Tunisie – Dhafer Saïdane, “La finance islamique a sa place à condition d’éclaircir les zones d’ombres”

On ne peut certainement pas dire que
Dhafer Saïdane, économiste, chercheur,
maître de conférences à l’Université de Lille III et auteur de nombre d’ouvrages
sur la finance dont «La finance islamique à l’heure de la mondialisation» ou
encore «Les banques, acteurs de la globalisation financière» manque de punch ou
de clarté dans son exposé.

Lors de son intervention au colloque organisé par l’ESC et l’IHEC sur «Finance
islamique : Réalités et Perspectives», il a vite fait d’expliquer à une
assistance fort nombreuse en deux temps, trois mouvements, les principes de
l’intermédiation financière islamique.

Entretien

Webmanagercenter: Vous avez parlé lors de votre intervention dans le séminaire à
propos de zones d’ombre qui persistent pour le développement d’une finance
islamique.


dhafer-saidane1.jpgDhafer Saïdane:
La première interrogation que nous sommes en droit de se poser
en tant qu’économistes est: quelle est la place de cette finance dans la pensée
économique et dans l’organisation du système économique et financier ? La
question est légitime parce que, d’une part, nous avons la finance formelle,
conventionnelle et, d’autre part, nous avons la finance sociale alternative, le
microcrédit, la micro-finance, etc. Dans cet état de fait, où se situe la place
de la finance islamique ? Dans la première catégorie ou la seconde ?

Comment se positionne t-elle selon vous ?

Je pense en ce qui me concerne que nous ne pouvons l’attribuer ni à la première
ni à la seconde catégorie, elle est seule, elle est originale, elle possède les
bons attributs de la première et les bonnes caractéristiques de la seconde, ce
qui fait sa force. Il faut donc commencer par définir sa place par rapport à ces
deux types de banques.

La seconde zone d’ombre est quid de la pérennité de
la finance islamique?
Comment allons-nous l’accompagner pour qu’elle soit pérenne ? Le talon d’Achille
de toute finance est l’innovation. Si nous ne progressons pas, si nous ne
réfléchissons pas sur la manière d’insérer cette finance dans les projets
industriels et dans la conduite de la politique monétaire, si nous ne
développons pas la recherche, nous risquons indiscutablement d’affaiblir la
teneur de la finance islamique. Nous ne pourrons certainement pas la développer
par des produits datant du 7ème siècle.

Le troisième point important se rapporte à la communication, nous ne pouvons pas
communiquer de n’importe quelle manière sur la finance islamique, cette finance
est émotionnelle mais nous devons l’aborder sous un angle pratique, pragmatique
et scientifique, également, ce qui est très important. Car plus nous nous
aborderons la finance islamique de manière scientifique, plus l’opinion
publique, particulièrement laïque, l’acceptera et l’adoptera.

Il y a donc des efforts à faire sur le plan terminologique en matière de finance
islamique. Doit-on la présenter différemment pour qu’elle s’intègre plus
aisément dans d’autres cultures?

Probablement, il faut commencer d’abord par la présenter non pas en tant que
produit communautaire ou communautariste mais plutôt en tant qu’une finance
ouverte, intéressante et bénéfique à plus d’un titre.

Comment expliquez-vous l’intérêt de certains pays occidentaux pour la finance
islamique, est-ce le signe d’une conviction profonde des qualités de cette
finance ou serait-ce plutôt pour drainer des capitaux dans une conjoncture de
crise ?

L’intérêt que porte l’Occident pour la finance islamique est motivé par
l’exploitation d’une niche, d’un segment de marché de la finance. Il n’y a pas
de motivations culturelles. Il s’agit de faire de la banque de gros, la banque
de détail n’intéresse pas les Occidentaux, la finance islamique est un aimant
qui se développe sur les places financières pour attirer les capitaux et les
gros comptes pour compenser les déficits et les besoins en liquidités. Il ne
faut surtout pas croire que ce qui motive certains pays occidentaux est une
volonté de s’ouvrir sur la culture islamique, l’approche est pragmatique et sa
motivation principale est l’appât du gain.