Tunisie : La dette externe dans le contexte actuel de transition est-elle soutenable ?

La mobilisation de nouvelles ressources pose trois questions fondamentales qui
ont trait à (i) la solvabilisation optimale des encours déjà existants, (ii) la
soutenabilité des projets programmés et de la nouvelle dette à contracter et
(iii) la viabilité de la dette externe cumulée qui sera d’autant plus
extrêmement liée aux performances macroéconomiques exigées. Sur ce dernier
point, il est clairement établi que tout plan de relance, même massif comme
c’est le cas pour le nouveau programme économique et social de la Tunisie, ne
peut s’avérer efficace sur la croissance qu’à moyen et long terme.

1. Les enseignements tirés des multiplicateurs budgétaires


Les modèles macroéconomiques structurels utilisant des anticipations fondées sur
le passé donnent généralement des multiplicateurs supérieurs à 1 (un dinar
consacré à des dépenses budgétaires fait augmenter le PIB de plus d’un dinar).

Selon des modèles plus prospectifs et des analyses ponctuelles, les
multiplicateurs sont le plus souvent inférieurs à 1 (la hausse des dépenses
budgétaires est compensée par une réduction des dépenses dans d’autres pans de
l’économie). Aussi, l’imprécision des approches reflète le large éventail de
multiplicateurs budgétaires figurant dans la littérature sur le sujet.
Toutefois, l’évaluation de l’efficacité de l’enveloppe allouée aux mesures
annoncées au stade actuel selon les mêmes méthodologies que l’on trouve dans les
travaux empiriques (1) aboutit à un multiplicateur budgétaire légèrement
inférieur à l’unité à court terme, ce qui témoigne de l’efficacité des effets de
relance plutôt à moyen long terme. Dans ce cadre, et du fait qu’une large partie
de la nouvelle dette concerne le financement budget de l’Etat, il sera question
de la problématique de son impact sur le déficit budgétaire qui devrait
augmenter de 3,2% du PIB pour atteindre 5,7% du PIB à fin 2011. La soutenabilité
de ce niveau sera tributaire de la recherche de nouvelles niches fiscales de
refinancement.

Une autre arithmétique plus qu’insoluble alors même que les autorités seront
contraintes d’impulser des mesures sociales de redistribution et d’allégement de
la pression fiscale durant la période à venir.

2. Les facteurs de vulnérabilité à surveiller


Tout d’abord, il faut souligner deux ingrédients de taille. Au niveau de la
répartition de la dette extérieure par devise, l’Euro représente près de 61%, le
Yen japonais près de 16%, le Dollar américain près de 15% et le reliquat dans
diverses devises. En ce qui concerne la maturité résiduelle de la dette
extérieure elle est à près de 80% supérieure à 5 ans, alors qu’en terme de
répartition par régime de taux d’intérêt, près de 79% de la dette extérieure est
à taux fixe dont 80% est inférieur à 5%.

Sur ces deux points, l’attention porte sur des éléments de vulnérabilité et de
fragilisation que suscitent, d’une part, la dépréciation nominale du dinar
notamment vis-à-vis de l’euro, et d’autre part, les nouveaux risques en matière
d’accès aux sources de financement externe et qui sont doublement induits de la
dégradation des ratings souverains de la Tunisie et surtout de l’aggravation du
risque de défaut (CDS) sur la dette souveraine.

D’un côté comme de l’autre, il est clair que l’incidence directe serait un
gonflement des encours libellés en dinars des services de la dette contractée en
euro notamment, ainsi qu’un renchérissement des coûts de mobilisation des
nouveaux emprunts extérieurs. En effet, au niveau des effets change découlant de
la dépréciation du change nominal du dinar, principalement vis-à-vis de l’euro,
l’évolution des cours moyens annuels du marché interbancaire de l’euro contre
dinar révèle une dépréciation régulière du dinar contre l’euro en terme nominal
qui a atteint durant la dernière période 33,9% en termes cumulés:

tableau-24082011_1.JPG

Les risques de change liés à la part prépondérante de l’euro dans le libellé de
la
dette externe seront d’autant plus exacerbés par les effets attendus
d’appréciation de la monnaie européenne suite au deuxième plan de sauvetage de
la Grèce entériné par les chefs d’Etats de la zone euro lors du dernier conseil
de l’Union Européenne du 21 Juillet 2011. Ce plan prévoit en effet de résoudre
la crise de la dette souveraine de ce pays par des mesures sans précédent de
renflouement afin de couvrir intégralement son déficit de financement
publics’élevant à un montant estimé de 109 milliards d’euros, et ce notamment
grâce à une réduction des taux d’intérêt et à un allongement des délais de
remboursement (2).

Dans le même temps, l’écart de taux des obligations de la Tunisie est passé de
121 points de base avant la révolution au 10/1/2011 – moment où la vague de
contestations a commencé en Tunisie – à 223 points de base au 14/4/2011, pour
retourner à 175,9 points de base au 22/7/2011, soit une augmentation du spread
de 54,9 points de base. L’accroissement de l’écart des contrats sur risques de
défaut (CDS) entraînera un resserrement des conditions de financement et
contribuerait à la hausse du taux d’intérêt.

3. Un scénario de paramétrage de la viabilité de la dette extérieure


Les vulnérabilités du secteur extérieur en Tunisie restent circonscrites au
niveau de la dette extérieure, laquelle bien qu’en nette diminution de 43,1% par
rapport au PIB en 2006 à 37,1% en 2010, absorbe près de 9,3% des recettes
courantes et demeure assez élevée par rapport aux comparateurs MENA. En dehors
du Liban avec 190,8%, la moyenne de la dette externe à moyen et long terme des
pays MENA est en effet de l’ordre de 18,9% pour la même période (celle du Maroc
par exemple ne dépasse pas 21,2% du PIB).

Dans ce cadre, les tests de résistance sur la viabilité de la dette extérieure
démontrent que son profil est extrêmement vulnérable aux chocs sur les taux de
change et d’intérêt. Les résultats des tests paramétrés sur le ratio de la dette
extérieure en pourcentage du PIB effectué par nos soins selon la méthodologie du
FMI (3) dénotent des hypothèses suivantes:

– une dépréciation réelle de 30% du taux de change par rapport au scénario de
référence ferait monter le ratio de la dette extérieure par rapport au PIB à
plus de 50% d’ici à 2015.
– un accroissement de 20 points de base du taux d’intérêt alourdirait de 1%
par an le ratio de la dette externe par rapport au PIB.

Compte tenu de la dépréciation moyenne réelle du taux de change effectif réel de
l’ordre de 2.77% par an (et de 27,74% en termes cumulés) durant la dernière
période, l’hypothèse de gonflement du ratio de la dette extérieure par rapport
au PIB est plus que vraisemblable :

tableau-24082011_2.JPG

En revanche, et en fonction des données des marchés financiers internationaux,
et à supposer par mesure de prudence une indexation des écarts des taux
d’intérêt sur les spreads des risques de défaut de l’ordre de 54,9 points de
base, il serait aussi envisageable d’anticiper un accroissement de 2,75% par an
le ratio de la dette externe par rapport au PIB.

Professeur – Université de Tunis
(IACE – CTVIE)