L’économie tunisienne est déjà en situation de récession

ezzedine-22082011-art.jpgUne économie se trouve en situation de récession lorsqu’elle connait deux
trimestres consécutifs avec une croissance négative. C’est le cas aujourd’hui de
l’économie tunisienne. Le premier trimestre de cette année a été difficile,
l’économie s’est contractée, la croissance économique a été de -3,3 % en termes
réels. Le deuxième trimestre n’a pas été plus facile puisque pour le premier
semestre la croissance économique, en rythme annuel a été de -3%. La taille de
l’économie tunisienne a donc diminué, l’économie s’est contractée de 3% en
rythme annuel. Nous sommes donc bien en face de deux trimestres consécutifs
pendant lesquels la croissance a été négative. L’économie tunisienne est donc en
situation de récession. Une économie en situation de récession ne crée pas de
richesses, elle en détruit. Une économie en situation de récession ne crée pas
globalement d’emplois nouveaux, elle en détruit.

Que signifie le chiffre de -3%

La croissance de l’économie tunisienne tournait en moyenne autour de +4% à +5%
par an, ce qui était insuffisant mais la croissance demeurait positive.
L’économie passe ainsi de +5% à -3% par an soit 8 points de croissance perdus
(5+3). Or un point de croissance en Tunisie correspond à environ 600 millions de
Dinars de richesses créées (ou 600 milliards de millimes). Huit points sont donc
l’équivalent de 4.800 millions de dinars pour une année ou 2.400 millions de
dinars de richesses perdues pour un semestre. C’est une perte énorme. En termes
d’emplois créés un point de croissance correspond à environ 13.000 emplois
nouveaux et donc 8 points de croissance perdus correspondent à environ 65.000
emplois non créés (manque à gagner : 13.000 x 5) et 39.000 emplois détruits (-3%
de croissance) soit au total plus de 100.000 emplois perdus sur une année ou
50.000 emplois perdus sur les six premiers mois de l’année. C’est tout
simplement énorme.

Une économie post révolution

Tout pays qui connait une révolution et qui passe donc par une période de
transition vers la démocratie connait des perturbations économiques plus ou
moins majeures. Ce qui se passe chez nous est donc normal et il n’y a pas lieu
de dramatiser outre mesure la situation. Il est cependant essentiel de préserver
l’économie contre une situation d’effondrement en ce sens que la croissance
négative ne doit pas être trop négative (elle ne doit pas aller en deçà de -3%)
ou que la période pendant laquelle la croissance est négative ne soit pas trop
longue (elle ne doit pas durer plus que 2 ou 3 trimestres).

En outre les expériences d’autres pays qui ont connu des révolutions est
édifiante à ce propos. Une économie solide est le meilleur soutien pour une
transition réussie vers la démocratie. Par contre une économie qui s’effondre
peut faire dérailler le processus révolutionnaire et mettre en danger la
transition vers la démocratie.

Une économie en récession peut évoluer vers une économie en crise et une crise
économique peut se transformer en crise sociale. Un pays en crise sociale ne
peut plus réussir une transition vers la démocratie. L’enjeu est donc énorme, et
il ne s’agit pas là d’un scénario catastrophe. La situation de l’économie est
une question sérieuse. Ce n’est pas un épouvantail (fazzaa) que certains agitent
pour détourner l’attention de la population. Le maintien de l’économie dans une
situation acceptable est essentiel pour la réussite de la transition vers la
démocratie. Les partis politiques, la société civile et toutes les parties
concernées en sont responsables devant le pays et devant l’histoire. Ils doivent
en être conscients et le faire savoir de manière claire.

Les projecteurs sont braqués sur la Tunisie

Il est clair que le monde entier nous suit de près et nous surveille. Les
projecteurs sont braqués sur la Tunisie, considérée comme un laboratoire d’un
type très particulier de transition vers la démocratie. Nous pouvons peut-être
compter sur l’aide et le soutien de certains pays frères ou amis. Mais ne nous
faisons pas d’illusion cette aide ne sera ni massive, ni gratuite (en termes
financiers).

Les agences de notation ont déjà dégradé la note de la Tunisie qui se situe
aujourd’hui à BBB- avec une perspective négative. Cette note évalue la capacité
du pays (et donc de l’économie) à honorer ses engagements extérieurs,
c’est-à-dire sa capacité à payer normalement sa dette extérieure. Nous sommes
par conséquent aujourd’hui à la limite inférieure (soit l’échelon le plus bas)
de la catégorie de notes qui s’appelle « investment grade » et qui permet au
pays concerné d’accéder au marché financier mondial dans des conditions
acceptables en termes de tarif (coût de l’endettement), de durée des
financements mobilisés et de supports utilisés. La catégorie de notes qui suit
celle de « investment grade » est la catégorie de « speculative grade » ou note
spéculative. Une telle note (BB et moins) transmet aux investisseurs et aux
institutions financières le message que le pays concerné n’est peut être pas en
mesure d’honorer ses engagements extérieurs. La conséquence directe d’une telle
notation est un accès plus limité au marché financier international et même
lorsque cet accès se fait, il se fait à des coûts sensiblement plus élevés.
L’enjeu est donc de taille et la question économique est une question sérieuse.
Les agences de notation surveillent de près la situation politique, l’état de
l’économie, l’état des finances publiques, le climat d’investissement et bien
sûr le niveau de la dette extérieure (ainsi que celui du service de la dette).
Aujourd’hui la dette extérieure de la Tunisie représente près de 50% du PNB
(Produit National Brut) et ce ratio risque de se détériorer si la croissance
continue à être négative (contraction du PNB). La perspective négative de la
note attribuée à la Tunisie veut dire que le prochain réexamen de cette note
pourrait se traduire par une autre détérioration de la notation et donc le
passage à la catégorie de « speculative grade ».

Comme l’économie tunisienne ne peut se passer de financement extérieur et donc
de l’endettement pendant au moins la décennie à venir un endettement
supplémentaire sans redressement clair de l’économie risquerait de provoquer
deux conséquences graves :

• Une nouvelle détérioration de la notation extérieure de la Tunisie avec les
conséquences précisées ci-dessus ;

• Une stérilité de l’endettement extérieur en termes de croissance si le ratio
de la dette extérieure arrive à atteindre ou dépasser le niveau de 60% du PNB.

Des initiatives courageuses pour engager un redressement économique immédiat :

L’économie et le pays sont aujourd’hui dans une situation qui requiert des
initiatives courageuses de nature à engager un redressement immédiat de
l’économie tunisienne.

Il est évident que vouloir tout tout de suite est une manière de faire dérailler
rapidement la révolution et le processus de transition vers la démocratie.

Un exemple d’initiatives courageuses consisterait à dégager très vite un
consensus visant à suspendre le droit à la grève jusqu’à la fin de l’année 2011.
Une telle initiative enverrait un message fort pour rassurer nos entreprises qui
sont le lieu naturel de création des richesses et des emplois, et nos
partenaires extérieurs (économiques et financiers). Ce serait aussi un message
très fort pour les agences de notation.

Un deuxième exemple d’initiative toucherait à ce débat aussi dangereux que
stérile concernant l’attitude à prendre par la Tunisie en ce qui concerne le
remboursement normal de sa dette extérieure. Ces recommandations qui viennent de
l’intérieur du pays, comme de l’extérieur visant à suspendre le remboursement de
la dette ou son rééchelonnement sont tout simplement des conseils empoisonnés.
En effet toute velléité de non remboursement ou de rééchelonnement aurait des
conséquences catastrophiques pour l’économie tunisienne. Là nous excluons de
toute évidence toute initiative venant des créanciers eux-mêmes pour pardonner
ou transformer une partie de la dette. La Tunisie devrait très vite clore ce
débat d’une manière ou d’une autre et adresser un message fort, clair, net et
précis au marché financier international disant que la Tunisie est déterminée à
honorer normalement ses engagements extérieurs.

L’avenir de notre économie, le succès de notre révolution et la transition de
notre pays vers la liberté, la dignité et la démocratie sont en jeu.