Tunisie – Société : Drôle de nationalisme!

Environ deux mois après le début de la Révolution tunisienne, c’est-à-dire deux
ou trois jours avant la fuite de l’ex-président de la République, nous avons
encore présents à l’oreille ces cris des manifestants, hommes et femmes, qui
scandaient: «Eau et pain, mais pas Ben Ali». Fort émouvante était cette vague de
protestations qu’on croyait sincères, empreintes de grand nationalisme. Avec le
départ du dictateur, on pensait que la Tunisie entière allait se remettre au
travail pour rattraper ces deux semaines de grande agitation qui menaçaient de
mettre à genoux l’économie tunisienne déjà bien ébranlée.

Mais à la place, c’est une autre vague de revendications tous azimuts qui a
secoué le pays, le menaçant, à nouveau, de paralysie. Plusieurs secteurs se sont
insurgés pour exiger augmentations salariales, amélioration ou régularisation de
situations, etc. La moins attendue et la plus honteuse de ces revendications
était cette prime en…euro revendiquée par une catégorie de personnel relevant
des Transports.

Trois questions se posent d’elles-mêmes: était-ce vraiment le moment opportun
pour formuler de telles revendications? Et pourquoi ne les avoir pas formulées
23 ans en arrière? Et qui sont finalement toux ceux et celles qui criaient: «Eau
et pain…»?

Qu’au moment même où le pays avait rudement besoin de ses enfants, ceux-ci se
montrent capables d’un tel caprice, voilà qui remet en question la sincérité de
leur nationalisme. D’autres peuples sous d’autres cieux, à la fibre nationaliste
plus sensible et sincère, auraient volontiers offert aux caisses de l’Etat une
journée de travail, sinon plus. Un exemple: en 1992, alors que la Corée du Sud
était confrontée à une grave crise économique, les Coréennes avaient offert à la
Banque centrale leurs bijoux, sans rien demander en retour. Mais les nôtres, nos
fonctionnaires, ont choisi le moment le plus délicat pour plier l’Etat devant
leurs exigences et obtenir ce qu’ils auraient été incapables jusque de souhaiter
quelques mois avant le 14 janvier 2011.

Finalement, ce sont nos concitoyens de Sidi Bouzid, de Rgueb, de Kasserine et
d’ailleurs, ces laissés-pour-compte dans les zones les plus reculées du monde
rural, qui continuent à se contenter d’eau et de pain, pas nous. En tout cas, la
vraie Révolution, c’est eux qui l’ont faite, pas nous. Les émeutes ayant
débouché sur le 26 janvier 1978, ce jeudi noir, étaient parties du Sahel, pas de
Tunis. Et la Révolution ayant abouti au 14 janvier 2011 était partie de Sidi
Bouzid, pas de Tunis. Aujourd’hui, nous savons parfaitement qui sont les vrais
nationalistes.

Mais tout n’est pas perdu. La
Banque centrale de Tunisie vient d’ouvrir un
compte pour la solidarité sociale. Cela permettra aux pseudo-nationalistes de se
rattraper un peu en consentant, au moins, une journée de travail au profit de
leurs frères qui ne connaissent point la viande d’agneau. Hélas! Une chose
semble certaine: ils ne vont pas consentir fût-ce une minute de travail. Et un
jour, ils monteront au pinacle pour crier: «C’est nous qui avons fait la
Révolution!». Ce nationalisme-là prête à rire.