Information et connaissance : différences et complémentarités

Par : Tallel
 

Information et connaissance

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Par Chiha
GAHA*
 

formation1_270106.jpgLa
nouvelle économie est de plus en plus une économie immatérielle. Les
organisations (et les nations) qui se développent sont celles capables de
maîtriser l’information et utiliser à bon escient leur connaissance.
Cependant, si l’information et la connaissance sont considérées comme deux
atouts majeurs dans toute production de biens et de services, le rôle joué
par l’une et l’autre, leurs effets et leurs finalités sont souvent mal
définis. Certains analystes considèrent que la connaissance et l’information
seraient synonymes et que l’information est simplement un «type de
connaissance».

Pourtant, la connaissance, dans sa substance comme dans sa démarche, n’est
pas l’information. Elle ne procède pas de la même logique et ne présume pas
des mêmes conditions. Connaître est une opération dynamique et suppose des
capacités de mémorisation et de raisonnement. Résultat d’un flux continu
d’expériences, de praxis, d’analyse et d’ouverture sur l’environnement, la
connaissance serait plutôt une capacité cognitive, un potentiel
d’apprentissage à même d’inférer de nouvelles informations et connaissances.
Pour cette raison, à chaque nouvelle prise de connaissance (co-naissance),
l’individu connaissant renaît de nouveau. Sa manière de percevoir change,
ses significations et ses actions aussi.

Informer, par contre, serait simplement une action visant à donner une forme
aux données recueillies. C’est un processus de formatage et d’organisation
d’une classe de signaux souvent inertes. Ainsi, prendre connaissance d’une
information, c’est chercher à la traduire au regard d’une sensibilité
préalable. A partir de son schéma perceptuel, l’individu interprète le réel
et forme ses significations. La connaissance serait une capacité de réponse,
le produit d’informations traduites à la lumière d’une structure d’accueil
préalable.

Le plus essentiel ne réside donc pas dans l’utilisation, le stockage et la
transmission des informations mais plutôt dans la construction de
sensibilités appropriées à même de traduire mieux et plus vite les
informations collectées. Cette sensibilité est une construction qui se forme
par les apprentissages. Le savoir apprendre est aujourd’hui une question
cruciale pour réussir l’action. Sans un tel savoir apprendre, appuyé par un
management des ressources humaines idoine, les informations collectées et
l’ensemble des technologies de l’information (TI) ne seraient que d’un
apport marginal. Plusieurs enquêtes l’affirment… Pour l’analyse, nous
rappelons quelques pratiques de gestion de connaissance dans les
entreprises.

Les TI : formalisation des savoirs
et accessibilité


Les TI (l’intranet, les data warehouse, les groupware, les systèmes
experts, les agents intelligents et autres programmes informatiques),
englobent l’ensemble des outils et systèmes d’information acquis et
développés par une organisation en vue de gérer ses informations et
expertises, de les formaliser, les développer et les faire partager. En
formalisant ses pratiques et procédures de travail, l’entreprise cherche à
réaliser deux objectifs majeurs : sauvegarder son savoir-faire des
déperditions éventuelles, d’une part, normaliser son fonctionnement et
routiniser l’agir de ses collaborateurs, d’autre part. La formalisation
autorise l’avènement d’une communauté de producteurs bien au courant de ce
qu’il est à faire et à ne pas faire et confère à l’organisation une capacité
de contrôle et d’anticipation. En consignant ses expertises, l’unité assure
une continuité dans ses fonctionnements et un meilleur apprentissage pour
ses membres. Par exemple, la compagnie Texas Instruments paie un prix fort
pour reconstruire de nouvelles pratiques à mettre à la disposition des
nouveaux employés alors que celle-ci sont déjà créées, testées et validées,
mais simplement oubliées.

Cependant, par une telle formalisation des pratiques et procédures, les
adeptes des TI croient que le savoir-faire à consigner serait une somme
d’informations apparentes et facilement formalisables et transférables.
Mais, faut-il le rappeler, dans tout savoir, il y a deux dimensions, l’une
explicite et observable, et l’autre, tacite et difficilement saisissable.
Inscrite dans l’agir quotidien de ses détenteurs, dans ce tour de main
difficilement communicable, la dimension tacite se construit par des
retouches successives et incrémentales et à la faveur d’une expérimentation
parfois longue et de conditions d’assimilation propres. Fugace et
imperceptible, un tel savoir ne peut se laisser totalement «congeler&ra quo;
par les TI. Pourtant, ce sont ces connaissances informelles qui confèrent à
l’organisation son avantage comparatif.

Connaissance et information : quel
apprentissage?

Les TI sont capables de formaliser les savoirs explicites, de les conserver
et les mettre à la disposition des participants, en cas de besoin. Au regard
de ce référentiel, les travailleurs, particulièrement les nouvelles recrues,
conforment leur manière de procéder et uniformisent leurs actions. Un
référentiel établi sert toujours pour canoniser l’action et contrôler toute
dissidence. En outre, pris dans le flux de l’activité quotidienne, les
utilisateurs font souvent confiance à ces archétypes et ne se posent plus de
question quant à leur portée et leur pertinence. Pour certaines entreprises,
la force de leurs procédures et de leurs pratiques est telle que tout
changement serait une oeuvre ardu e. Parce qu’elles regardent trop souvent
dans le rétroviseur pour entamer l’action, ces entreprises avancent à
reculons, s’inscrivent dans la routine et l’inefficience.

Ainsi, la consignation des informations et leur accessibilité ne pouvaient
suffire à développer le champ de connaissance des individus, à leur faire
apprendre à agir autrement. Pour traduire ces informations en une
connaissance productive, certains préalables sont à réunir, des conditions
d’apprentissage opportunes et favorables. L’informatisation serait,
simplement, un faire savoir dont le but est de façonner, d’instruire un mode
d’action. Par contre, le faire connaître cherche à revisiter l’ordre
cognitif, à ajuster ses termes de référence et ses ancrages pour permettre
un savoir-faire différent. Ainsi, une formation au sein de l’entreprise ou à
l’Université ; basée sur la simple acquisition d’une multitude
d’informations ou sur la maîtrise des TI ne peut autoriser qu’un
apprentissage formel et marginal. Cette formation touche la forme et permet
tout au plus la reproduction des pratiques établies. Une telle formation
serait simplement reproductive et ne permet pas de préparer les
bénéficiaires à voir et à faire autrement. Par contre, une formation
permettant la prise de connaissance, apprenante, capable de toucher l’ordre
cognitif, la sensibilité d’accueil des individus, celle-ci autorise la
construction de nouveaux référents et une modification dans l’être et le
faire des apprenants. Un tel apprentissage connaissant est dit radical et
transformationnel ; il est novateur et rompt avec les démarches habituelles.

L’engagement des travailleurs, un
préalable aux TI

En investissant dans l’infrastructure technologique et en cherchant à
formaliser et à stocker les expertises apparentes, les organisations
cherchent d’abord à conserver leur patrimoine immatériel et à parer à tout
risque de déperdition ou de copiage. Mais une telle action de conservation
nécessite au préalable le consentement et l’implication de ceux qui
détiennent ces savoir-faire. Sans l’engagement des ressources humaines à
faire consigner leurs pratiques et expertises, il ne serait pas possible de
les extérioriser et formaliser. Pour les travailleurs, l’expertise qu’ils
détiennent est leur ressource cruciale et leur force de négociation. Dans un
marché marqué par l a compétition, se défaire de son expertise et la
partager, c’est renoncer à une marge de manœuvre stratégique.

Ainsi, pour des raisons de sécurité ou claniques, plusieurs travailleurs
refusent de dévoiler entièrement leur savoir-faire et s’ingénient à garder
des zones d’ombre, des espaces privés à faire prévaloir en cas de besoin.
C’est pourquoi, pour réussir une stratégie d’externalisation et de
formalisation des connaissances disponibles au sein d’une organisation, il
faut que les deux parties -la partie donnante (les travailleurs experts), et
la partie réceptrice (le management)- gagnent dans ces transactions. Pour ce
faire, une confiance éprouvée entre les membres et une complémentarité
d’intérêt entre le management et les ressources humaines seraient
nécessaires. Et la création d’une communauté de producteurs solidaires et
communicatifs n’est pas une affaire de TI ; elle est plutôt la consécration
d’une gouvernance de ressources humaines appropriée. Sans l’engagement du
personnel à faire partager ses savoirs et ses savoir-faire, il ne peut y
avoir fécondation de nouvelles idées et développement de l’intelligence
individuelle et collective.
Pour conclure, s’il est évident, aujourd’hui, que les TI offrent des
opportunités essentielles de traitement, de conservation et de mise en
partage des informations, celles-ci ne peuvent, à elles seules, donner lieu
à la production d’une connaissance distinctive. Les TI gèrent l’information
et la génèrent mais ne peuvent pas inférer une réelle capacité cognitive.
Les modes d’apprentissage de l’entreprise et son management des ressources
humaines… sont ainsi plus qu’essentiels pour réussir.

* Professeur à l’ISG de Tunis