Tunisie – Economie : Les promesses de Moncef Marzouki seront-elles réconfortées par des actes du gouvernement Jebali?

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gouv-jebali-1.jpg«Avec le départ de Yazaki, une autre donne pour nous jeunes promoteurs… Nous avons du mal aujourd’hui à convaincre les investisseurs étrangers et nos partenaires commerciaux du site Tunisie. Ils nous reprochent, entre autres, de ne plus être les maîtres à bord, nos ouvriers et la force qu’ils sont sur le terrain, leur font peur. Un client étranger très important, m’a assuré qu’il était disposé à diviser ses commandes sur 2 pour ne pas perdre sa crédibilité. Il refuse de percevoir des intérêts de retard ou de pénalités car il veut garder ses clients, qu’il a bataillé pendant des mois à avoir et à fidéliser». C’est Khaled Azaiez, jeune opérateur privé qui exprime ses inquiétudes de l’avenir des relations du secteur privé tunisien avec ses partenaires étrangers.

Moncef Marzouki, président de la République, s’adressant vendredi 23 décembre 2011 au patronat à l’UTICA, avait essayé de rassurer les opérateurs privés sur la stabilité du climat social auquel œuvrera le gouvernement nouvellement mis en place. Il est allé jusqu’à promettre de prendre des mesures drastiques à l’encontre de tous ceux qui s’adonneraient à des actes de nature à immobiliser les unités de production, quel qu’elles soient, publiques ou privées, et les empêchent de fonctionner normalement.

Toutefois, au-delà du pouvoir moral du président, de quelle autorité dispose-t-il pour rassurer le secteur privé ou calmer les ardeurs revendicatrices de travailleurs nouvellement éveillés à la liberté et lesquels, à force de demandes parfois injustifiées et arbitraires, mettent en danger leurs sources de subsistance?

Wided Bouchammaoui, présidente de l’UTICA, a pour sa part prévenu quant aux risques importants des dérapages qui menacent, depuis le 14 janvier, l’économie du pays: «Nous ne pensons pas que le peuple veuille ruiner l’économie du pays, ou paralyser les entreprises et les établissements publics. Notre économie est en danger et les postes d’emplois risquent de disparaître. Rien que dans le secteur des composants automobiles sensé créer 20.000 emplois, des milliers de postes de travail ont été perdus, ce qui représente une perte immense qu’aucun Tunisien jaloux de l’essor de son pays ne peut tolérer».

Une réalité socio-économique complexe

Pour Montacer Ben Cheikh, maître de conférences à l’Université de la Rochelle, la réalité socio-économique de la Tunisie est complexe et ce pour plusieurs raisons.

– D’abord, un tissu industriel principalement orienté vers la sous-traitance de produits semi-finis à destination de l’Union européenne, ce qui ne plaide pas en faveur de la pérennité des emplois.

– Ensuite, une infrastructure de transport vieille de plusieurs décennies (il n’y a qu’à regarder les chemins de fer), cela n’attitre pas les «bons» investisseurs internationaux qui exigent généralement une bonne infrastructure de transport et de télécommunications. Les deux échangeurs et demi construits récemment ne pourront faire la différence. La Tunisie est classée au 8ème rang mondial quant à l’utilisation du réseau routier (nombre de voitures/km), et pas parce qu’elle dispose de plusieurs milliers de kilomètres d’autoroutes. Accessoirement, cela la classe 21ème en termes du nombre d’accidents routiers mortels.

– La compétitivité internationale ne se fait pas par la qualité des biens et des services que le pays exporte mais par les dévaluations durables de la monnaie nationale, ce qui se traduit par une inflation tout aussi durable.

– Enfin, le niveau d’endettement -aussi bien en termes de pourcentage par rapport à notre PIB que des intérêts de la dette et le fardeau de la dette- place la Tunisie parmi les 30 premiers pays du monde. Cela limite les capacités de tout gouvernement à s’endetter davantage. Donc, cela limite les politiques de relance «court-termistes» dites budgétaires.

Mais plus grave encore, la Tunisie reçoit près de 500 millions de dollars d’aide au développement, ce qui est désormais conditionnée au respect des «valeurs démocratiques». Selon quels critères, ceux qui donnent ou ceux qui reçoivent?

Par ailleurs, l’agriculture tunisienne est extrêmement vulnérable, étant donné son poids sur le marché international (les prix des principales matières agricoles sont fixés sur les marches financiers par les contrats futurs et autres dérivés). La Tunisie ne contrôle ni le prix de l’huile d’olive ni celui de nos céréales…

Sur un tout autre volet, le système éducatif cherche à imiter les standards européens: «Sauf que, estime Montacer Ben Cheikh, le pays n’admet ni les standards industriels ni les standards des services européens. Néanmoins, il faut lui reconnaître le fait qu’il ait traditionnellement déployé un effort considérable dans les infrastructures éducatives ainsi que dans la gratuité des études».

La Tunisie d’aujourd’hui souffre de plusieurs maux, ce qui rend délicate la mission du gouvernement en place qui devrait s’attaquer à des priorités d’ordre socio-économique et surtout au chômage.

Où en sommes-nous aujourd’hui?

La Tunisie possède un taux de chômage parmi les plus élevés au monde (en 2006 elle était 15ème sur le plan mondial). «En outre, le taux d’emploi des hommes est parmi les plus élevés au monde (12ème sachant que les douze premiers pays sont des pays musulmans sauf le Guatemala). Je vous laisse imaginer, entre autres, la portée du Code du Statut Personnel dans ce contexte. On aura vite fait de le briser en miettes», indique M. Ben Cheikh

Une partie non négligeable de la population jeune et moins jeune ne peut se prévaloir de grandes formations, de know how, ou de diplômes pouvant satisfaire les exigences du marché de l’emploi. Tout au plus, de larges pans de notre jeunesse ont été endoctrinés par la gauche ou en grande partie par l’extrême droite et les concepts ingurgités ne promettent pas une grande ouverture sur le monde mais plutôt un repli identitaire qui menacerait l’équilibre social fragile et même nos relations avec des pays auxquels nous lient de longues traditions d’amitié.

Une bonne partie de la population est endettée, estime Montacer Ben Cheikh: «C’est une politique inventée aux Etats-Unis juste après la Grande Crise de 1929 et selon laquelle un salarié endetté ne se met pas en grève et ferme sa gueule. Bien entendu, cela limite les capacités entrepreneuriales des individus. Les services de santé sont ouverts aux plus offrants. A quand la vente aux enchères publiques des services de santé des citoyens?».

La tâche du gouvernement Jebali ne sera pas des plus faciles. Car, outre le fait qu’il faille rétablir rapidement la confiance entre le politique et le socio-économique, il va devoir travailler sur l’image du pays à l’international. Laquelle, malgré l’aura qui lui avait été apportée par la «révolution» commence à subir le revers de la médaille d’une situation sociale instable et de la perte de confiance des investisseurs domestiques et internationaux dans la maitrise de phénomènes tels les sit-in, les manifestations ou les grèves anarchiques.

«L’année 2012 sera plus difficile que celle de 2011», estime Wided Bouchammaoui, et ce qu’attend le secteur privé du nouveau gouvernement est qu’il applique la loi et sanctionne tous ceux qui s’attaqueront aux moyens de production du pays et menacent la pérennité de l’emploi.

Le gouvernement Caïd Essebsi avait tout juste une légitimité fonctionnelle, celui de Jebali a la légitimité populaire, du moins c’est ce qu’on s’efforce tout le temps à répéter. Par conséquent, il est pourvu de tous les atouts qui lui permettront de prendre les bonnes décisions dans l’intérêt du pays et de son développement socio-économique.

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Sources:

– Economist Intelligence Unit, Cost of Living Survey; Country Forecasts; Country Reports; Global Outlook.

– Europa Publications, The Europa World Yearbook.

– Food and Agriculture Organisation.

– IMF, Direction of Trade; International Financial Statistics; World Economic Outlook.

– International Grains Council, The Grain Market Report.

– Standard & Poor’s Emerging Stock Market Factbook.

– World Bank, World Development Indicators; World Development Report.

– World Economic Forum/Harvard University, Global Competitiveness Report.

– World Resources Institute, World Resources.

– World Trade Organisation, Annual Report.

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