Tunisie 2010 : En route vers la “démondilisation?“

L’épargne financière mondiale est la cible d’un enjeu décisif. Les Etats
sauront-ils l’arracher aux griffes des marchés tentaculaires, pour la détourner
de la spirale infernale de la spéculation et, in fine, des bulles afin de la
canaliser vers l’investissement économique pour créer des richesses et les
répartir. La finance n’est qu’un business qui profite à un lobby. L’économie
c’est la croissance, qui pourrait profiter au plus grand nombre. Le retour des
Etats au statut de «puissance publique» sera-t-il l’élément décisif pour faire
le juste arbitrage?

A l’échelle du monde, l’année 2010 n’a accouché de rien de bien définitif mais
elle a amorcé un vent de résolution en faveur d’aménagements structurants pour
l’ordre économique. Il va donc jouer les prolongations en 2011 où l’on voit
déjà, en lever de rideau, un Ola planétaire qui appelle à la “démondialisation“.
Peut-on en espérer, dans un premier temps au moins, un recadrage de la
mondialisation?

La tyrannie des marchés: la remise en question

On ne peut pardonner à la finance mondiale et ses principaux foyers -le «NYSE»
et la «City» et les places stellites- d’user toujours des mêmes ficelles pour
mettre le système financier sous menace permanente d’une crise systémique. Le
retour en grâce des agences de notation, de libre pratique, en est une.
Disqualifiées au plan professionnel pour faute grave, car elles nous ont caché
la bulle des subprimes, elles se refont une honorabilité! et les revoilà «sensa
vergogna» en train de nous la rejouer, au premier semestre 2010 avec un spectre
de nouvelle crise, faisant peser sur nos têtes cette épée de Damoclès du risque
de défaut du carré des PIGS (Portugal, Irland, Greece, Spain) où leur
responsabilité est bel et bien engagée.

Les Agences ont bien composé avec le maquillage des dépassements budgétaires de
ces pays. Cette connivence, active ou passive peu importe, aboutit à mettre en
ligne les intérêts des agences et ceux des investisseurs institutionnels.

La présomption de collision se confirme outre qu’elle est sérieusement porteuse
de gâchis et d’anarchie, ouvrant la porte au chantage des marchés sur les Etats
concernés. On a bien vu les investisseurs institutionnels ponctionner une Grèce
exsangue lui facturant un taux d’intérêt à plus de 6% (l’obligation d’Etat de 10
ans), soit le double du taux allemand, la contraignant à s’endetter à 6 et 3
mois afin d’obtenir des taux plus cléments, pour enfin lui refuser tout
concours.

Pareil avec l’Irlande, quoique avec un scénario différent. Et on les voit enfin
manigancer une «manip» tout aussi dangereuse avec la menace de dégradation de la
note de l’Espagne et du Portugal dès le troisième trimestre 2010. La mise en
défaut des pays concernés et son lot de catastrophes aurait fait des pays
émergents une victime collatérale, les entraînant dans une débâcle aux
conséquences incalculables. Comment dès lors arrêter le massacre sans verser
dans le dirigisme?

La résurrection des Etats

Ce sentiment était partagé par tous, hormis le bloc anglo-saxon. Mais un début
de réponse est venu des pays de l’UE. Ceux-ci, dans leur tentative de contenir
le pouvoir excessif du cartel des agences de rating de libre pratique, ont
essayé de rétablir la «puissance publique» dans ses attributions économiques qui
consiste à aider l’Etat à protéger la fonction de l’investissement, pompe vitale
de la croissance et à restaurer le champ de supervision et de contrôle. Ils
s’emploient à mettre une halte au leurre libéral de la «soft law», la belle
illusion des «bonnes pratiques» séduisante en façade mais impuissante en
pratique, étant donné qu’elle ne nous a pas garanti la régulation nécessaire du
système.

Par conséquent, les Etats européens ont eu le courage de valider leur droit à
intervenir dans le champ économique comme agent prépondérant, pour mettre fin au
laisser aller du marché qui a échoué à servir l’intérêt général. Dans cette
perspective l’on verrait peut être le vent tourner!

La parade européenne peut-elle aller jusqu’au bout de sa logique?

Au concret, l’Europe met le holà. Loin de toute volonté de dirigisme, elle
affiche sa ferme volonté de rétablir un régime d’économie mixte où il y a un
appel de «Plus d’Etat». Mais sans heurter la dynamique de l’économie de marché.
Elle plaide pour une agence de notation pan européenne sous supervision des
Etats. Et même si l’idée est arrêtée, il reste toutefois à la concrétiser, ce
qui n’est pas une mince affaire. Dans le même élan, l’UE est parvenue à mettre
sur pied -ce qui est un pas important- le Fonds européen de stabilisation
financière avec une dotation en capital de 750 milliards d’euros. L’UE s’est
donné ainsi un “FMI régional“. Elle ne sera donc plus en panne de liquidités.

Cette parade pourrait être encore renforcée par un marché des «euros
obligations» qui pourrait voir le jour en 2011. Les pays européens pourront, par
conséquent, refinancer leur dette en toute assurance, écartant tout risque de
défaut public. Cet édifice financier à l’initiative des Etats européens, une
fois parachevé, pourrait mettre l’UE à l’abri de la tyrannie des investisseurs
institutionnels et ferait en sorte que son épargne financière, trop tentée par
la traversée de l’Atlantique, reste à domicile.

Mais qu’en sera-t-il dans les faits? Il faudra attendre pour pouvoir juger de
l’efficacité de cette riposte d’émancipation politique, mais au moins elle aura
eu le mérite d’avoir esquissé un «firewall» à la prédation de la finance
internationale. La partie n’est pas gagnée pour autant, mais il faut constater
qu’elle est bien engagée et sans attendre.

Etendre le champ politique: le G20 doit laisser la place à la CNUCED

On voit le G20 partir sur les chapeaux de roue pour guerroyer contre le dollar
et les misères qu’il inflige à l’euro, seule «contre-devise» significative de ce
club de «nantis» et par-delà au système financier international.

Ce qu’il faut se dire, c’est que la «moralisation» du dollar signifie la fin des
«Twin deficit» -les déficits jumeaux- de la balance et du budget américain.
C’est ce qui permet à l’Amérique de vivre sans travailler dur mais simplement en
imprimant des dollars. La Chine fait le travail à sa place. Ce meccano
manufacturier/marchand lui sert d’atelier et de tirelire, car les réserves de
change chinoises financent le déficit US.

On voit mal comment le seul G20 pourrait modifier ce schéma. Si les «militants»
de l’équité au sein du G20 veulent faire aboutir leurs revendications, ils n’ont
pas, selon nous, d’autre choix que de s’aligner sur les revendications des pays
en développement. Le dollar n’est que l’instrument d’un vaste dispositif réparti
entre trois places dominantes, soient Londres, New York et Chicago, qui brident
l’expansion économique des pays en développement pour nous orchestrer cette
crise de pénurie de l’énergie et des produits alimentaires.

La financiarisation des circuits de distribution étouffe la croissance mondiale.
Si le G20 veut s’émanciper du carcan des marchés, il lui faudrait, lui aussi, se
conformer aux revendications des pays en développement et renoncer à ses
avantages impropres, tels la subvention de l’agriculture, l’entrave à l’accès
aux brevets de fabrication et le renoncement à l’objectif de prédation des
services financiers. On ne peut aménager l’ordre économique mondiale sans une
gouvernance politique réelle. Le G20 à lui tout seul ne peut y parvenir, il lui
faut réhabiliter la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le
développement) dans son rôle. Ce ne serait qu’un aboutissement logique de la
démarche de réhabilitation des Etats. Nous en avons assez de la croissance sous
contrôle qui nous prive de créer plus de richesses pour pouvoir bien répartir
afin de préserver notre stabilité sociale.