Journaux en-ligne : Quels statut, financement et avenir ?

 

Média émergeants

Journaux en-ligne :

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Par Taoufik
Habaieb

 

journal2170406.jpgComment
favoriser l’émergence d’une presse électronique professionnelle, rentable,
responsable et éthique ? Avec la facilité de l’outil technologique, le
foisonnement des blogs, vlogs et journaux en ligne, et les tentations
multiples, la concertation s’impose pour mettre en place les fondements de
la réussite et les garde-fous contre les dérapages. Dans le respects de la
libre entreprise, de la créativité et des libertés, individuelles et
collectives.

Vous avez un téléphone portable ? Vous êtes déjà journaliste ! Voire, grand
reporter international ! Puisque vous êtes capable de rendre compte au monde
entier, de là où vous vous trouvez sur la planète, d’un évènement, par le
texte et/ou la photo. La compression numérique aidant, tout comme le haut
débit et le wifi, transforment désormais tout un chacun en
citoyen-journaliste. Qu’il agisse pour son propre Blog, ou pour un journal
en ligne, ou encore participant à un forum de discussion, il parvient en
quelques clics et fractions de secondes à diffuser son message et atteindre
l’audience mondiale la plus large possible.

Ainsi va la technologie, démocratisée, accessible à tous, en lecture comme
en écriture. En texte, comme en image, et maintenant en vidéo. A eux seuls,
les Etats-Unis comptent plusieurs milliers de journaux en ligne et pas moins
de 22 millions de blogs. La Chine, l’Inde, mais aussi l’Europe, le monde
arabe et (timidement) l’Afrique suivent le pas, en vitesse numérique. La
Tunisie aussi.

Statut, rentabilité, avenir ?

Précurseurs depuis quelques années, et nouveaux nés s’installent sur le net,
à partir de la Tunisie. Des expériences significatives de journaux en lignes
s’accomplissent à travers webmanangercenter, tustex, africanmanager,
tunisiait, mosaïquefm, gplcom.com, bourseimmo, audinet et autres moins
célèbres. Tout comme celles de nombre de quotidiens et périodiques imprimés,
notamment

www.lapresse.tn
, assabah, letemps, chourouq, tunishebdo, leconomiste,
etc. Généralistes ou spécialisés, professionnalisés ou portés en sacerdoce,
ils se posent tous les mêmes interrogations : quel statut, quelle
rentabilité, quel financement, quel avenir ? Un questionnement qui n’est pas
propre à la Tunisie, puisqu’il traverse l’ensemble du Net et interpelle
sociologues, juristes, économistes, communicateurs et élus.

Dans le cas de la Tunisie, une lecture rapide de l’économie de certains
journaux électroniques offre un premier éclairage. Le site-journal de la
station radio 

www.mosaiquefm.net
  qui allie news et video en direct,    explose en visites
des quatre coins de la planète,  avec plusieurs centaines de milliers de
visiteurs uniques.  Le pionnier, 
www.webmanangercenter.com    déclare,  selon Hachemi Ammar,   200 000 visites en mars 2006 et 15 000 envois pour la
newsletter quotidienne. A 70 ans, le quotidien la Presse épouse la modernité
du net avec sa version en ligne qui fidélise un large tunisien et
francophone. Au contenu rédactionnel s’ajoute la partie utilitaire (carnet,
nécrologie, horaires des trains et avions, pharmacies ouvertes, carnet
culturel, cours des devises, etc.). Tustex s’avère la référence pour la
bourse et les finances, tout comme bourseimmo pour l’immobilier ou audinet
pour l’investissement en Tunisie. Le financement de ces journaux viendrait,
normalement, des redevances, au titre du contenu, reversées par les
fournisseurs d’accès, perçus lors des hits et, essentiellement, des
bannières publicitaires. Les recettes publicitaires sont cependant encore
modestes. Le plus grand chiffre d’affaires réalisé par un journal en ligne
n’a pas dépassé 60 000 D en 2005, soit 5 000 dinars par mois ce qui est
insuffisant pour développer et maintenir un logiciel de qualité, une
maquette évolutive et un contenu rédactionnel alerte et attractif.

Ce bref détour par l’économie recentre bien le débat. Parce que, à moins
qu’il s’agisse d’une œuvre philanthropique ou idéologique, un journal en
ligne c’est d’abord et surtout une entreprise, appelée à se rentabiliser
pour prospérer et se pérenniser. Sans aller plus loin et en profondeur dans
l’analyse, plus appropriées dans des enceintes autres que celle que les
colonnes d’un journal imprimé ou en ligne, je me contenterai de signaler à
la réflexion trois grandes questions à savoir : la professionnalisation, le
statut et le financement.

Professionnaliser

A la différence d’un acte amateur tout-à-fait légitime et appréciable, un
journal en ligne ne saurait désormais réussir sans adopter une démarche
professionnelle, celle d’un vrai journal. La technique change, le style
aussi, le concept certainement, mais les règles de fonctionnement sont les
mêmes. Une entreprise avec des règles de gestion, une rédaction avec un
rédacteur en chef, des chefs d’édition, des secrétaires de rédaction pour la
relecture et la mise en forme, des maquettistes, un chef de diffusion, un
chef d’abonnements, un analyste de diffusion et de lectorat, et surtout des
journalistes, des photographes, des éditorialistes et des commentateurs. On
peut certes compacter certaines tâches, les confier à une seule personnes,
mais on ne saurait les occulter ou s’en passer. Prenez l’exemple de la
version électronique du Monde ou du Washington Post, ce sont de vrais
entreprises quasi-indépendantes, avec un contenu différents et des équipes
dédiées. Dans le cas de La Presse, toute une équipe spécialisée assure, en
temps réel, sous la houlette de Cherif Arfaoui, la mise à jour et le
lancement des nouvelles éditions. Cette professionnalisation repose
évidemment sur une approche marketing pour bien étudier le marché, élaborer
le concept, adapter sans cesse le produit, drainer lecteurs et annonceurs,
garantir la rentabilité.

L’entreprise de presse électronique sera donc une entreprise à part
entière, professionnelle et à but de rentabilité OU ne sera pas.

Un statut commun, mais le Net et l’auto-régulation en plus

En elle-même, l’entreprise de presse obéit aux dispositions communes en
vigueur notamment celles du code de commerce et, de par sa spécificité au
code de la presse. Reste, de manière encore plus particulière, les aspects
relatifs à l’outil électronique. Là, les dispositions existantes ou à
concevoir, ne concernent pas uniquement la presse en ligne mais en fait
l’ensemble du Net, qu’il s’agisse de simple sites web, d’e-mails, de forums
de discussion, et autres.

Ce nouveau droit s’exerce non-seulement sur le contenu et ses auteurs, mais
aussi sur l’ensemble des infractions, délits et crimes pouvant s’y
rapporter, sans exclure les attaques contre les sites, le détournement de
contenu et, d’une manière encore plus générale, la cyber-criminalité. Dans
cet effort de réglementation, la toute récente innovation nous vient des les
Emirats Arabes Unis, pays de Media-City et Internet-City. En effet, la loi
fédérale promulguée le 2 janvier de cette année, offre une approche
originale et riche en enseignements, alliant respect des libertés,
encouragement des entreprises et protection de la société contre tout risque
ou dérive.

Une chose est certaine, quelle que soit l’ampleur de la réglementation et la
puissance de sa mise en œuvre, elle ne saurait, face à cette forte natalité
sur le net, cette technologie sans cesse affûtée, et cette universalisation,
garantir toute sa protection/dissuasion. Elle peut, à la limite, punir, mais
rarement prévenir. Les peines encourues peuvent dissuader, mais sans jamais
assurer un parfait respect de la légalité. Or tous les dangers viennent, en
fait, du forfait accompli et de ses ravages dévastateurs irréparables
qu’aucune peine ne saurait gommer. Le seul recours additionnel, fort et
puissant, efficace et performant, n’est autre que l’auto-régulation. Charte
professionnelle, système d’auto-discipline professionnelle co-géré par les
éditeurs, les représentants des autorités morales (conseil supérieur de la
communication, etc.) et de la société civile peut valablement élaborer,
faire évoluer et faire respecter une pratique saine, éthique, au service de
la Tunisie. D’accord pour la loi, mais en plus, il faut la foi.

L’entreprise de presse électronique sera une entreprise respectueuse
des lois, auto-régulée, éthique OU ne sera pas.

Quel financement ?

En plus de la noble mission du contenu qui anime tout éditeur et
journaliste, il y a, en fin de compte, l’impératif du gain. Pas d’intérêt,
pas d’action. Pas de bénéfices, pas de pérennité. Alors qui financera la
presse en ligne. La redevance ? A revoir dans son accessibilité, ses taux et
ses modalités. La publicité ? A organiser, professionnaliser, promouvoir.
Mais est-ce suffisant ? Reste donc l’aide de l’Etat, au même titre que celle
consentie en faveur de la presse.

Qu’il s’agisse d’aide directe (sous forme de soutien à la presse d’opinion
et d’annonces publicitaires publiques), ou indirecte pour les frais de
communication, la subvention du prix du papier ou l’abattement fiscal en
faveur des journalistes et certaines autres réductions, il convient de
réfléchir à un dispositif incitatif pour une presse électronique de qualité.
Il ne s’agit nullement de généraliser de manière uniforme ou, à l’inverse,
de discriminer, mais de réserver les deniers publics, aux expériences qui
répondent parfaitement à un cahier des charges précis et rigoureux.

Cette rampe (financière) de lancement, encouragera les bonnes volontés,
cultivera les talents et préservera l’indépendance des journaux sérieux.
C’est la seule règle possible. C’est le préalable pour la naissance d’une
presse en ligne non tout-à-fait commerciale, de qualité, à même de porter la
voix et l’image de la Tunisie et des Tunisiens, à sur la toile et dans le
monde entier. Comme nous l’avions fait pour l’industrie, l’agriculture, les
services, le tourisme, la promotion immobilière et tant d’autres secteurs,
nous devons le faire pour la presse électronique de qualité, contre cahier
des charges dûment supervisé par les instances éthiques, professionnelles et
sociétales.

La presse électronique naissante sera soutenue dans son lancement OU
ne vivra que le temps des fleurs.

Puisse les débats initiés, il y a quelques semaines au sein de l’IPSI, puis
la semaine dernière sous les auspices du Ministre de la Communication et des
Relations avec la Chambre des Députés et la Chambre des Conseillers, et
bientôt par d’autres instances, approfondir pareilles questions et surtout
aboutir à des recommandations utiles, tant attendues. Blogs, Vlogs, presse
électronique, journalisme-citoyen, digital-reporter, google-journalism et
autres : la presse change, les desks d’agences de presse, les rédactions,
stations radio et chaînes TV ne s’étalent plus sur les étages des buildings
en verre. Il s’installe au bout du GSM et de l’ordinateur portable. Heureux
sont ceux qui l’ont compris et s’y sont préparés ?