« L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre, car, à regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne se présente que lorsque les conditions matérielles pour le résoudre existent ou du moins sont en voie de devenir », cette belle citation du philosophe prussien Karl Marx m’est revenue à l’esprit, ces derniers jours. Elle m’a paru d’une grande actualité en cette période de sécheresse automnale. Et pour cause.

Face à la grave pénurie d’eau que connait actuellement la Tunisie, des chercheurs et startuppeur sont eu le mérite d’exploiter les progrès technologiques, leur savoir et savoir-faire, pour mettre au point des solutions techniques visant à atteindre deux objectifs majeurs en matière d’économie d’eau.

Il s’agit de rationaliser la consommation d’eau dans l’agriculture, de réduire les coûts de l’eau et d’aider les agriculteurs à contrôler de manière précise les quantités d’eau utilisées en fonction des besoins spécifiques des cultures.

Ultime objectif : utiliser ces solutions innovantes pour relever les défis de la pénurie d’eau et du changement climatique et surtout pour garantir une agriculture durable.

Avec IrriApp, on économise 30% de l’eau dédiée à l’irrigation

Pour ne citer que l’innovation la plus récente, elle est à l’actif d’Irwise, startup tunisienne spécialisée dans l’ingénierie de l’irrigation.

Avec son produit phare IrriApp, solution de l’internet des objets (IoT) conçue spécifiquement pour l’agriculture, Irwise , qui ouvre ainsi la voie avec sa technologie de pointe d’irrigation à distance, a remporté l’année dernière le premier prix du concours #EyesOnBlue.

Ce concours, lancé par le programme européen « EU Neighbours South » qui vise à mettre en avant des entreprises et des individus innovants qui s’attaquent aux problèmes liés à l’eau par le biais de solutions novatrices.

Succinctement, IrriApp offre aux agriculteurs un contrôle à distance sans fil de l’irrigation, avec une portée remarquable de 33 kilomètres et une autonomie de batterie de six mois. Grâce à l’intégration des données climatiques et météorologiques et à l’utilisation de l’intelligence artificielle, IrriApp permet aux agriculteurs de prendre des décisions éclairées et de surveiller les paramètres d’irrigation en temps réel.

L’application fournit également des données sur l’humidité et la température du sol, calcule l’humidité et la température de l’air, et mesure même la vitesse du vent.

Expérimentée sur le terrain, « l’impact d’IrriApp sur les pratiques des agriculteurs a été significatif », du moins si on croit, Mohamed Mekki Maâlej, le développeur de cette application. Toujours d’après lui, « elle a permis de réduire de 30 % la consommation d’eau, de 15 % l’utilisation de pesticides, de 12 % la productivité et de 20 % l’empreinte carbone ».

Le diffuseur enterré permet d’économiser 70% d’eau

Une autre technique innovante favorisant l’économie d’eau a été mise au point par le chercheur tunisien et docteur en géomorphologie appliquée, Bellachheb Chahbani.

Son mécanisme consiste en un “diffuseur enterré” qui permet à l’agriculteur de diminuer la quantité d’eau utilisée dans l’irrigation, de réduire les doses d’engrais grâce à une diffusion plus ciblée et de nourrir la plante d’eau et d’engrais à la racine.

Ce diffuseur permet d’économiser 70% d’eau supplémentaire par rapport au système d’irrigation au goutte à goutte utilisé pour l’arboriculture.

Cette technique novatrice a figuré, en 2018, parmi les 10 nominés au prestigieux Prix de l’Innovation pour l’Afrique (PIA) 2018, organisé chaque année par la Fondation africaine de l’innovation (AIF).

En somme, les deux innovations ont démontré la capacité de la technologie de précision d’optimiser la gestion des ressources en eau dédiée à l’agriculture et d’améliorer la durabilité de cette activité.

Des exploits frustrants

Néanmoins, en dépit de la qualité et de la pertinence de de ces exploits novateurs accomplis par le chercheur Bellachheb Chahbani et le startuppeur Mohamed Mekki Maâlej, nous ne pouvons qu’exprimer notre frustration, voire notre déception, et ce, pour une raison très grave.

La Tunisie, en tant que pays aride et semi-aride qui a, en principe, le plus besoin de l’apport de ces techniques, ne profitera pas, hélas, de ces innovations salutaires. Leurs développeurs s’expliquent.

Pour Irriapp, son développeur Mohamed Mekki Maâlej a annoncé aux médias que son application sera valorisée, en priorité, en Algérie, en Libye et au Maroc et non en Tunisie pour deux raisons.

Premièrement, le marché des pays voisins est plus grand, donc plus intéressant pour Irwise. A titre indicatif, selon Mohammed Mekki Maâlej, le marché tunisien compte 500 000 agriculteurs alors que son voisin algérien en compte 1,2 million.

Deuxièmement, la superficie des exploitations agricoles dans les pays voisins est plus vaste et plus étendue. Ainsi, la nouvelle solution IrriApp à rayon de 33 km sera, d’après lui, parfaite pour ce type d’exploitations.

Quant à la technique du diffuseur enterré de Bellachheb Chahbani, elle ne sera pas industrialisée en Tunisie parce qu’aucun homme d’affaires du pays n’a voulu y investir.

La société de gestion de l’eau en Tunisie « Chahtech » que le chercheur a créée avec son fils Wassim Chahbani, pour valoriser cette technique, a décidé de regarder ailleurs et d’explorer des marchés plus vastes, s’agissant notamment des marchés Mena et l’Afrique, deux marchés aux besoins énormes en matière d’adaptation au réchauffement climatique.

Quant à nous, nous ne pouvons que regretter que de telles solutions techniques n’aient pas trouvé l’écho qu’elles méritent sur le marché tunisien “à cause d’une mentalité qui ne promeut pas le made in Tunisia et ne veut pas prendre le risque de l’investissement dans des solutions novatrices”, pour reprendre les termes de Wassim Chahbani.