Conduite de la politique économique face aux nouvelles contraintes de la compétitivité : cas de la Tunisie (1ère partie)

 
 


INTRODUCTION GENERALE

diplome210.jpgL’amélioration de la compétitivité globale constitue un objectif primordial,
eu égard aux retombées positives attendues en termes d’exportation,
d’emploi, de croissance et par conséquent de bien être collectif.

L’élargissement des marchés par l’ouverture des frontières nationales sur le
marché extérieur, constitue une opportunité pour les pays qui cherchent une
plus grande compétitivité. Cette orientation impose de nouvelles contraintes
à savoir, une capacité à gérer la concurrence internationale par la maîtrise
des coûts et le choix d’une bonne spécialisation et le respect des nouvelles
règles qui régissent désormais le commerce international.

Les nouvelles conditions de la concurrence : L’accélération des
mouvements de libéralisation au niveau mondial a favorisé l’émergence de
nouveaux pays importants au niveau du commerce mondial rendant ainsi la
concurrence encore plus forte. Par ailleurs, les progrès technologiques
récents et le développement des qualifications ont changé les conditions de
la production et par suite, la nature des échanges. En effet, l’apparition
de nouveaux produits, par l’effort de l’innovation, fait que la
compétitivité devient largement tributaire des capacités technologiques et
du niveau de qualification de la main-d’œuvre. Ces exigences imposent par
conséquent une conduite de politique économique rigoureuse en matière de
gestion des ressources de production et de nouveaux impératifs en matière de
mise à niveau et de compétences technologiques.

Les nouvelles règles d’accès au marché international : La
régulation commerciale est désormais régie par L’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC), qui doit jouer un rôle déterminant dans la mise en place
progressive du libre échange, sur la base de règles et normes visant à
favoriser des rapports de droit issus des négociations et consignés dans les
accords de Marrakech de 1994, que chaque pays membre doit respecter pour
accéder au marché international.

De ce point de vue, on doit relever que la Tunisie a opté, depuis le milieu
des années 1980, pour une stratégie de développement économique résolument
ouverte sur l’extérieur. Elle a, par ailleurs, renforcé le mouvement de
libéralisation en participant activement au cycle de négociation d’Uruguay
et par la signature des accords de Marrakech. De même, un accord
d’Association a été conclu en vue de mettre en place une Zone de Libre
Échange avec l’Union Européenne, rendant nécessaire des mesures d’adaptation
de la législation tunisienne aux nouveaux engagements conventionnels ainsi
que des actions particulières pour contribuer à aider les entreprises
nationales à affronter les nouvelles contraintes et à améliorer ainsi leur
compétitivité. Il convient de relever aussi, que la Tunisie aura été le
premier pays de la rive sud de la Méditerranée à opter pour ce modèle
d’engagement, subissant ainsi les contraintes qui s’y attachent et procédant
aux adaptations requises, d’où la valeur de cette expérience en tant que
test pour l’ensemble des autres pays du sud méditerranéen.

Notre objectif dans le cadre de cet article, est d’étudier la démarche de
politique économique en Tunisie pour s’adapter aux nouvelles conditions de
la compétitivité.

Il convient dans un premier temps de présenter les nouvelles exigences en
matière de concurrence à travers l’évolution de la structure et de la nature
des échanges au niveau mondial. Par la suite, on s’intéressera aux réformes
engagées pour s’adapter aux nouvelles conditions du marché et les
performances de la Tunisie en matière de compétitivité. Pour cela, nous
adoptons une conception de la compétitivité qui met l’accent sur
l’appréciation de la performance du système productif dans son ensemble, à
travers sa capacité à développer les facteurs de croissance auto-entretenue
de long terme susceptibles d’exercer un impact déterminant sur la
compétitivité. Même si les coûts de facteurs continuent à avoir de
l’importance dans la compétitivité, le poids des facteurs structurels et
qualitatifs liés à l’environnement économique, est devenu plus important au
cours des dernières années. Notre analyse portera sur certains facteurs qui
jouent un rôle décisif pour la compétitivité de l’économie tunisienne par
l’amélioration de la productivité et de la spécialisation à savoir :

– la restructuration de l’économie en vue d’une plus grande efficacité, la
mise à niveau du système productif permettant de faire face aux défis de
l’ouverture du marché, le niveau de développement technologique notamment le
degré de diffusion des TIC, les compétences et les qualifications de la
main-d’œuvre tunisienne par référence aux exigences de la compétitivité,
ainsi que l’évolution de la spécialisation ;
– l’adaptation du cadre législatif en cohérence avec les règles de l’OMC et
les engagements pris dans le cadre de l’accord d’association avec l’Union
Européenne.

Section I : Orientations du commerce international et contraintes de la
compétitivité

L’amélioration des systèmes productifs par l’introduction des technologies
plus performantes, mieux adaptées aux nouvelles technologies et aux nouveaux
modes d’organisation, d’une part, la politique d’ouverture des frontières
nationales sur le marché extérieur selon des règles plus strictes d’autre
part, ont modifié les conditions de la concurrence internationale.

I-1 Les nouvelles conditions de la concurrence internationale

Le mouvement de libéralisation des échanges internationaux s’est accompagné
par des modifications tant au niveau de la structure qu’au niveau de la
nature des échanges. Cette évolution a donné lieu à une intensification de
la concurrence qui a rendu l’amélioration de la compétitivité plus difficile
pour les pays qui ne disposent pas de capacité technologique et d’un niveau
de qualification suffisant.

I-1-1 Les nouvelles conditions de la production au niveau mondial

Au cours de la décennie 70, les restructurations pour résoudre la crise
économique, ont porté essentiellement sur les innovations technologiques qui
ont touché aussi bien les procédés de fabrication que les modes
d’organisation et de gestion des entreprises, en particulier :

– l’automatisation, la conception et la fabrication assistée par ordinateur,
qui donnent à l’entreprise la possibilité de s’adapter plus rapidement à
l’évolution des besoins en matière de conception et d’avoir une plus grande
flexibilité de la production, ce qui lui procure des gains de productivité
considérables ;

– l’introduction des nouvelles techniques de gestion (opérations juste à
temps, maîtrise totale de qualité) qui améliorent l’efficacité des
entreprises.
– l’apparition de matériaux nouveaux qui permettent, non seulement aux
entreprises de réduire leurs coûts de production en les substituant à des
matériaux plus coûteux, mais également de procéder à une amélioration des
spécifications de leurs produits ;
– l’application des biotechnologies ce qui ouvre de nouvelles possibilités,
notamment dans les domaines de l’agriculture et de la médecine.

Par ailleurs, le développement remarquable des TIC a permis de disposer des
informations via des réseaux de communication avec des coûts de plus en plus
faibles, ce qui contribue à améliorer l’accès de l’entreprise à
l’information et à faciliter ses relations avec l’extérieur (clients,
fournisseurs, administrations) et permet en conséquence d’accroître
sensiblement son efficacité par l’amélioration de sa productivité et par
conséquent, sa compétitivité. Par ailleurs, les coûts directs de la
main-d’œuvre ne sont plus aussi importants en pourcentage du coût total de
production qu’ils l’étaient auparavant. En outre, les progrès des TIC se
sont associés au processus de mondialisation qui se traduit par une
intégration croissante des marchés favorisant ainsi la baisse des prix.

D’autre part, les préférences des consommateurs sont de plus en plus
différenciées. Pour certains produits, le prix n’est plus l’élément
déterminant de la demande et d’autres facteurs entrent en jeu, tels que la
qualité des produits, le degré d’innovation, etc.

Les économies émergentes, telles que la Tunisie, qui ont eu jusque là un
avantage comparatif associé à de bas salaires et aux incitations fiscales et
monétaires accordées aux producteurs nationaux, se trouvent confrontées à
une nouvelle dynamique de la concurrence internationale, qui évolue d’une
concurrence essentiellement basée sur les prix, donc sur une maîtrise des
coûts, vers une concurrence qui met l’accent non seulement sur les liens
entre les coûts et les prix, mais aussi sur la capacité des entreprises à
acquérir des connaissances et des capacités technologiques, à innover [1] et
à s’adapter rapidement aux nouvelles conditions des marchés.

Ces économies qui, aux premiers stades de leur développement, manquent des
compétences, des qualifications et de l’appui institutionnel nécessaires
pour la maîtrise de l’évolution technologique, doivent tenter d’accéder aux
innovations technologiques produites dans les pays développés d’abord, par
l’importation des techniques étrangères incorporées dans les biens
d’équipement et les biens intermédiaires. Elles peuvent ensuite y avoir
accès par la voie des liens établis avec des entreprises mondiales à travers
toutes les formes de contrats de sous-traitance, d’investissements directs
étrangers, d’accords de licences, et d’alliances stratégiques. Cependant,
une dépendance excessive à l’égard des importations de technologies, en
particulier à l’égard de celles qui ne contiennent aucun élément
d’apprentissage peut nuire à long terme à une économie. D’où la nécessité de
promouvoir en même temps les activités locales de R&D souvent très faibles
dans les PED, objectif qui ne peut se réaliser sans l’existence d’un niveau
élevé de qualifications du facteur travail. L’adaptation des politiques
nationales en matière d’éducation et de formation professionnelle à ces
nouvelles conditions de la compétitivité constitue une contrainte
supplémentaire pour les économies émergentes.

I-1-2 Intensification de la concurrence et exigences en matière de
spécialisation

L’analyse de l’évolution du commerce mondial met en évidence l’émergence de
nouveaux produits et de nouveaux pays :

1-
Évolution de la nature des échanges

L’analyse du commerce mondial des marchandises par produits montre que
certains produits manufacturés ont été plus dynamiques que d’autres dans le
commerce international, ce qui tend à leur donner plus d’importance sur le
marché mondial. En effet, suite à la rapide expansion de l’industrie des
TIC, les exportations mondiales de machines de bureau et équipement de
télécommunication ont progressé de 12% en moyenne par an sur la période
1990-2000, soit deux fois plus vite que le commerce mondial. Malgré la
diminution de la valeur de ces exportations observée en 2001 (-13%) et une
stagnation de cette valeur en 2002, la part de cette catégorie de produits
se situe à 13.4% des exportations mondiales de marchandises en 2002 contre
8.8% en 1990. Par ailleurs, on observe, sur la période 1990-2000, une
augmentation de la valeur des exportations mondiales de services de 6% en
moyenne par an, ce qui a donné aux services une part de près de 20% dans le
commerce mondial. Après le ralentissement enregistré en 2001, les
exportations de services ont connu, en 2002, une croissance plus importante
que celles des marchandises, soit 6% et 4% respectivement. Cette tendance
vers une spécialisation croissante dans les services est particulièrement
marquée pour certaines économies (PECO, Chine, Corée du sud, Inde) qui
réalisent sur la période 1990-2002, un taux de croissance des exportations
dépassant largement le niveau mondial. 2[2]

Ainsi, la modification des conditions de la production au niveau mondial
s’est accompagnée, au niveau des échanges par l’apparition de produits
nouveaux à contenu technologique et niveau de qualification élevé. Ceci
impose aux économies émergentes la nécessité d’une spécialisation dans ces
produits en vue de s’insérer dans l’économie mondiale.

2-
Évolution de la structure des échanges
:

Au cours des deux dernières décennies, on note l’émergence de certains pays
en développement parmi les principaux exportateurs au niveau mondial. En
effet, certaines économies (Corée du sud, Taiwan, Hongkong, Singapour,
Indonésie, Malaisie, Chine, Thaïlande, Mexique, Inde, etc.) ont réussi à
développer leurs exportations à un rythme largement supérieur à celui du
commerce mondial, devenant ainsi plus importantes au niveau international.
Ce phénomène d’émergence s’est accompagné par une redistribution des parts
de marché à l’exportation de produits manufacturés des pays d’ancienne
industrialisation au profit de ces économies en développement (M. Debonneuil,
L. Fontagné, 2003). Ainsi, parmi les 15 premiers exportateurs de produits
manufacturés au niveau mondial en 2001, dix sont des PED. Ces derniers ont
particulièrement amélioré leurs positions dans le domaine des exportations
de machines de bureau et équipement de télécommunication. Bien que les
exportations de ces produits soient dominées par l’UE, les USA et le Japon
dans les trois premières positions, on note parmi les 15 principaux
exportateurs au niveau mondial, la présence de 10 PED : Singapour, Chine,
Malaisie, Corée du Sud, Mexique, Philippines, Indonésie etc.

Cette tendance vers une spécialisation de certaines économies sur les
produits technologiques fait apparaître une nouvelle DIT qui remet en
question la conception statique de l’avantage comparatif des théories
traditionnelles de l’échange et permet de justifier des approches en termes
de dynamique de l’avantage comparatif, de processus d’apprentissage,
d’économies d’échelle et de dynamique de l’innovation.

Pour la Tunisie, ces pays sont des concurrents pour certains produits ce qui
se traduit par une intensification de la concurrence pour l’économie
tunisienne. De là, la nécessité d’opter pour une stratégie de spécialisation
active et de recourir pour cela à un ensemble de politiques économiques
permettant aux industries naissantes d’exportation de devenir compétitives
sur le plan international. [3] A ces contraintes relatives aux conditions du
marché, s’ajoutent les contraintes relatives à l’accès au marché.

I-2 Exigences liées au nouveau cadre institutionnel des échanges.

La Tunisie, de par son choix d’une plus grande intégration dans l’économie
mondiale par l’adhésion à l’OMC et la signature d’un accord de libre échange
avec l’UE, doit d’une part, adapter sa réglementation et d’autre part,
améliorer l’environnement des affaires pour permettre aux entreprises
nationales d’affronter la concurrence internationale.

I-2-1 Contraintes imposées par les accords de l’OMC.

Les accords de l’OMC ont prévu une série de règles à respecter par les
gouvernements dans la formulation de leurs politiques commerciales en
particulier, la clause de la NPF, le traitement national, la prévisibilité,
la transparence et la concurrence loyale. En ce qui concerne le commerce des
services, l’AGCS fixe des règles spécifiques que les pays spécialisés dans
ce secteur comme la Tunisie doivent respecter. Chaque pays signataire est
ainsi obligé à modifier sa législation nationale afin de la rendre
compatible avec les nouveaux principes mentionnés ci-dessus.

En outre, ces accords imposent de nouvelles contraintes à l’accès au marché
[4]. En effet, la concurrence loyale exige que les différents producteurs
travaillent dans les mêmes conditions. L’avantage que pourrait avoir un
producteur par rapport à un autre doit provenir de la productivité de ses
facteurs de production, de la qualité de ses produits et de la maîtrise des
coûts. Dans ces conditions, tous les pays devraient rechercher les moyens
pouvant assurer à leurs entreprises la performance nécessaire à défier la
concurrence et à assurer la compétitivité qui ne peut plus être désormais,
basée sur des facteurs tels que les subventions à l’exportation, les baisses
artificielles des prix de vente ou les dépréciations compétitives de la
monnaie nationale. Par ailleurs, en réduisant les risques liés à
l’innovation et en permettant aux innovateurs d’amortir les investissements
de R-D, la protection de la propriété intellectuelle stimule certes, la
créativité mais peut se traduire, du moins à court terme, par un coût
d’accès à la technologie plus élevé pour les PED (CNUCED, 2002).

I-2-2 Contraintes liées à l’accord d’association avec l’UE

Convaincue des opportunités que présente l’intégration régionale, la Tunisie
a cherché à renforcer sa stratégie de promotion et de diversification des
exportations par la signature d’un accord de ZLE avec l’UE. Cet ancrage dans
un espace économique plus développé est supposé avoir, à moyen terme, un
effet positif car il permet une mise à niveau de l’économie nationale, une
plus grande efficience économique et donc une amélioration de la
compétitivité. Outre l’abolition progressive des restrictions quantitatives
dés l’entrée en vigueur de l’accord en 1996 [5], un calendrier a été établi
pour un démantèlement progressif des tarifs douaniers imposés aux
importations de produits industriels sur une période de douze ans. Par
ailleurs, l’accord inclue des engagements en ce qui concerne le droit
d’établissement des sociétés, la libéralisation de la fourniture de
services, les paiements liés aux transactions courantes et la libre
circulation des capitaux liés aux investissements directs en Tunisie, à la
liquidation et au rapatriement du produit de ces investissements et de tout
bénéfice en découlant [6]. En outre, les dispositions de l’accord respectent
les engagements pris par les deux parties dans le cadre de l’OMC concernant
toutes les pratiques déloyales ou discriminatoires qui risquent de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence [7].

La mise en place de la ZLE va accélérer de manière significative l’accès des
entreprises européennes au marché national, imposant ainsi une concurrence
plus forte aux entreprises nationales sur ce marché. Par conséquent, des
efforts d’ajustement considérables s’imposent à l’économie tunisienne,
notamment la mise à niveau des infrastructures économiques, la promotion de
l’investissement privé et des activités créatrices d’emplois, la réforme du
système éducatif et de la formation ainsi que la mise à niveau et la
reconversion de l’industrie [8].

*(Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Tunis)

 [1] L’innovation
comprend non seulement les innovations technologiques, mais aussi les
changements constants et progressifs opérés par les entreprises lorsqu’elles
investissent, créent des capacités de production, renforcent et améliorent
leurs capacités technologiques et d’une manière générale, apprennent à
s’adapter à l’évolution de la situation, (CNUCED, 2002).
[2] OMC, Statistiques du commerce international, 2003.

[1][3]
Cette question a été largement débattue pour les NPI entre ceux qui
considèrent que  leurs performances sont dues à des politiques économiques
favorables aux marchés en particulier, des régimes commerciaux ouverts
(Banque mondiale 1993) et ceux qui ont attiré l’attention sur l’importance
de l’activisme des gouvernements dans ces pays notamment par une  politique
industrielle  et commerciale  sélective (Lall, 1996)

[1][4] Il
faut noter, que le nouveau système multilatéral prévoit des modalités
d’application des nouvelles règles de l’OMC qui sont plus souples pour les
PED, en particulier pour les PMA et qu’il n’est pas figé dans la mesure où
il est basé sur des négociations continues entre les pays membres pour tenir
compte des spécificités et des capacités des différents pays à s’adapter aux
nouvelles règles qui sont plus contraignantes.