Le secteur TIC en Tunisie : Une question d’équilibre entre le développement off-shore et on-shore (partieII)

Par : Tallel
 

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Par Kley Visentin*

 

Partie II :

L’intérêt de bâtir un
secteur TIC on-shore solide
 


Partie I : Le développement du secteur TIC en Tunisie :
Une question d’équilibre entre Off-shore et On-shore


 

rajel240406.jpgL’Etat
tunisien fait de gros efforts pour accélérer l’adoption des TIC par la
société tunisienne. Plusieurs initiatives incluses dans le Xème plan
(2002-2006) visant à accroître l’utilisation de l’outil informatique au sein
de la population sont pratiquement atteintes. Parmi certaines priorités
inscrites dans ce plan nous retrouvons les objectifs de porter à 10,5% le
taux de foyers équipés d’ordinateurs (programme « l’ordinateur familial »),
d’accroître le nombre d’ordinateurs à 5,9 pour 100 habitants, de permettre à
toutes les classes sociales l’accès aux TIC (Publinets) ou encore de
permettre la connexion à Internet de toutes les institutions éducatives.

Ces initiatives donnent de bons résultats au niveau du grand public. Mais
qu’en est-il pour le segment « BtoB » ?

La première partie de cet article analysait le secteur TIC du point de vue
de l’export. Nous proposons dans cette seconde partie de passer en revue et
d’analyser le secteur TIC de point de vue local, ou encore sous l’angle «
on-shore ».

Le marché local : la perspective de « l’utilisateur local ».

Il est étonnant de voir que le secteur TIC en Tunisie est essentiellement
appréhendé, du point de vue des affaires, en tant que produit d’exportation
supplémentaire ! Pourtant les TIC jouent un rôle primordial dans le
développement durable de presque toutes les activités économiques locales.

Comparé aux pays avancés, le secteur TIC est très peu développé en Tunisie.
En 2002, le marché était évalué à seulement 200 millions de DT et le parc
des PC était estimé à 210 000 unités (sur une population d’un peu moins de
10 millions). Malgré un accroissement compris entre 10 et 12% par an, le
niveau d’utilisation des TIC reste faible par rapport aux pays développés.
En moyenne, la consommation des TIC par habitant en Tunisie est 50 fois
moindre qu’en Europe et 100 fois inférieure à la consommation américaine1.

Il n’y a pas beaucoup d’informations détaillées et fiables en ce qui
concerne la variété et la qualité des services fournis par le secteur TIC
tunisien. Ce manque d’information rend difficile le diagnostic de la
situation actuelle du secteur. Cependant, quelques indices peuvent êtres
recueillis par l’analyse de l’ensemble des caractéristiques de l’offre et la
demande locale en produits et services TIC.

Du côté de la demande. La demande interne en produits et services TIC
provient essentiellement des entreprises publiques et des institutions
gouvernementales.

L’Etat et les entreprises publiques assurent plus de 80% du chiffre
d’affaires total du secteur. La plupart de la demande en services TIC est
liée à l’initiative e-gouvernement, initialement incluse dans le IXème Plan
(1996-2001) et qui avait pour but la modernisation du fonctionnement des
institutions et l’intégration des différentes administrations au sein d’un
réseau global d’information.

En plus d’être le plus grand acquéreur de produits et services TIC, l’Etat
en est aussi le principal promoteur auprès du secteur privé. Le programme de
mise à niveau a été un outil important d’adoption des TIC. A travers ce
programme, l’Etat tunisien subventionne les logiciels et les services
associés (investissements immatériels) à hauteur de 70% et les équipements
informatiques à hauteur de 25 %. En dépit des ces aides financières, de
nombreux chefs d’entreprises continuent à ne pas considérer les TIC comme un
investissement créant de la valeur pour leurs clients.

Un exemple de cette aversion aux TIC est la tendance des entreprises
tunisiennes à acheter du matériel informatique plutôt que des logiciels
spécialisés. Les investissements dans des logiciels spécialisés tels que le
supply chain management, le workflow ou l’ERP restent marginaux, 6% du
chiffre d’affaires total du secteur seulement. La majorité des logiciels
acquis concernent des applications « standards » telles que la comptabilité,
la gestion de la paye et des applications de back office. Ce type
d’application a une valeur ajoutée limitée sur la performance globale de
l’entreprise. En terme de prestations de services TIC, la situation est
similaire. Généralement, les entreprises locales acquièrent des services «
orientés produits » tels que :

* Du conseil informatique, souvent associé à l’acquisition de logiciels et
d’équipements informatiques (conception d’un réseau local, évaluation des
systèmes d’information, configuration d’un serveur, etc.…)
* De l’assistance pour l’adaptation et la mise en place d’applications
software (installation, intégration à des applications existantes,
formation, transfert de données existantes, etc.…)

Du côté de l’offre. Un secteur TIC très fragmenté.

Il est composé d’environ 345 entreprises, 300 d’entre elles disposent de
moins de 10 employés. Il emploi environ 6550 personnes dont plus de la
moitié travaillent dans l’administration, les centres technologiques
nationaux et les entreprises publiques.

La plupart de ces entreprises sont spécialisées dans la vente et la
maintenance d’équipements informatiques, 68% du marché total des TIC contre
26% pour les applications logicielles. L’éventail des offres des entreprises
TIC les plus petites incluent des services liés à Internet, la maintenance
et le développement multimédia. Les entreprises plus importantes offrent
plutôt des services traditionnels tels que la programmation et le
développement de bases de données.

En Tunisie, le secteur des TIC est encore dans une phase « jeune pousse » de
son développement et aucun avantage compétitif n’est encore vraiment
apparus. L’absence d’un accès local à des applications appropriées ou à des
fournisseurs fiables pousse de nombreuses sociétés à satisfaire leurs
besoins en TIC au travers de partenaires internationaux ou en prenant
contact avec de fournisseurs de TIC étrangers. Cette situation restreint une
des rares sources de croissance pour les entreprises TIC locales.

La mise en œuvre de « best practices » en terme de développement de logiciel
et l’accès à des services de classe mondiale est primordial pour le futur
développement du secteur. C’est sur ce point que la libéralisation de
l’économie peut jouer un rôle de premier ordre.

La nécessité d’un développement rapide et soutenue du secteur TIC

En ce qui concerne les TIC, le monde des affaires Tunisien est dans une
phase de rattrapage des économies les plus avancées. Ce processus met la
pression sur les entreprises TIC pour qu’elles accroissent rapidement la
qualité de leurs produits et services. La création de ces capabilités au
travers d’un développement interne coûte très cher et peu prendre plusieurs
années. Le meilleur moyen pour acquérir ces capabilités rapidement est de
rendre les produits et le savoir faire actuellement disponibles dans les
pays développés facilement accessibles aux entreprises locales. Dans cet
esprit, l’établissement d’un environnement d’affaires attractif et la
suppression des barrières commerciales sont indispensables pour le
développement futur du secteur.

Malgré que ce secteur soit l’un des plus libéralisés de Tunisie, seul 6% des
entreprises TIC sont des filiales d’entreprises internationales. Le secteur
TIC continue à faire face à des problèmes affectant la distribution locale
de produits et services TIC importés. Quelques exemples :

* L’acquisition de services en ligne. Chaque entreprise Tunisienne qui
achète des logiciels importés peut utiliser des services fournis depuis
l’étranger. Cependant, il y a encore des difficultés pour payer en ligne et
en devises certains services tels que l’aide à l’installation, le « help
desk » et le support technique pour les logiciels d’entreprise.

* La protection contre le piratage. L’ouverture de l’accès à des logiciels
étrangers est très souvent accompagnée de fortes restrictions relatives au
copyright. Bien que membre de l’O.M.C., la Tunisie présente toujours des
faiblesses dans l’application de règles internationales sur le droit
d’auteur.

* Les déplacements des professionnels à l’étranger. Dans l’industrie des TIC
il est d’usage que les spécialistes viennent directement chez les clients
pour travailler sur des projets et ceci sur une période déterminée. La
possibilité pour des professionnels en TIC étrangers de travailler en
Tunisie sur un longue période, et réciproquement, permettrait de répondre
plus rapidement et à un coût de transaction moindre.

Le tableau suivant récapitule les plupart des barrières affectant le
développement du secteur IT, et que l’on peut retrouver dans les analyses
présentées ici ainsi que dans l’article précédent.
 

im1150506.jpg

 

En conclusion, quatre pistes sont à explorer, pour aider les décideurs à
formuler une stratégie de renforcement du secteur TIC, et lui conférer un
rôle décisif dans la consolidation des avantages compétitifs de la Tunisie:

 

1) Le développement des TIC doit s’intégrer dans un plan global de
développement d’une société de l’information en Tunisie, faisant appel à des
expertises locales et à des transferts de technologies avec des partenaires
stratégiques associés sur le long terme. La Tunisie doit cibler les plus
grands groupes qui opèrent dans les TIC, et leur faire une proposition
concrète et personnalisée pour les inciter à s’implanter en Tunisie.

2) Les principes qui gouvernent le choix des fournisseurs et les modalités
d’appels d’offre et d’adjudication au moins disant qui ont cours aujourd’hui
dans le secteur public, sont à notre avis, à revoir complètement.
Privilégier plutôt l’offre locale, et sur la base du mieux disant.

3) Prendre conscience que l’avantage pays, tel qu’une main d’œuvre
disponible et avec de faibles salaires, n’est pas forcément générateur de
Business ou d’investissement directs étrangers. Il y aura toujours des pays
moins chers et dotés d’infrastructure d’accueil meilleure. Vu la taille des
entreprises tunisiennes, miser plutôt sur les demandes spécifiques et les
attentes des marchés niches, pour lesquelles la Tunisie pourrait avoir un
meilleur positionnement.

4) Internationaliser le secteur TIC en négociant des accords de
libéralisation bilatéraux et réciproques –négocié en one to one- pour
l’ensemble des modes de fourniture des services, selon le cadre générale
AGCS de l’OMC. Ceci favorisera le développement de l’infrastructure et les
transferts de technologies grâce notamment à une liberté d’exercice des
professionnels sur un territoire plus large.
 

*Consultant en Stratégie
d’Affaires,

www.mkc-consulting.com