu’attendent les populations. Cette urbanisation suppose des Plans directeurs que l’on respectera pour créer des cadres de vie semblables à ceux que les jeunes voient à la faveur d’une migration intérieure dans les régions côtières…

– Les établissements de santé et d’éducation, délabrés et sous-équipés pour la plupart, attendent d’être restaurés. En outre, les équipements sociaux, les infrastructures routières, touristiques font encore défaut, partout.

– A Tozeur, le centre-ville gagnerait à être relooké suivant un plan d’urbanisme adéquat et en cohérence avec les exigences d’un tourisme que l’on veut saharien -et culturel.

Alors, des entreprises de bâtiments, d’électricité, de menuiserie bois et aluminium, de plomberie, de peinture, de fabrication de meubles, de mise en valeur des terres agricoles pourraient être créées. Avec ces entreprises, ces secteurs seront créateurs d’emplois en très grand nombre pour «les diplômés et les non qualifiés» à M’dilla, à Moularès, à Redeyef, à Metlaoui, à Gafsa même, à Guettar, à Kebili, et partout ailleurs.

Il va sans dire que là où des entreprises existent, il importe d’abord de les consolider au niveau humain, financier et technique, sous réserve qu’elles créent des emplois nouveaux. Ce premier stade constituerait «un plan social de rattrapage» créateur d’emplois.

Pour le troisième niveau de ce Plan régional dont l’élaboration demanderait plus de temps et plus de moyens, il importe d’abord de reconnaître que dans les zones industrielles, les quelques projets qui ont vu le jour demeurent bien en deçà des besoins des régions en créations d’emplois, et seuls des investissements étatiques significatifs –dans des projets déjà identifiés-pourront y amorcer un développement que l’initiative privée hésite à réaliser.

Des fours pour la fabrication des briques de Tozeur économes en énergie (il n’en reste plus que deux), une cimenterie, de nouvelles capacité de réfrigération pour les dattes à Kébili, à Tozeur et à Nefta, un programme spécial pour le développement de l’éclairage photovoltaïque public et résidentiel dans le cadre d’un Plan Solaire régional créateur d’emplois et innovant. La liste serait régulièrement alimentée.

Au préalable cependant, il faudra examiner les raisons pour lesquelles les centres d’appels créés dans cette région ont dû fermer leurs portes les uns après les autres. Par la suite, comment aider les diplômés à maîtriser les langues puisqu’à l’évidence ils se sont avérés peu préparés pour l’offshore car ne maîtrisant pas la langue française, encore moins l’anglais. Cela implique donc l’adaptation des filières formation!

Par ailleurs, les diplômés employés par Yazaki ne comprennent pas que le salaire qui leur est offert ne dépasse pas –selon la BBC- les 170 dinars (85 euros/mois) alors que la prime de chômage du programme Amal est de 200 dt et que la grille des salaires de la Compagnie leur offrirait entre 350 et 500 dt. Une vérification et une étude s’imposent!

Il serait à ce niveau opportun d’envisager que les montants distribués en salaires pour des emplois en surnombre, par la Compagnie de Gafsa, par le programme Amal, et autres organismes soient (s’ils peuvent encore être servis) affectés –via le budget de l’Etat- à la création ou au développement d’entreprises locales dans lesquelles les diplômés pourraient être actionnaires…

Un tel programme, cohérent, créateur d’emplois, ayant un effet direct et immédiat sur le niveau et la qualité de vie dans ces régions et générateur lui-même de développement, pourrait ainsi être soumis a un financement international en complément des efforts du budget de l’Etat.

Alors, que le Conseil d’administration de la compagnie veille au bon fonctionnement de la société, et que le Budget de l’Etat organise «hors compagnie» le financement du fonctionnement et du développement de la région.

Il s’agit de transformer l’environnement et le cadre de vie de cette jeunesse qui n’accepte plus de voir le niveau et la qualité de vie exhibé dans les centres urbains de l’est et du nord du pays et d’en être exclue.

Il s’agit, au final, de mettre fin à cette instabilité de la région qui pourrait constituer un danger pour la stabilité du pays tout entier.

Ceci pour dire qu’en venant au secours des demandeurs d’emploi, il conviendrait de recourir d’abord au budget de l’Etat et aux structures ad hoc de financement et faire attention à ne pas épuiser «la Gafsa» cette “Grande Dame“, comme on l’appelait de mon temps, pour l’empêcher de mourir, car elle est, ne l’oublions pas, mortelle!

Il faudrait surtout que les jeunes demandeurs d’emploi s’en souviennent.