La distorsion de la concurrence dans les économies arabes et leurs conséquences sur le développement économique

Par : Autres

Par Yusuf Mansur

Dans la plupart
des économies arabes l’introduction d’une législation bien définie régissant
les monopoles et la concurrence -mesure considérée par les économistes comme
le fondement même du développement- est un fait nouveau. Dans de nombreux
cas, cette législation, si elle existe, est fondée sur des structures et des
mécanismes non-indépendants et faibles ou se voit entravée par un manque
d’expertise et de sensibilisation. En conséquence, des pratiques
monopolistiques, source d’inefficacité et de distorsion du marché,
continuent à gangréner de nombreuses économies arabes. Un moyen pour
remédier à cette situation est proposé par les principes sur la concurrence
établis par l’économie sociale de marché.

 

Les sciences économiques
définissent le développement comme un état de croissance économique durable
par lequel une économie augmente, pendant plusieurs années et de manière
durable, ses taux de croissance. Pour que la croissance puisse être durable,
elle doit reposée sur une compétitivité renforcée de ses agents économiques.
Etre compétitif signifie, en somme, être plus productif que d’autres
producteurs. Une compétitivité accrue illustre donc une productivité
renforcée des facteurs économiques. Autrement dit, pour qu’une économie
devienne compétitive, elle doit améliorer les conditions qui influencent la
productivité de ses agents, y compris les travailleurs et le capital.

 

Citons comme exemples les
lois anti-trust de l’Union européenne et des Etats-Unis, les deux leaders en
la matière, et le modèle d’une législation relative à la concurrence
développé par le CNUD ainsi que la loi relative aux restrictions de
concurrence adoptée dès 1958 par l’Allemagne. Une loi anti-trust comprend,
en général, trois éléments essentiels : des mécanismes de lutte contre les
cartels et les collusions, des restrictions contre l’abus d’une position
dominante ou d’un monopole et une réglementation qui contrôle les fusions,
les rachats et les amalgamations qui permettent à quelques entreprises de
contrôler le marché. Une telle législation doit également prévoit des
sanctions en cas de non respect. Ces sanctions varient en fonction des pays
et s’ajoutent, en général, aux dispositions existantes du code pénal.

 

Notamment dans les pays
en développement, les meilleures pratiques commandent que l’organisme
responsable de l’implémentation de la législation anti-trust soit
indépendant, sujet particulièrement important si le gouvernement n’est pas
un organe élu. Les membres de cet organe juridique doivent avoir été formés
et connaître les aspects techniques de la concurrence pour pouvoir gérer, de
manière compétente, les affaires relative à la concurrence. La population
dans le monde arabe qui, depuis des décennies, est habituée à contourner les
mesures anti-trust par les pots-de-vin ou l’acceptation tacite de ces
pratiques, doit être informée et sensibilisée sur les dispositions et les
mesures anti-trust afin d’éviter ces pratiques et les sanctions qui en
découlent.

 

Depuis le début du
processus de privatisation dans les années 1990, un besoin urgent pour une
législation sur la concurrence se fait sentir dans le monde arabe. Au Proche
Orient et en Afrique du Nord les privatisations ont généré, à ce jour, plus
de $19 milliards (5 pour cent de tous les gains générés par la privatisation
dans les pays en développement) à travers 310 transactions. La privatisation
définie comme le transfert complet ou partiel de la propriété ou de la
gestion d’une entité du secteur public au secteur privé, peut aussi
comprendre le transfert d’un monopole public vers un monopole privé qui,
sans l’existence d’une loi anti-trust proprement mise en place, agira sans
contrôle. Dans ce cas, l’économie perdra de son efficacité, étant donné que
le monopole privé n’augmentera pas l’efficacité par une réduction des coûts
de production ou une amélioration de la qualité et le consommateur
continuera de souffrir des prix plus élevés, de pratiques limitant l’accès
au marché et d’un manque de concurrence sur le marché intérieur.

 

Alors que les experts du
développement soulignent l’importance d’une législation relative à la
concurrence, rares sont les pays arabes qui ont, après la mise en place de
leurs programmes de privatisation agressifs et très étendus, adopté une
telle législation. Les pays arabes qui disposent d’une législation en la
matière sont : la Jordanie, le Liban, l’Oman, l’Arabie saoudite, l’Algérie,
l’Egypte, le Maroc et la Tunisie. La plupart d’entre eux n’ont introduit
cette législation qu’après avoir signé des accords d’association avec l’UE
dans le cadre de la Déclaration de Barcelone de 1995. Cette Déclaration
stipule que le pays signataire d’un tel accord doit disposer d’une
législation sur la concurrence compatible avec celle de l’Union. D’autres
pays qui n’ont pas signé de tels accords avec l’UE mais qui cherchent à
adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont fait examiner leurs
législations et ont été encouragés à se conformer aux règles standard en
matière de concurrence. En fait, l’introduction d’une législation relative à
la concurrence adéquate, qui influence les pratiques commerciales, leur a
été demandée comme prérequis à leur adhésion.

 

Les pays qui ne disposent
pas d’une loi anti-trust sont le Bahreïn, le Koweït, l’Autorité
palestinienne, le Qatar, la Syrie, les Emirats arabes unis, le Yémen et la
Libye. A l’exception de l’Autorité palestinienne, qui constitue, à de
nombreux égards, un cas spécial, tous les autres pays sont des producteurs
de pétrole.

 

L’introduction d’une
législation adéquate sur la concurrence dans les économies arabes a été
freinée par des mécanismes d’implémentation inefficaces. Si, en Jordanie, le
premier projet pour une loi relative à la concurrence a été présenté en
1996, il fallait attendre 2004 jusqu’à ce que cette législation fût
formellement mise en place. A l’instar de la Tunisie, le premier pays arabe
à avoir introduit une loi en la matière en 1991, l’implémentation de la
législation relative à la concurrence en Jordanie souffre toujours du manque
d’indépendance de l’organe responsable de son administration et du manque de
connaissances et d’expertise des avocats, juges et procureurs quant aux
aspects techniques de cette législation. En outre, les commissions de
régulation qui ont vu le jour dès le début du processus de privatisation
interviennent dans les compétences de la Direction de la Concurrence auprès
du Ministère de l’Industrie et du Commerce. En Egypte et en Arabie saoudite
les lois sur la concurrence ont été amendées dernièrement, mais il est
encore trop tôt pour juger de leur implémentation.

 

En général, les pays
arabes éprouvent une certaine réticence à introduire cette législation. Une
des raisons invoquées étant que les gouvernants sont plus concentrés sur le
maintien du statu quo que sur le développement économique par une meilleure
productivité et une meilleure compétitivité. Une autre raison est que les
groupements d’intérêt sont généralement proches du pouvoir et bénéficient
des droits monopolistiques en contrepartie de leur allégeance. Dans des pays
où les décisions économiques et politiques sont prises de manière
unilatérale, ces groupements peuvent faire échouer le processus
d’introduction d’une telle législation. Une troisième raison concerne le
manque d’expertise qui pourtant peut être facilement comblé vu le
foisonnement de programmes de coopération technique en faveur des pays
pauvres et l’augmentation des revenus des pays producteurs de pétrole grâce
à la hausse des prix du pétrole.

 

Il n’est pas étonnant que
le premier Rapport arabe sur le développement humain publié par le PNUD en
2002 ait cité de nombreuses défaillances dans le développement des économies
arabes provoquant l’indignation et des protestations parmi les observateurs
dans et en dehors de la région. Même dans les pays devenus riches grâce à la
manne pétrolière, le développement enregistré au cours des 20 dernières
années est inférieur à la moyenne mondiale et à celui réalisé par certains
pays parmi les plus pauvres de la planète. Le résultat est que les
dictatures étranglent la concurrence et font cultiver l’inefficacité. Les
experts en développement et les décideurs politiques auront tout intérêt à
étudier les principes de l’économie sociale et à s’informer sur les
avantages que ces économies pourront tirer des réformes éclairées qui
associeront le principe du marché libre à une redistribution socialement
équitable des bénéfices parmi les membres de la société. Comme disait Konrad
Adenauer : « la liberté est la base du succès de toute activité de l’homme
et le fondement de toutes ses aspirations. » Cependant « la liberté de
l’individu impose que celui ou celle qui en bénéficie n’oublie pas sa
responsabilité pour ceux ou celles qui l’entourent et pour la société toute
entière. » Cette réflexion devrait constituer le point de départ de toute
législation anti-trust car : un marché libre n’est pas un marché
non-réglementé.

 

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* Yusuf Mansur occupe
actuellement le poste de CEO et de consultant chez Enconsult. Dans le passé,
il a travaillé comme Directeur général de la Telecom Regulatory Commission
TRC, comme Représentant résident du PNUD (Koweït), CEO de Jordan Investment
Board JIB et CEO de Jordan Agency for Enterprise and Investment Development
(JADE).


Contact :
ymansur@enconsult.com


 


 


 

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La
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en Allemagne est l’héritière fidèle du premier chancelier allemand Konrad
Adenauer (1876-1967) qui a introduit l’économie sociale de marché dans
l’économie allemande d’après-guerre en étroite collaboration avec son
ministre de l’économie Ludwig Erhard et en s’inspirant de l’Ecole de
Fribourg.

 

Animée par le désir de
promouvoir et de soutenir la démocratie, la liberté et la justice, la
Konrad-Adenauer-Stiftung déploie, depuis plus de 25 ans, ses activités dans
la région du Proche et Moyen Orient et la Méditerranée. Dans le cadre de ses
activités qui visent à développer un ordre économique adéquat, la KAS se
base essentiellement sur l’économie sociale de marché, un concept qui a fait
ses preuves en Allemagne et a été adopté par de nombreux Etats européens. La
KAS voudrait partager l’expérience allemande et contribuer à une
connaissance plus approfondie de l’économie sociale de marché parmi ses
partenaires et amis dans la Région Proche Orient / Méditerranée. La
Konrad-Adenauer-Stiftung reste convaincue que les principes de l’économie
sociale de marché offrent des solutions tout à fait adaptées aux défis à
relever, aujourd’hui, par les économies arabes. 

 

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