Lettre à un ami français (1ère Partie)

Par : Autres

Cher François,

Je suis très ravi de savoir que vous avez décidé de venir nous rendre visite, ici, en Tunisie, d’autant plus qu’il fait actuellement très beau. Mais qu’elle fut ma consternation et mon désarroi lorsque j’ai su que vous viendriez avec votre voiture pour faciliter vos déplacements.

Vous savez, François, pour conduire en Tunisie et surtout dans le Grand Tunis, il faut être titulaire d’un permis spécial non catégorisé qui n’existe nulle part dans le monde sauf chez nous. Et dans le souci de vous éviter un retour précoce dans les 24h suivant votre arrivée, avec, en sus, votre voiture en pièces détachées et les nerfs en ébullition (en évitant scrupuleusement de ne pas parler de dégâts humains), j’ai jugé utile de vous apprendre les règles les plus élémentaires de la conduite en Tunisie.

Commençons d’abord par la théorie, c’est-à-dire le code de la route tunisien :

1- Les feux de signalisation :
Ce sont des feux dont la couleur est toujours nuancée : un feu rouge n’est pas toujours rouge surtout en l’absence des agents de la circulation, le feu orange est toujours vert quelle que soit sa longueur. Et quand 2 feux de signalisations se suivent à 20 mètres de distance, si l’un des 2 feux est au rouge et l’autre est au vert, faites l’addition suivante : rouge +vert = rouge verdoyant donc vert d’après notre théorème spécifique tunisien et il faut évidemment passer même en présence des agents de la circulation.

2- Le panneau de signalisation «STOP» :
C’est le panneau que le Tunisien déteste le plus car il lui fait perdre 3 précieuses secondes. Son respect dépend de son emplacement : s’il est placé dans un lieu absurde, désert, s’il est plié en deux, tordu, décoloré, enfoui dans un buisson ou caché par un arbre, il faut absolument s’arrêter, longuement, quitte à y passer la nuit car dans le cas contraire, vous êtes à 99,99% de chances de voir surgir du néant, un agent de l’ordre et vous serez cuit comme les carottes ! Par contre, si le panneau est en plein centre ville régulant des croisements de rues très passantes, ignorez le, et ne perdez pas les précieuses secondes.

3- Les avertisseurs lumineux clignotants :
Ce sont des feux que nous utilisons volontiers pour les mariages, les stationnements interdits en 2ème voire 3ème position.
Ils servent aussi en guise de salutations de routine entre confrères «louagistes» qui se croisent sur la route. Et, quelques fois pour changer de direction !

Eh bien, certains  bons citoyens, ayant de ce fait, et depuis longtemps, perdu le réflexe du bon usage de l’avertisseur, et dans un accès subit et providentiel de lucidité cérébrale, se rappellent de le mettre à gauche pour virer…à droite et vice versa. Donc c’était pour vous montrer l’inutilité du «clignotant » chez nous dont vous pouvez vous en passer ou ignorer tout simplement son existence.

4- Les voitures prioritaires :
Sont considérées comme hautement prioritaires, les voitures de nos frères
immigrés et de nos amis les voisins, les «américaines» aux vitres teintées, les 4X4 de luxe, les bus en fin de service et enfin toutes les voitures conduites par les musulmans pratiquants à 5 minutes de la rupture du jeûne.

Et sont considérées comme moyennement prioritaires ou non prioritaires, les ambulances et les voitures de la protection civile, tous feux allumés, qui sont tenues d’attendre à ce qu’une âme charitable daigne leur céder le passage ou, à défaut, de patienter aux feux rouges «comme tout le monde» ; leurs malades agonisants n’ont qu’à se retenir quelques instants avant l’arrivée à l’hôpital.

5- La distance de sécurité :

L’unité de mesure pour le calcul de la distance de sécurité en fonction de la vitesse de la voiture est le décimètre et non le mètre. Par Exemple si pour une vitesse donnée, vous devez garder 20 mètres de distance avec la voiture qui vous précède, chez nous c’est 20 décimètres c’est-à-dire 2 mètres pour la même vitesse.

6- Les traçages routiers :

Les passages pour piétons (cloutés ou pas), les lignes continues, discontinues, d’arrêt et de délimitation de chaussée, les flèches de rabattement à droite et directionnelles ainsi que toute signalisation routière tracée sur la route ou sur les bords des trottoirs, ne sont que de jolis dessins faits pour la décoration et l’embellissement de la ville et des routes. Si une de ces signalisations vous évoque une règle du code de la route, ce n’est qu’une pure imagination de votre esprit encore actif et vous avez intérêt à effacer rapidement ces idées saugrenues au risque de vous exposer à de fâcheux évènements. D’ailleurs, le ministère de l’Equipement, conscient de leur inutilité, a bien jugé de faire des économies non négligeables en remplaçant la peinture indélébile par de l’aquarelle enfantine qui tient tout au plus 2 à 3 semaines.

Cher ami, je comprends
Votre stupeur et votre étonnement, mais ce ne sont que quelques bribes de règles d’une liste qui est loin d’être exhaustive. Relevez-vous et commencez à bien les gober car je veux que vous soyez préparé à encaisser le 2ème coup –le coup de grâce– qui est la pratique de la conduite relatée dans ma prochaine lettre. 

Bonne nuit

Walid Abdelmoula – Tunis.