Association des Economistes de Tunisie –Fondation Carnegie : Quand l’économique s’arrime au train de la transition

tunisie-11072011-art.jpgL’ASECTU (Association des économistes de Tunisie) est revenue sur le devant de
la scène, le samedi 9 courant, en tandem avec la Fondation Carnegie du
Moyen-Orient. En cohérence avec son engagement citoyen, l’Association explore
les défis à court et à moyen terme du processus de transition démocratique. Ce
workshop est un épisode supplémentaire par lequel l’Université et par-delà les
institutions de la connaissance et les hommes du savoir descendent dans l’arène.
C’est la preuve par quatre que la dynamique réformatrice relève d’un élan
national assumé de tous et véhiculé par nos institutions les plus
représentatives dont l’Université.

L’Association s’assigne un rôle activiste. En effet, elle n’entend pas se
restreindre au seul débat d’idées. Elle se propose d’évaluer les
programmes
économiques des partis politiques
. Professeur Mohamed Haddar, son président,
considère que le champ public est totalement dominé par l’instant politique.
Aussi, il s’emploie à arrimer la question économique à l’agenda de la
transition.

Les principales interrogations liées à la transition


Pr Lahcen Aschy, économiste en chef chez Carnegie, a rappelé que la révolution
est une inflexion historique qui ne se répète pas à volonté. Il faut, par
conséquent, optimiser cette occasion exceptionnelle. Il faut inaugurer une ère
de refondation pour gouverner le pays, autrement et avec un nouvel ordre des
priorités. Il y a essentiellement à veiller à ressouder les régions et assurer
la jonction entre générations. D’où l’intérêt de bien cibler le «modèle
économique» d’Etat à mettre sur pied .Mais alors sur quel pays l’étalonner?
Celui de Turquie ou de Corée du Sud et peut-être également sur quelques pays
d’Amérique Latine qui sont passés par des circonstances historiques similaires,
propose le conférencier. Mais il convient qu’il est difficile, compte tenu des
spécificités de l’histoire de répliquer un modèle. Un exercice d’implémentation
est nécessaire. Il rappelle que l’objectif suprême reste le principe
d’inclusion. Et c’est lui qui doit servir d’aiguillon aux choix stratégiques de
l’avenir.

Les défis politiques de la transition


Professeur Ghazi Ghérairi est longuement revenu sur les conditions post
14
janvier
où, par réflexe et à la fois, en toute conscience, les Tunisiens ont
préservé l’Etat tunisien de l’effondrement. Autant le peuple désirait modifier
radicalement la physionomie politique du pays, autant il a eu le bon instinct
d’esquiver la situation de vide politique. Selon Pr Gherairi, notre conscience
du phénomène institutionnel, vieille de trois siècles, nous a éveillé à ne pas
broyer l’Etat. C’est un mix de discernement patriotique et d’instinct de survie
qui a empêché la rage contestataire de mettre l’Etat par terre.

Au final, la profondeur de la structure étatique et l’enracinement du sens de
l’Etat chez le Tunisien ont servi d’armature nationale. Il n’y a donc pas à
craindre, assure-t-il, quant à un quelconque péril qui balaierait le caractère
civil et la nature démocratique du futur Etat à naître le 23 octobre 2011. Et le
Pacte républicain est un des bouliers de notre démocratie en devenir. Il
reconnaît toutefois que ce n’est pas assez pour dissiper les craintes des
couches populaires. La blessure est encore trop vive. Le souvenir de la
décomposition programmée de l’Etat par le clan des B-A-T nous traumatise, à ce
jour encore.

Ghazi Gherairi prend le pari d’un futur dispositif institutionnel à naître en
octobre qui soit neutre. Plus encore, il favorisera la reprise économique avec
une garantie constitutionnelle de gouvernance et par conséquent de transparence
et d’équité. Mais cela ne nous exonère pas de donner un contenu et une substance
à notre nouvelle politique économique.

La nouvelle vision du développement régional


Pr Ghazi Boulila, directeur général au ministère du Développement, avec beaucoup
de sérénité, avait expliqué la nouvelle approche du développement régional. Ce
ministère se retrouve en pole position et s’y maintient, grâce à la qualité de
la feuille de route qu’il a élaborée. D’ailleurs, le ministère prend
l’engagement d’éditer un livre blanc avant le 23 octobre. Le plan de campagne
ainsi mis au point prévoit de réduire les disparités régionales, sans toutefois,
sacrifier la compétitivité des grandes agglomérations du littoral. En inversant
les proportions à 80% en faveur de l’intérieur et 20% pour le littoral, le plan
prévoit d’arrimer l’intérieur au littoral.

La question est de savoir comment assurer les élans de convergence entre les
régions. Le ministère a structuré sa démarche en quatre grands axes.

Il y a d’abord la facilitation de l’accès aux services sociaux les plus divers
-de la santé au réseau routier-, et ce afin de favoriser le climat
d’investissement.

Il y a ensuite à susciter la poussée de convergence entre régions, c’est-à-dire
à créer un effet de synergie nationale.

En troisième position, le ministère se soucie de réhabiliter des conditions
saines pour stimuler l’investissement en supprimant les subventions. L’on doit
venir dans les régions en raison de leurs avantages comparatifs propres et non
pour les incitations et les primes. Cela doit inciter surtout les
IDE à
s’orienter vers l’intérieur, et pour cela un important travail de
reconfiguration des codes d’investissement est à entreprendre.

Last but not least, les filets sociaux autant pour la couverture (santé,
retraite) et pour les transferts (aides) sont à renforcer.

Où va le marché de l’emploi


Mohamed Haddar a méthodiquement décortiqué la question du chômage. Ses
hypothèses frappent par leur pédagogie. Malgré le saut de palier du taux de
croissance de 3,5 dans les années 90 à 5% lors des années 2000, l’offre d’emploi
était structurellement en déficit de création d’emplois. Dans l’intervalle, la
demande a vu sa structure se modifier en profondeur car environ 60% des nouveaux
demandeurs d’emploi sont des diplômés de l’université. Si le modèle économique
nouveau ne vient pas, on sera donc en carence d’emplois à l’avenir. Et dans ce
sillage, Pr Haddar réprouve le papier «stratégie du développement 2012/2016» où
il retrouve les termes du XIIème Plan de développement, plus édulcorés. Alors sa
conclusion est qu’il faut monter au filet et sonder les partis politiques sur ce
qu’ils nous préparent à l’avenir.

L’avenir du futur


Le souci de progrès économique porté au devant de la scène par l’Association est
totalement recevable. Il est tout aussi légitime que le motif de justice et
d’équité sociale et économique. C’est dans cette perspective qu’il faut aider
l’économique à refaire surface dans le champ public.

C’est la panne de l’économie qui a créé ce hoquet de l’histoire qui nous a
débarrassés de l’ancien régime, et il tombe sous le sens que l’économie soit la
clé de voûte du futur échafaudage institutionnel. L’Etat doit favoriser
l’irruption d’un nouveau modèle économique.

Ce ne sont donc pas les think tank, comme le disait le Pr Aschy, qui
détermineront le modèle du futur Etat tunisien mais bien les opérateurs
économiques et sociaux, c’est-à-dire toutes les composantes actives du peuple.
Et ce modèle, comme ne l’a pas précisé Pr Gherairi, est principalement impacté
par le spécimen de l’Etat sorti de la lutte de l’indépendance qui reposait sur
une administration publique au service du peuple. Car c’est cette équation qui a
permis l’unité nationale, laquelle nous a ressoudés ce fameux 14 janvier.

Cet Etat social doit posséder de larges attributions et des fonctionnalités
étendues. On doit le préserver de la bureaucratie, car elle a permis aux B-A-T
de l’instrumentaliser et de le féodaliser. On doit également veiller à le
préserver de la technocratie demain, car elle le viderait de sa dimension
démocratique. On veut un Etat qui assure un «Tunisian Way of Life» à la hauteur
de nos attentes. C’est-à-dire avec une Université qui forme des diplômés en
phase avec les attentes des entreprises et qui nous rapproche du plein emploi.
On est près d’accepter la mobilité territoriale mais plus jamais de recours à
l’immigration. Le drame de Lampedusa nous a beaucoup attristés. Plus jamais ça.