Tunisie : Financement extérieur… Et si l’on se désendettait?

moez-labidi-1.jpgLe débat public prendrait plus de relief si les partis politiques exploraient la solution qui nous garantirait une croissance forte. Une voie sûre vers l’autonomie financière et peut-être le … désendettement.

L’angle de tir choisi par Moez Laabidi ne manque pas d’audace. Le débat actuel, selon notre économiste de la FSEG de Mahdia, est dominé par une ola qui appelle à la désobéissance financière. Laisser une ardoise à nos bailleurs de fonds internationaux et refuser de payer. Mais, dit-il, «Too small to fail»! Le professeur d’économie, membre fondateur du «Cercle de l’économie», met cette thèse en pièces, car il juge que le retour de manivelle serait dissuasif. Et il adresse un clin d’œil, malicieux, aux dirigeants des partis politiques pour pousser la réflexion dans une voie vertueuse. Le retour de la stabilité politique et une option pour une croissance forte. Banco hasardeux ou pari raisonnable?

La soutenabilité de la dette

La démarche de Moez Laabidi est cohérente. Il aborde le premier chapitre en focalisant sur la soutenabilité de la dette extérieure. Et il se trouve qu’en la matière, la situation du pays n’a rien de bien alarmant. Le taux d’endettement (Encours de la dette/PIB) actuel est de 37% du PIB. Or, le seuil critique commence à partir de 50%; d’ailleurs, les accords de Maastricht le fixent à 60%. C’est dire que l’on est dans une posture gérable. Comparativement, la France est à 83% et les USA à 100%. Le service de la dette (Annuité de principal et d’intérêts/ Exportations), pour sa part, est de 10% des exportations, soit loin de la cote d’alerte des 30% fixée par les experts.

Par ailleurs, la dette extérieure de la Tunisie est libellée à hauteur de 60% en euros, ce qui est compatible avec la structure de notre commerce extérieur, concentré à 80% sur la Zone euro. L’on a donc une couverture naturelle dite «Natural Hedge», principe qui veut que la dette soit exprimée en conformité avec les flux de recettes du commerce extérieur de sorte à neutraliser le risque de change.

Quelle attitude face à la dette «odieuse»?

Tout en sachant qu’une partie de la dette extérieure a été détournée par l’ancien régime, Moez Laabidi estime cependant que le refus de payer serait d’un mauvais effet pour le pays. Quand bien même nos réserves de change sont sous pression du fait du triple effet de ciseaux négatif, à savoir la baisse des rentrées du tourisme, le repli des transferts des TRE et le renchérissement des coûts de matières premières, il appelle à honorer notre signature.

Le refus de payer ne se justifie pas d’un triple point de vue. Historique, d’abord. Les pays qui ont refusé de payer sont des pays rentiers à l’instar de l’Equateur en 2006, lequel, grâce à la manne pétrolière, s’est «débrouillé» par ses propres moyens. Or, la Tunisie est nettement dépendante du marché international.

Au plan financier, ensuite, la dégradation de notre note financière rendrait la prime de risque sur nos émissions très élevée, renchérissant le coût de notre endettement.

Au plan économique, enfin, ce serait un signal contreproductif à adresser aux investisseurs étrangers. Cela les inhiberait parce qu’ils penseraient que le rapatriement de leurs bénéfices pourrait être, un jour, compromis. Sans compter que le syndrome de nationalisation de leur capital resurgirait et cela est plutôt de nature à les engourdir.

Mobiliser la société civile …

Notre interlocuteur considère qu’il n’appartient pas au gouvernement d’assumer l’option de refus de paiement. Ce serait indécent outre que cela affecterait une crédibilité chèrement acquise. Par contre, la société civile peut jouer un rôle important. L’opinion publique norvégienne s’est mobilisée en 2006 et le gouvernement norvégien a dû céder, annulant la dette de plusieurs pays en développement.

Si donc au plan du principe, Moez Laabidi prône la discipline financière, il ne refuse pas de voir plaider pour une mobilisation de la société civile internationale au titre de la solidarité avec la Révolution de la Dignité. On peut demander l’abandon de créances ou la reconversion des fonds en des projets de développement. C’est recevable. Tout en précisant que cette solution ne concernerait que la dette bilatérale, celle négociée entre Etats, à l’exclusion de celle levée sur les marchés car celle-ci est souscrite par des investisseurs privés et qu’il serait immoral de les «blouser».

… Mais il y a mieux: réaliser une croissance forte et… se désendetter

Toutefois, Moez Laabidi pense qu’en ces temps de refondation du modèle économique tunisien et qu’en cette période où les Tunisiens ont recouvré leur totale dignité et se mobilisent pour se sacrifier pour la cause nationale, il serait fort utile de prospecter les voies de la croissance forte. Naturellement, sur cette voie, le retour de la stabilité politique et le renouement avec la paix sociale redresseraient significativement notre notation financière nous donnant un crédit élevé d’attractivité des IDE.

Par ailleurs, l’épargne nationale serait dopée et irait vers des paliers élevés. C’est une piste sûre, qui nous rapprocherait d’un objectif d’autonomie financière nationale élargie. Et on peut, en effet, dans cette perspective, envisager de voir le pays se désendetter.

Nous ne mettons pas en doute, nous-mêmes, le bien-fondé d’une telle thèse. Nous voyons l’UE se préparer à une diète en matière de dépenses publiques et projeter de renouer avec l’équilibre budgétaire; ce qui balise la voie vers le sevrage de l’endettement. Mais l’appétit de croissance fait que même les pays les plus avancés recourent à la dette.

L’option soulevée par notre interlocuteur est, certes, vertueuse. Est-elle plausible pour autant?

A bon entendeur …

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