Tunisie : Chakib Nouira, président de l’IACE, «L’opacité est le plus grand ennemi de l’entrepreneuriat»

chekib-nouira-1.jpgLes Journées de l’Entreprise, kermesse des hommes d’affaires et entrepreneurs tunisiens, s’affirment de plus en plus en tant que rendez-vous incontournable de l’entrepreneuriat tant tunisien que maghrébin et arabe. Nombre d’entrepreneurs maghrébins et européens y prennent de plus en plus part. Cette année ces journées seront consacrées à l’Entreprise face à ses défis.

Aux journées de l’entreprise s’est ajouté cette année un autre événement de taille : la semaine de l’entrepreneuriat qui a démarré le 7 novembre 2010. Une autre initiative semblable dans son essence à la première car elle vise à éclairer sur l’entrepreneuriat et différente quant à sa réalisation car elle est plus dans le concret, sur le terrain que dans la tête et la pensée. Pour réussir « Entreprendre la Tunisie”, 110 manifestations ont été réparties sur tout le territoire national. La semaine est organisée par le Centre des Jeunes entrepreneurs de l’IACE en partenariat avec des représentants des institutions publiques et de la société civile, des opérateurs privés et des universités, objectif célébrer et instaurer la culture de l’entrepreneuriat. Tout au long du « GLOBAL ENTREPRENEURSHIP WEEK » (GEW) les adeptes de l’entrepreneuriat se lègueront sa flamme.

Chakib Nouira, pour sa part, en bon président de l’IACE, n’a pas manqué lors de la récente conférence de presse à propos du GEW de préciser que le but de la semaine est de développer la culture de l’entrepreneuriat sur terrain et à tous les niveaux. Ce qui pourrait en quelque sorte faire partie des prérogatives du Think tank que veut être l’Insitut.

Entretien avec le Président d’un Institut qui veut être la tête pensante de l’entrepreneuriat tunisien.

Webmanagercenter : Parlez-nous un peu l’IACE, est-ce la relève de Mansour M’Allah, fondateur ?

Chakib Nouira : Nous pouvons parler de succession, une succession très naturelle d’autant plus que je figurais parmi les fondateurs de l’IACE. Les bases de l’Institut avaient été solidement édifiées. J’ai été élu président par les comités directeurs qui ont suivi. Je n’ai fait que continuer dans le même esprit en essayant de conforter l’Institut dans son rôle de temple de la réflexion économique mais aussi en tant que centre de formation pour les chefs d’entreprise. Bien sûr, ce dont je suis personnellement fier est d’avoir pu consolider les relations entre le monde de l’entreprise, l’université et l’administration dans le but de développer la réflexion entre les chefs d’entreprise souvent absorbés par leur quotidien et gestion de leurs affaires et l’Administration, un partenaire essentiel et incontournable dans le développement de la vie économique d’un pays, et les universitaires de valeur souvent confinés dans leur tour d’ivoire et réfléchissant tous seuls.

Au fil des sessions des Journées de l’Entreprise, avez-vous remarqué une amélioration au niveau de la communication entre ces trois opérateurs partenaires importants de l’économie ?

Incontestablement. D’abord, en tant qu’entrepreneurs, nous ne discutons plus de la même manière avec les universitaires ou avec l’Administration, les études réalisées revêtent une dimension plus pratique. Elles se font en concertation et se complètent parce qu’académiciens et fonctionnaires apportent le plus qui permet une plus grande vulgarisation de nos idées. C’est très positif.

Vous estimez donc que l’IACE a réussi son rôle en tant que think tank ?

Nous avons fait des choix relativement difficiles quant à nos orientations. Nos activités sont pour la plupart payantes, les séminaires, les modules de formation, les forums et les études. Les chefs d’entreprise payent et viennent plus nombreux, ce qui veut dire qu’ils sont satisfaits.

Qu’en est-il des études réalisées par l’IACE ? Ont-elles des répercussions sur la réalité économique de notre pays et celle des autres pays maghrébins ?

Je ne voudrais pas être présomptueux mais je puis vous dire qu’en Tunisie, il y a beaucoup de lois promulguées qui ont tenu compte des études et des réflexions réalisées par l’Institut. Pour nous, c’est un motif de fierté que d’être, à chaque fois, reçus par les membres du gouvernement et très souvent par le Premier ministre lui-même dans le mois qui suit les Journées de l’Entreprise. Nous leur présentons nos recommandations et discutons avec eux de leur portée et du rôle qu’elles peuvent jouer dans l’amélioration du climat des affaires et des performances économiques du pays.

Donc les entrepreneurs qui ne sont pas satisfaits devraient se rapprocher plus de vous ?

Nous ne sommes pas un syndicat. Il y a également des suggestions que nous avons formulées et qui n’ont pas trouvé réponse. Nous sommes là pour réfléchir dans l’intérêt de notre économie et pour un meilleur développement entrepreneurial. Il y a bien entendu des reproches qu’on pourrait adresser aux entreprises elles-mêmes. Certaines parmi elles devraient nettoyer leurs portes, faire en sorte d’être plus transparentes parce que c’est le seul moyen d’avancer et de progresser dans la performance. Notre pays s’est engagé dans un grand Programme de mise à niveau et l’a réussi. Les entreprises ont été amenées à se mettre à niveau sur les plans matériel et immatériel. Le taux d’encadrement des entreprises s’est amélioré et a œuvré vers plus de transparence et plus de professionnalisme.

En fait, tout est lié. Lorsque vous avez un encadrement de qualité avec des personnes compétentes, vous allez progresser plus rapidement et renforcer vos chances de faire partie des élites entrepreneuriales de par le monde et non pas uniquement dans votre pays. L’opacité aime le secret, s’accommode de l’ignorance et déteste la compétence ; elle ne peut survivre dans le même environnement que celui des professionnels et des managers de qualité.

Je pense que les grandes structures doivent être décentralisées et que les cadres de valeur doivent pouvoir travailler de manière plus autonome.

Pensez-vous qu’il est temps pour nous de faire de l’intelligence économique comme cela se fait partout dans le monde ?

Pour le moment et au stade de développement des pays, des membres de l’IACE qui sont les pays maghrébins, l’Egypte, le Liban, la Jordanie et la Syrie, l’information et la formation sont nécessaires et même essentielles. Aujourd’hui, je vois des chefs d’entreprise qui suivent des modules de formation à l’IACE. Leur temps est précieux et le fait que, parfois, ils se déplacent, d’un pays à l’autre, dans le dessein d’apprendre, de se familiariser avec de nouveaux outils de management, dénote d’un changement de mentalité notable. C’est le signe d’une capacité extraordinaire de s’adapter aux mutations économiques à l’échelle planétaire. Nous réalisons chaque année une quinzaine de modules de formation, et ils sont tous surbookés.

Et vous avez des entrepreneurs qui viennent de tous les pays arabes ?

La formation avec une exigence de présence s’adresse forcément aux Tunisiens. Il est difficile pour les entrepreneurs venant d’autres pays arabes de se déplacer, en tout cas, c’est ce qu’ils nous disent. D’autres pays comme l’Algérie ou le Maroc nous demandent d’organiser des cycles de formation chez eux.

Faites-vous de la veille économique ou entrepreneuriale ?

Oui nous faisons de la veille économique, du type observatoire de l’économie tunisienne, maghrébine, arabe et internationale. Nous avons déjà crée notre propre cellule de veille economique. Nous avons une équipe qui travaille sur des mois sur le rapport de conjoncture économique de la Tunisie.

Nous réalisons ce type de travail là pour mettre au point des réflexions stratégiques pour notre pays. Nous réfléchissons beaucoup, nous essayons d’être actifs, je suis moi-même assez surpris du nombre des gens voulant participer aux activités de l’Institut.

A la création de l’IACE, nous l’avons voulu léger. Il est structuré en comités directeurs. Si l’un des membres a une idée à sa concrétisation, il y a une certaine décentralisation et une souplesse au niveau de la gestion. Par ailleurs, nous n’avons que très peu d’employés parce que pour toutes nos activités, nous faisons participer les chefs d’entreprise intéressés, les meilleurs universitaires dans toutes les disciplines économiques, et les hauts fonctionnaires.

Comment est-ce que l’IACE est géré sur le plan financier ? Qui le finance ?

Il y a les droits d’adhésion des entreprises payées une fois par an ainsi que les activités payantes. Pour les Journées de l’Entreprise, nous sollicitions quelques sponsors… Mais l’Institut est financièrement complètement indépendant.

Votre indépendance financière vous permet-elle donc une certaine indépendance au niveau de la réflexion économique et des prises de position par rapport à certaines problématiques touchant l’entrepreneuriat en lui-même ou les pouvoirs publics ?

Nous avons construit notre Maison de l’Entreprise tous seuls avec l’aide de nos membres. Certains ont même contribué exceptionnellement à son financement. A l’entrée de l’institut, on peut lire les noms des entreprises qui ont contribué à sa construction. Oui, nous voulons et nous estimons être assez indépendants tant au niveau de la gestion que de la réflexion économique.

Quelle a été la pierre que vous avez, vous-même, apportée à l’édifice IACE ?

Ca serait trop présomptueux de parler de ce que j’ai ramené ; dans la vie, je n’ai jamais vu un monument ou un bâtiment se construire d’un seul coup. Ca se construit pierre par pierre, et chaque fois quelqu’un ajoute un petit quelque chose, une touche personnelle. Il a du mérite parfois, d’autrefois ce n’est vraiment pas ce à quoi il s’attendait. Vous parlez des présidents, je vous assure que depuis des années il y en a qui ont fait beaucoup plus que moi en tant que président. Ils se battent pour réaliser une étude ou tenir un séminaire. Chacun d’entre nous met quelque chose de lui-même. C’est ce qui se passe à l’Institut.

En ce qui me concerne, j’y suis depuis un bon moment et il va falloir du sang nouveau. Le Comité a évolué dans le sens d’une plus grande jeunesse de ses membres qui représentent la relève.