Tunisie UEVéritable feuille de route pragmatique et réaliste, le rapport pays 2025, publié le 10 juillet courant par la Banque africaine de développement (BAD) sur la Tunisie, peut, au regard de la pertinence de son analyse et de ses recommandations, inspirer positivement le gouvernement de Sarra Zaafrani Zanzri pour relancer la croissance et le développement de l’économie du pays sur des bases plus solides et plus résilientes.

Ce rapport a pour mérite de reprendre, indirectement, à son compte des approches développementales diffusées actuellement à grande échelle dans le pays. Il s’agit principalement du compter sur soi, de la restructuration en cours des entreprises publiques, de la convergence institutionnelle, d’un meilleur ciblage de la subvention et d’une meilleure valorisation des richesses naturelles du pays (phosphate, tourisme, diaspora…).

« La Tunisie dispose d’un capital national diversifié mais sous-exploité. »

Un potentiel sous-exploité malgré un capital national diversifié

Concrètement, le rapport de la BAD, intitulé « Tirer le meilleur parti du capital de la Tunisie pour favoriser son développement », estime que la Tunisie dispose encore de leviers importants pour améliorer l’utilisation de son capital national, et ce, dans un contexte de croissance faible (prévisions de +1,9 % en 2025 et +2,3 % en 2026).

L’idée principale développée par le rapport est la suivante : la Tunisie dispose certes d’un capital national diversifié, mais son exploitation reste freinée par moult fragilités structurelles.

Les fragilités structurelles qui freinent le développement de la Tunisie

Au nombre de ces déficiences, le document cite cinq :

1️⃣ Des marges budgétaires limitées : En dépit d’une pression fiscale estimée en 2024 à 25 % et bien plus (34 % si on applique les critères de l’OCDE), ces marges sont freinées par deux facteurs : le coût élevé des subventions (20 milliards de dinars annuellement) et l’importance de la masse salariale. En 2024, cette masse est estimée à 13,5 % du PIB et à 39,6 % des dépenses totales du budget.

2️⃣ Une sous-exploitation des richesses naturelles : La mauvaise gestion et la mal gouvernance affectent des richesses minières et énergétiques confirmées, telles que les milliards de réserves de phosphate du gisement de Sra Ouertane (au nord-ouest de la Tunisie) et le fort potentiel des énergies renouvelables, qui ne représentent à ce jour que 4 à 5 % du mix énergétique.

3️⃣ Un environnement des affaires dégradé : Cette situation est particulièrement préjudiciable aux PME, ne permettant pas le développement d’un tissu industriel dynamique.

4️⃣ Un déséquilibre entre formation et besoins du marché : L’inadéquation entre les qualifications ouvrières disponibles et les besoins du marché expliquerait le taux élevé de chômage, notamment des diplômés du supérieur.

5️⃣ Un secteur financier peu inclusif : Le système bancaire en Tunisie reste limité et ne permet pas le financement de l’investissement privé (PME…), de l’innovation (startups…) et de l’entrepreneuriat.

Les réformes recommandées par la Banque africaine de développement

À court terme (2025-2026) : gouvernance, subventions et investissement

Le rapport recommande de renforcer la gouvernance du secteur extractif dès 2025 par une transparence accrue des contrats et des flux financiers, ce qui permettrait une meilleure valorisation des ressources naturelles et une redevabilité plus forte.

Le rapport plaide également pour un meilleur ciblage des subventions, à travers une approche technique rigoureuse, afin de réduire les dépenses sans fragiliser les populations vulnérables. Cette réforme budgétaire pourrait être engagée dès fin 2025.

« Un environnement des affaires dégradé pénalise gravement les PME. »

 

Concernant l’investissement, le rapport appelle à une meilleure convergence institutionnelle (le projet cher au président Kaïs Saïed). Des plateformes numériques comme Tunisia Trade Net (TTN), l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII) et l’Autorité tunisienne de l’investissement (TIA) devraient faire l’objet d’une interconnexion et d’une ergonomie plus efficientes, avec une modernisation à lancer dès 2025, en particulier pour les PME.

Dans le domaine de la santé, l’accès dans les zones défavorisées pourrait être amélioré via une cartographie numérique des besoins et une meilleure répartition des professionnels de santé, des actions envisageables dès 2026.

À moyen terme (2026-2028) : financement, diaspora, fiscalité et formation

Face à la difficulté d’accès aux marchés de capitaux, la BAD encourage la Tunisie à structurer davantage de projets rentables (« bancables ») en combinant financements publics, privés et concessionnels.

Des dispositifs comme la SOTUGAR devraient être étendus pour faciliter l’accès au crédit des PME, notamment celles engagées dans des projets écologiques ou innovants.

« Investir massivement dans les énergies renouvelables dès 2028 est crucial. »

 

La mise en place de bons d’investissements pour la diaspora tunisienne, visant à capter une part plus importante des transferts de fonds, pourrait voir le jour dès 2027.

La valorisation des actifs publics sous-utilisés, notamment fonciers, à travers des concessions encadrées, représenterait également une source supplémentaire de capital à lancer progressivement à partir de 2026.

Le rapport suggère également la mise en place d’un cadre institutionnel pour la création d’un fonds souverain vers 2027-2028, afin de stabiliser les revenus issus des ressources naturelles et financer des projets de développement à long terme.

Toujours à moyen terme, le rapport met l’accent sur les chaînes de valeur, la formation et la fiscalité (2026-2028). L’intégration des PME tunisiennes dans les chaînes de valeur nationales et régionales doit être renforcée par des mécanismes de labellisation, garanties financières et accompagnement technique à partir de 2026.

« Mieux cibler les subventions permettrait de réduire les dépenses sans fragiliser les plus vulnérables. »

 

Les programmes de formation technique doivent être alignés, dès 2027, avec les besoins des secteurs porteurs, en partenariat avec le secteur privé.

Concernant la fiscalité, un élargissement de l’assiette fiscale est recommandé via une mise à jour du cadastre, l’automatisation des contrôles fiscaux et une stratégie de formalisation de l’économie informelle, avec un démarrage estimé entre 2026 et 2028.

À long terme (2028 et au-delà) : transition énergétique et réforme de l’État

Pour transformer durablement l’économie tunisienne, le rapport encourage le pays à investir massivement dans les énergies renouvelables dès 2028, notamment dans le solaire et l’hydrogène vert, qui représentent des opportunités stratégiques à fort potentiel de croissance.

Simultanément, la modernisation du système éducatif devra se poursuivre au-delà de 2028, avec un accent sur les disciplines STIM (Sciences, technologie, ingénierie, mathématiques) et l’orientation professionnelle.

Enfin, une réforme progressive de la masse salariale de la fonction publique et l’institutionnalisation de l’évaluation systématique des dépenses publiques sont indispensables pour améliorer la soutenabilité budgétaire et l’efficacité des politiques publiques sur le long terme.

Abou SARRA

Indicateurs clés

  • 20 milliards de dinars : montant annuel des subventions en 2024.
  • 13,5 % du PIB : part de la masse salariale publique en 2024.
  • 4 à 5 % : part des énergies renouvelables dans le mix énergétique actuel.
  • +1,9 % en 2025 et +2,3 % en 2026 : prévisions de croissance du PIB.
  • 2028 : début conseillé pour investir massivement dans le solaire et l’hydrogène vert.