Tunisie – Prochain gouvernement : «Marzouki pour un nettoyage au Karcher, Ennahdha pour une construction par le cumul»

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Dans une lettre ouverte adressée au président d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, Walid Hasni, un expert économiste résidant en France, le prie de «définir un socle social pour tous», soit un revenu minimal pour toute famille tunisienne pour vivre dans la dignité en taxant les riches et en donnant aux pauvres.

Les pauvres, contre toute attente, il y en a beaucoup en Tunisie. C’est ce qui explique d’ailleurs que Dr Moncef Marzouki, qui ne prétend pas, du reste, être un grand économiste, paraisse si chagriné par la situation de nos concitoyens vivant dans les zones reculées et déshéritées du pays. Il en est tellement dépité que pour lui, la stabilité économique n’est en aucun cas prioritaire par rapport à celle politique…

L’économique attendra donc que les politiques prennent leurs sièges et avec eux les décisions qu’il faut pour secourir une économie menacée de tous bords à l’international comme au national.

Monsieur Marzouki, qui se voit déjà président de la République, estime que ces postes doivent êtres éminemment politiques. Ce qui est très rare même dans les pays les plus démocratiques, car entre discourir et mettre en place des plans de relance ou de développement d’un pays, il y a une très grande différence. Tout comme défendre à mort les droits de l’homme ne veut pas dire être le plus apte à gérer politiquement et économiquement un pays même si nous sommes «les plus honnêtes, les plus droits et les plus intègres». Ce qui rejoint ce que dit Pr Mahmoud Ben Romdhane, économiste et chercheur, membre du parti Attajdid: «la tâche première de l’Assemblée constituante serait d’élaborer la future Constitution, et veiller à mettre en place un gouvernement pour diriger le pays et apporter des réponses aux multiples questions –économiques, sociales, diplomatiques, sécuritaires, …- qui se posent».

Pour ce faire, nous n’aurons pas besoins que de politiciens, d’experts invités par les partis politiques à élaborer des plans économiques mais lesquels, pour la plupart d’entre eux, n’ont pas fait du terrain, n’ont pas pratiqué l’administration et n’ont aucune idée sur ce que nous croyons voir et ce qui existe réellement…

Hamadi Jebali: «nous refusons de jouer le rôle des nettoyeurs»

Lorsque Moncef Marzouki, alias “Monsieur droits de l’homme“, assure n’avoir aucune prétention en matière économique, l’on comprend qu’il ait du mal à apprécier le terrain par rapport aux discours de ses experts lesquels remettent en cause, à titre d’exemple, les IDE, «première cause du déficit commercial du pays, d’après eux». Ils devraient, dans ce cas, nous proposer des solutions miracles pour résorber le chômage ou se taire! Car ce ne sont pas les IDE qui mettent à mal la balance commerciale, qu’ils soient on shore ou offshore, ça serait plutôt une mauvaise gouvernance à tous les niveaux et dans tous les milieux.

«Les priorités économiques auxquelles ce gouvernement doit s’atteler sont celles qui ont été à la base du déclenchement de la révolution: la dignité et l’emploi pour les jeunes, l’amélioration des conditions de vie dans les régions et les quartiers défavorisés, le désenclavement et le développement des régions déshéritées», estime Pr Ben Romdhane. A toutes ces questions, M. Marzouki estime qu’il faut des réponses politiques…en «homme politique, mais pas très diplomate» qu’il est…

Le ton sur lequel il s’était adressé à la communauté d’affaires réunie à l’UTICA, mardi 8 novembre, n’était pas rassurant ou réconfortant. Il ne leur a même pas laissé l’espoir d’une continuité au niveau des postes clés gouvernementaux, le temps qu’un gouvernement définitif soit formé lors de prochaines élections. Marzouki se prend déjà pour un Dieu, on efface tout et on reprend à zéro.

Nombre des ministres dans ce gouvernement sont pourtant connus pour leurs compétences et n’émanent pas des choix «benalistes». Mais soit, le président du CPR considère qu’ils ne sont plus valables. Attendons voir ce qu’en pense Al Aridha, sans consistance politique aucune mais redevenue un bloc important dans la Constituante…

Il est toutefois rassurant, contre toute attente, de se trouver devant un discours pragmatique et ouvert chez les dirigeants d’Ennahdha qui estiment par la bouche même de Hamadi Jebali, secrétaire général du parti et probable futur Premier ministre, que leur rôle n’est pas «de faire le ménage ou de jouer aux nettoyeurs au sein des structures gouvernementales. Le gouvernement a une durée de vie d’une année tout juste. Nous voulons construire par le cumul et faire appel à toutes les compétences du pays. Nous avons besoin de tout le monde sans exclusion aucune».

Hamadi Jebali exprime une position claire par rapport à celle du CPR, partisan d’un bouleversement total. Une orientation quelque peu simpliste lorsque l’on sait qu’à vouloir tout remettre en cause, nous finissons par tout perdre. L’Argentine en a fait les frais. «On n’aura pas le temps d’apporter des réponses rapides à tous les problèmes du pays», estime pour sa part, Mahmoud Ben Romdhane qui ajoute «Nous sommes toutefois en droit d’attendre que le parti Ennahdha déclenche le processus des réformes sociales et économiques et qu’il prenne des mesures énergiques allant dans cette direction. La Loi de Finances qu’il aura à voter pour l’année 2012 sera l’expression de ses orientations et de ses choix. Nous verrons dans quelle mesure il saura répondre à ces urgences économiques et sociales et, en même temps, préserver la souveraineté économique et financière de la Tunisie».

Des discours contradictoires qui inquiètent?

L’avenir du pays dépend de la confiance que sauront donner ses futurs gouvernants. Et à voir l’image renvoyée à l’intérieur et à l’extérieur du pays par un Rached Ghannouchi qui prône d’ores et déjà des hôtels familiaux et d’autres non familiaux, nombre de Tunisiens ne peuvent s’empêcher d’être inquiets. Pour Pr Ben Romdhane, ce sont les messages contradictoires qui poussent à l’inquiétude. «Les remises en cause des acquis modernistes de notre pays de manière sournoise ou ouverte (l’adoption et l’avortement en particulier) et de son ouverture culturelle et économique (remise en cause de l’enseignement des langues étrangères, du tourisme, …), les atteintes répétées à l’intégrité physique et mentale des femmes depuis les dernières élections (dans les institutions universitaires et dans les rues) soulèvent des inquiétudes légitimes chez les citoyens et chez les acteurs économiques».

La sortie de la crise économique et sociale dans laquelle notre pays est plongé exige tout le contraire: l’affirmation claire et nette de notre ouverture sur le monde, la garantie et la protection des libertés et de l’égalité. Ennahdha doit dénoncer avec vigueur ces comportements et délivrer des messages de tolérance, de respect des modes de vie des Tunisiens et des Tunisiennes et d’ouverture sur le monde et les autres cultures. Ce que ne cesse d’affirmer Hamadi Jebali dans ses différents discours publics: «Nous défendrons les droits de la femme, les principes de la tolérance, le respect de la différence et tous les acquis de la Tunisie. Nous veillerons à ce que ce soit inscrit dans la Constitution pour être au dessus de tout. Nous voulons que toutes les valeurs sûres du pays participent à sa construction. Notre défi est l’édification de notre Tunisie et non pas sa destruction».

Doit-on le croire? A première vue, rien ne s’y oppose et il ne sert à rien d’entrer dans la logique des procès d’intention. Ennahdha s’engage à respecter le modèle tunisien dans toutes ses dimensions modernistes, conservatrices, évoluées, ouvertes, différentes et diversifiées. «Si elle veut un gouvernement d’unité nationale, elle ne doit pas montrer d’empressement à s’emparer des leviers du pouvoir», estime Mahmoud Ben Romdhane. Ce à quoi rétorque Hamadi Jebali: «Nous tenons à associer tout le monde dans le gouvernement pour le bien de la Tunisie, car si nous nous cassons la gueule comme certains y tiennent, c’est notre pays qui en paiera le prix».

A bon entendeur…