Tunisie : Instances de transition… Le dernier grand virage!

inric-isie-1.jpgLa course-poursuite avant les élections d’octobre n’intéresse pas que les partis politiques ou les candidats à la Constituante, elle touche tout autant les instances créées pour gérer la transition. A quelques petites semaines de la tenue des élections, les décisions de nomination, d’autorisation et d’interdiction (c’est selon) commencent à pleuvoir…

Tenez, prenez l’exemple de l’Instance nationale pour la réforme de l’information et de la communication (INRIC), laquelle comme son nom l’indique a pour mission d’établir l’état des lieux des médias et mettre en œuvre un plan d’action pour les réformer. Elle propose la création, à un mois des élections, d’une Haute instance de l’audiovisuel, laquelle devrait abriter un comité avec des postes à pourvoir sur 6 ans comme s’il y avait péril en la demeure. Alors même qu’aucun plan pour la réforme des médias n’a été proposé ou recommandé.

Au lendemain de la décision portant création de l’INRIC, on pouvait lire sur le communiqué diffusé en ce sens que c’est «une commission chargée de veiller au respect de la déontologie journalistique, comprenant des compétences nationales et des représentants des différentes composantes de la société civile». Aujourd’hui, nous observons que la commission perd plus de temps à étudier les dossiers d’autorisations des télévisions et des radios que ce pourquoi elle a été mandatée.

L’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE) a, pour sa part, pris la décision d’interdire la publicité politique dans un pays qui a vu naître en l’espace de quelques mois plus de 100 partis, lesquels, sans campagnes de notoriété ou publicitaires, ne peuvent pas se faire connaître à la population. «Assurer le suivi des campagnes électorales et garantir l’égalité entre les candidats» doit-il se traduire sur le terrain par l’interdiction de toute publicité politique?

En Europe où les traditions démocratiques et le pluralisme sont plus ancrés que dans nos pays, on parle beaucoup plus d’un seuil pour les dépenses des partis politiques et de la nécessaire transparence des fonds et des financements que d’une interdiction pure et dure de toute publicité politique.

Décisions discrétionnaires et unilatérales

Dans une Tunisie où la crise bat à plate couture agences de communication et médias, pareille décision paraît avoir un important coût économique. Et si la démocratie n’a pas de prix, elle a forcément un coût et c’est même dans le cas tunisien de la «sélection naturelle». Parmi les 106 partis autorisés, il y en a qui ne pourront pas résister car partis politiques et candidats aux élections doivent faire face à maintes dépenses.

Rappelons par la même occasion que le financement des partis politique en Europe n’était pas encadré par des règles juridiques jusqu’en 1988, pour le cas de la France par exemple… Dur, dur, l’apprentissage de la démocratie… et ça prend du temps, beaucoup de temps…

Quant à la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, l’article 2 du décret portant création de stipule qu’elle a pour mission l’examen des textes législatifs en relation avec l’organisation politique et la suggestion des réformes indispensables à la réalisation des objectifs de la révolution.

La Haute instance intervient aujourd’hui à tous les niveaux jusqu’à vouloir prendre le risque de promulguer un nouveau code de la presse, élaboré par un juriste et en l’absence des concernés, c’est-à-dire les directeurs des journaux et le syndicat, si ce n’est la vigilance de ces derniers qui ont insisté pour y participer.

Cette instance qui n’est pas élue, mais dont la plupart des membres ont été désignés ou se sont fait désigner, se croit à tel point représentative qu’elle s’arroge le droit de décider de tout et au nom de tous.

Ailleurs au Premier ministère, décision est prise de limoger le président du Tribunal administratif. Il serait resté trop longtemps à son poste, un mois et demi serait donc de trop… Ce limogeage a été mal perçu et injustifié pour beaucoup dans un contexte délicat dans le pays. Elle a d’ailleurs suscité pas mal de remous au sein du Tribunal administratif et l’indignation et la colère des juges et magistrats. Conséquence, deux juges du tribunal administratif se sont retirés en guise de protestation de la Commission sur la lutte contre la corruption et les malversations et un autre de la Commission de saisie et de confiscation.

Pourquoi ce limogeage aujourd’hui, qu’elle en était l’urgence? Une réponse franche de la part du Premier ministère devrait éclairer le désert de notre ignorance…

On fait le dos rond et on regagne nos places, la vie continue…

Sur une toute autre échelle, et dans nombre de ministères, pourtant «transitoire », on a observé des changements notables et parfois arbitraires au niveau des directions générales basées sur des relations personnelles ou des sympathies amicales….

Le système résiste et les anciennes habitudes reviennent au grand galop. Ce n’est pas demain la veille que nous commencerons à désigner les responsables pour leurs compétences, ce n’est toujours pas demain que les intérêts personnels et les ambitions égoïstes laisseront la place à l’intérêt général.

«Les officiers de douanes qui étaient impliqués dans des affaires louches ont fait le dos rond pendant les tout premiers mois de la révolution, aujourd’hui, ils ont presque tous regagné leurs postes, c’est effarant», a déclaré un représentant du syndicat des Douanes.

Nous devrions peut-être changer de moyens de lutte contre les mauvais réflexes et les mauvaises habitudes. Car tous ceux enracinés dans le système, par la force des intérêts, résistent et jouent à contre mauvaise fortune bon cœur.

Il faudrait peut-être les avoir à l’usure, les désagréger, les dissoudre et les modifier à petites doses en trompant leur vigilance. Ce qui est sûr, c’est que les attaques frontales n’ont pas servi à grand-chose aujourd’hui. Ceux qui occupent des postes au pouvoir en font presque tous usage à la manière de ceux qui les ont précédés, ils en abusent. Ceux qui se sentent plus forts dans la rue, barrent les routes et détruisent les biens publics; ceux qui ont des micros parlent beaucoup plus et très fréquemment mais plus pour détruire la paix sociale que pour apaiser le peuple.

La Tunisie d’aujourd’hui n’est pas très différente de celle d’hier. La seule différence est qu’avant le 14 janvier, il y avait un seul président et des centaines de mafieux, et qu’après le 14 janvier, ils y a des centaines de présidents et des milliers de mafieux dissimulés sous les habits des hommes et femmes du changement.

Oh zut! En 87, ne s’agissait-il pas justement de changement?