Tunisie – Livres : Les mots de la Révolution

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aucun moment de son Histoire, le livre tunisien n’a été aussi à l’honneur qu’en
cette période. Un véritable succès de librairie qui a relégué aux seconds plans
tous les autres parmi même la bibliothèque française. C’est impressionnant ce
que le commun des Tunisiens semble s’être pour une fois solidarisé avec son
propre produit livresque. D’ailleurs, il y a fort à parier que l’indépendance de
la Tunisie en 1956 n’a pas fait, même plusieurs années plus tard, mieux que la
Révolution du 14 janvier 2011. Nous pensons particulièrement au nombre
d’ouvrages liés à cet événement et parus depuis cette dernière date jusqu’à
aujourd’hui, soit un laps de temps inférieur à quatre mois. Le premier, et le
plus rapide, est sorti très précisément un 2 février 2011 sous l’intitulé « La
révolution des braves », signé Mohamed Kilani. Puis, à un rythme de tous les
quinze jours à peu près, sont parus tous les autres : « Ben Ali, le ripou » de
Béchir Turki ; « Tunisie : Etat, économie et société » de Mahmoud Ben Romdhane ;
«
Bouâzizi, l’étincelle qui a destitué Ben Ali » du signataire du présent
article ; « La Révolution tunisienne : les dix jours qui ébranlèrent le monde
arabe » du reporter du Monde Diplomatique, Olivier Piot ; « Dégage », un livre
témoignages édité par Alif Editions ; et tout dernièrement « De l’indépendance à
la Révolution » signé Mansour Moalla. On pourrait même avoir oublié ici un ou
deux autres ouvrages ayant également trait à la Révolution tunisienne. Un record
éditorial sans précédent.

Question : quel est l’événement le plus important dans la vie d’une nation, son
indépendance ou sa révolution ? La réponse la plus facile serait de dire que les
deux s’équivalent puisqu’elles sont synonymes de libération. Oui, mais
l’indépendance de la Tunisie n’a pas fait couler autant d’encre, elle s’est
inscrite dans l’Histoire officielle du pays, sans plus. Alors, pourquoi ?

Deux facteurs essentiels, à notre avis, ont fait la différence. Le premier c’est
que Bourguiba a libéré le pays, aidé en cela par le peuple tunisien qui a payé
de sa chair, de sa vie, une indépendance tant voulue, tant désirée. Le deuxième
c’est que, en 23 ans, Ben Ali a cru pouvoir faire de la Tunisie ce que la
France, en 75 ans, avait cru pouvoir faire : confisquer le pays et en faire sien
à jamais. Dans un premier temps, le peuple a dit oui à son chef et payé
l’ardoise de sang ; dans un deuxième temps, sans chef ni guide, le peuple a dit
non et payé un petit peu. Que les hommes de première heure, militants et
combattants, veuillent bien nous le pardonner, mais la révolution tunisienne
s’est avérée un peu mieux que l’indépendance elle-même. Qu’un Chef, un
‘‘Combattant suprême’’, finisse par obtenir l’indépendance de son pays, est la
chose la plus normale, quoique assez coûteuse ; mais qu’un peuple, sans chef, en
arrive à chasser son… Chef, voilà une toute première dans l’Histoire du monde
arabe.

Par conséquent, on va dire que l’indépendance est un exploit d’ordre politique :
deux ou trois ouvrages suffisent pour en parler et laisser la trace qu’elle
mérite. Mais la révolution est un exploit populaire : dix ouvrages, quinze
ouvrages ne suffiraient pas pour dire toute sa beauté.

Sauf qu’à l’heure qu’il est, un spectre hideux semble menacer cette Révolution
menée et obtenue par le sang. Au moment où la sagesse nous dicte de reconstruire
le pays, de relancer petit à petit tous les domaines de la vie nationale, des
individus – que l’on croyait très sages et auxquels on a même fait confiance un
jour – se sont évertués à semer le trouble dans une intention, que l’on ne peut
ne pas qualifier de criminelle, en tout cas nullement patriotique, de livrer la
Tunisie au chaos. Après la première vague de revendications, nous vivons
présentement une vague de manifestations pour le moins ineptes et irréfléchies.
Vingt jours après la Révolution tunisienne, l’Egypte a fait la sienne et l’a
amplement réussie. Aujourd’hui, les Egyptiens savourent leur révolution. Quant à
nous, nous n’avons pas encore fêté notre Révolution. Nous avons remporté comme
une victoire à la Pyrrhus.

Dommage ! Dommage pour tout ce travail qui risque d’aller à vau-l’eau ! Dommage
pour toute cette euphorie ressentie les premiers jours de la Révolution et qui
semble n’avoir été qu’un beau rêve, tout juste un petit rêve. Et dommage pour
tous ces écrits qui, censés demeurer la trace d’une très belle Histoire,
risquent de rester lettre morte – au double sens des termes.