Rapport du Sénat français : Le nouvel « âge d’or » des fonds souverains au Moyen-Orient

Rapport du Sénat français : Le nouvel « âge d’or » des fonds souverains au
Moyen-Orient

Une délégation de la Commission des Finances du Sénat français, qui a
séjourné du 25 mars au 1er avril 2007, dans trois Etats du Golfe persique
(Emirats arabes unis (EAU), Royaumes de Bahreïn et d’Arabie Saoudite), a
rédigé un rapport sur les fonds souverains au Moyen-Orient.

Cette délégation avait pour objectif d’examiner, sous l’angle économique,
financier et géopolitique, la situation de trois Etats du Golfe persique
bénéficiant de la « manne » ou « rente » pétrolière.
La théorie économique définit l’économie de rente par son caractère non
productif et non diversifié. Elle se traduit par l’exploitation d’une seule
ressource, dont le produit est redistribué à la population par
l’intermédiaire de l’Etat. Cette économie est donc, d’une part, largement
dépendante de l’état des réserves de ladite ressource et, d’autre part,
faiblement génératrice de croissance puisque reposant sur un secteur public
prépondérant. Au terme de ce déplacement deux constats principaux peuvent
être dressés.

– Ces économies, reposant sur une rente longtemps gérée de façon « familiale
», sont désormais soucieuses de se diversifier en se tournant à la fois vers
l’industrie et vers les services. Cette diversification nécessite de
recourir, de façon pragmatique, aux « best practices » et de s’attacher le
concours ou l’expertise des meilleurs spécialistes mondiaux.
– Malgré l’hétérogénéité des trois pays visités, la délégation a constaté un
« renouveau » de la manne pétrolière qui se traduit par un nouvel « âge d’or
» et entraîne une géopolitique financière riche d’opportunités pour les pays
développés. D’une part, l’afflux de liquidités à la recherche de placement
s’investit à la fois dans les immeubles prestigieux, les bons du trésor et
le rachat d’entreprises. D’autre part, ces pays constituent des marchés
considérables et solvables où s’affrontent les compétences du monde entier.
La situation reste malgré tout très fragile en raison des tensions et de
l’instabilité géopolitique de la région (Iran, Irak, Palestine).
Au cours de ce déplacement, de nombreuses rencontres ont été organisées avec
des dirigeants politiques (prince héritier, ministres, parlementaires) et
économiques (présidents et directeurs d’entreprises publiques ou privées,
gouverneurs de banque centrale, directeurs financiers et conseillers
économiques). En outre, des entretiens ont été menés avec des hauts
fonctionnaires du ministère des affaires étrangères et européennes et de la
direction générale du Trésor et de la politique économique.

Une rente pétrolière détenue par des acteurs très hétérogènes
Une diversité démographique

Au delà de l’apparente unité et de leur participation au Conseil de
coopération des Etats du Golfe (CCEAG), ces trois pays sont très différents.
L’Arabie Saoudite compte officiellement plus de 22 millions d’habitants dont
35 % d’étrangers tandis que le Royaume de Bahreïn a environ 700.000
habitants, dont près de 38 % d’étrangers. Ce dernier est le seul Etat
majoritairement chiite de la péninsule arabique. Cas unique au monde, les
EAU, comptent environ 5 millions d’habitants, dont 80 % d’étrangers Le
faible poids des nationaux pose, pour ces pays, à la fois une question de
sécurité géopolitique, de cohésion nationale mais aussi économique.

L’Arabie Saoudite est la première puissance pétrolière mondiale avec une
capacité de production de 11,3 millions de barils par jour. Ses réserves
prouvées, les plus importantes au monde, sont estimées à 264 milliards de
barils, soit près du quart du total mondial.
Le Royaume de Bahreïn a, pour sa part, une capacité de production de
seulement 0,182 million de barils par jour.
Les EAU, qui possèdent un peu moins de 10 % des réserves mondiales de
pétrole (environ 98 milliards de barils), produisent 2,8 millions de barils
par jour (assurée à hauteur de 87 % par le seul émirat d’Abou Dabi).

Un stock considérable de liquidités en recherche d’affectation optimale
La région constitue le plus grand gisement de liquidités au monde, grâce aux
« pétrodollars » dont le volume est poussé à la hausse par le cours actuel
élevé du pétrole.
– Une augmentation forte et durable des cours du pétrole
Depuis la crise financière asiatique de 1998, le cours du brent n’a cessé
d’augmenter, plus nettement encore depuis 2005 (+ 42,3 % par rapport à
2004). En 2007, les cours sont au plus haut : le 15 octobre 2007, le prix du
baril a atteint son record de l’année en dépassant 86 dollars. En moyenne,
sur les huit premiers mois de l’année 2007, la cours du brent s’élève à
65,83 dollars par baril.

Un contexte de tarissement annoncé des réserves
L’existence d’un pic de production, ou « pic de Hubbert », à partir duquel
la production pétrolière commencera à décliner, conduit les monarchies
pétrolières à adopter une gestion fine et «politique» du prix du pétrole
afin de maximiser leurs ressources. L’hypothèse la plus communément admise
situe ce pic entre 2015 et 2025.

Un niveau exceptionnel de croissance en 2006-2007

Le PIB de la zone du Moyen-Orient est estimé à plus de 990 milliards de
dollars.
Le taux moyen de croissance des trois pays s’établit à 6,6 % en 2006-2007.

L’Arabie Saoudite connaît une croissance exemplaire et 2006 a constitué sa
meilleure année selon tous les indicateurs économiques. Les Emirats arabes
unis, en pleine expansion, doivent cependant
maîtriser les risques inflationnistes, dus pour l’essentiel au « boom
immobilier ».

– A quel niveau estimer les avoirs financiers issus de ces pétrodollars ?

Même si les fruits de la « rente pétrolière » sont inégalement répartis, ces
pays disposent d’une manne financière considérable.
Le chiffrage du montant réel des pétrodollars est toutefois délicat en
raison de la confidentialité des montants et de la perméabilité entre les
avoirs officiels, des banques centrales (environ le tiers du total des
avoirs), et ceux détenus « à titre privé » ou par des structures ad hoc (qui
représentent les deux-tiers).
En tout état de cause, ces avoirs sont chiffrables en billions de dollars et
posent la question des fonds dits « souverains ». A titre d’exemple, l’Abu
Dhabi Investment Authority (ADIA), établissement public chargé d’investir
une partie des revenus du pétrole, disposerait de 875 milliards de dollars
d’actifs en septembre 2007. Ces chiffres ne sont cependant qu’une
estimation, l’ADIA ne publiant aucun compte.
La région du Moyen-Orient compte donc aujourd’hui parmi les plus dynamiques
du monde et se montre désireuse d’investir à l’extérieur. Sa capacité
d’investissement à l’étranger, déjà considérable, devrait continuer à
augmenter et s’orienter de plus en plus vers l’euro, l’Europe pouvant
représenter une alternative aux Etats-Unis.

Diversifier les structures de l’économie et la stratégie de placement-
Sortir du « tout-pétrole »

La réduction de la part des hydrocarbures dans le PIB se constate dans tout
le Moyen-Orient et dans les trois Etats visités : elle ne représente plus
que 25 % à Bahreïn, 31 % aux EAU mais encore 50 % en Arabie Saoudite. Cette
réduction résulte du souci d’accroître la part des autres secteurs, devant
la double nécessité de rééquilibrage économique et de stabilisation de la
société.
Déjà avancée au Royaume de Bahreïn et aux EAU, l’Arabie saoudite a mis en
place une politique de privatisation de l’économie afin de favoriser
l’émergence d’un secteur privé. Les grands axes de la diversification
passent par la saoudisation des emplois, la libéralisation et l’insertion
dans l’économie
globalisée (comme en témoignent l’adhésion à l’OMC en novembre 2005 mais
aussi l’appel aux investissements étrangers ou le développement du
tourisme).

La mise en place d’un cadre juridique adapté pour attirer les compétences
et les investissements

A l’instar de la stratégie adoptée par le Royaume de Bahreïn depuis 30 ans,
l’attractivité et la diversification économiques de la région nécessitent la
mise en place de zones franches fiscales et réglementaires. Ainsi, Dubaï
International Financial Center, DIFC, zone franche instituée en 2004 avec
l’ambition de s’ériger en place financière la plus importante du Golfe,
propose une véritable supervision « clef en main » en matière financière qui
s’inspire du mode de fonctionnement et des «best practices » de la City.

Une spécificité : la technique de la « banque islamique »
Afin de rendre compatible la finance avec l’éthique musulmane, « la finance
islamique » a vu le jour dans les années 1970. Outre l’interdiction de «
rémunérer l’argent », celle-ci se définit donc comme
un ensemble de produits financiers conformes à la Charia. Ainsi, la loi
islamique interdit l’intérêt et les fonds islamiques ne peuvent pas être
investis dans des opérations associées à l’alcool, au tabac, à la
pornographie et aux paris.
Il s’agit d’un marché à très fort potentiel de développement, en croissance
de 15 % par an dans lequel la City dispose déjà de plusieurs années
d’expérience. En effet, depuis 2004, le Royaume Uni est le seul pays
occidental dans lequel la finance islamique est significativement implantée,
le gouvernement ayant modifié sa législation afin de développer ce secteur
et de faire de Londres « le portail occidental et le centre mondial de la
finance islamique ».

Conclusion- Quel rôle notre pays peut-il prétendre jouer dans cette
région ?

La région entretient avec la France une relation politique exceptionnelle
doublée de liens culturels forts comme en attestent les récents partenariats
avec la Sorbonne et Le Louvre. Dans un contexte de forte demande solvable de
ces pays, les relations commerciales doivent prendre de l’ampleur. D’autant
que les intérêts de la France sont désormais menacés par la concurrence
agressive des nouveaux partenaires que sont l’Inde et surtout la Chine. La
part de marché de cette dernière dans la région est aujourd’hui deux fois
plus importante que celle de la France. Il est
donc indispensable de maintenir la présence française dans la région afin
qu’elle devienne un partenaire privilégié des Etats du Golfe.
Ces éléments soulignent l’exigence de vision stratégique et de priorité à
l’accroissement de la compétitivité française. L’ambition du présent rapport
est d’y oeuvrer en contribuant à une nécessaire et salutaire prise de
conscience de conscience.

 

(Source : Sénat français)