Lauréat du trophée “Tounsi du Monde” en 2019, le peintre tunisien établi en Allemagne Rachid Allagui dont le nom résonne un peu partout dans le monde, “hybride, de par son style, les univers et les références culturelles; c’est un artiste qui peut peindre des plaques à Paris aux couleurs des portes de la médina, mélanger les couleurs vives et claires de son pays natal, le blanc du jasmin, le bleu de la Méditerranée, l’ocre jaune des orangers, le rouge carmin des grenades aux couleurs sombres de son pays d’adoption”. C’est ainsi que l’auteure de la monographie consacrée à Rachid Allagui, Béatrice Dunoyer présente cet artiste qui n’appartient à aucune école, et qui adapte son style et sa technique à ce qu’il veut peindre, avec ses coups de pinceaux saccades, la texture complexe, ses couleurs lumineuses, sa prédilection pour la peinture à l’huile et le figuratif, sa vision humaniste, ses peintures du quotidien tunisien ou allemand.

Lors d’une séance de présentation de l’ouvrage organisée jeudi matin à la librairie Al Kiteb-Mutuelleville, et réhaussée de la présence de l’ambassadeur d’Allemagne en Tunisie, Peter Prügel, une assistance cosmopolite a pu écouter le témoignage d’une artiste qui est tombée fortuitement sous le charme de la peinture captivante d’un artiste qui ” incarne un pont entre l’Orient et l’Occident, entre sa Tunisie natale et Cologne, la ville qui l’a adopté, pour devenir ce lien fraternel entre tous ces hommes de par sa double culture présente partout dans ses tableaux” dit-elle.

Comme ses peintures qui s’ancrent dans une double culture, il esquisse ses personnages colonais avec un amour teinté de soufisme et sa peinture figurative tisse des récits qui unissent les deux rives de la Méditerranée, à travers des oeuvres qui matérialisent des liens, des échos humains et des communautés invisibles, défendant la singularité de chacun.

Tout au long des 140 pages en français et en anglais, l’auteur qui dresse au peigne fin tout une carrière et un portait d’un artiste qui représente “l’espoir, la tolérance, la fraternité, l’humanisme ce qui constitue d’ailleurs l’essentiel et l’essence de toute son oeuvre” a relevé que cet ouvrage est une manière de faire sortir de l’anonymat un artiste reconnu en dehors des frontières.

Etablie depuis 2008 à Tunis, Béatrice Dunoyer a choisi dans ce livre, fruit d’un long travail de recherche, et à la différence de la plupart des monographies qui privilégient un axe chronologique, de présenter l’artiste à travers les thématiques récurrentes qui traversent toute l’œuvre de Rachid Allagui cherchant par ce biais à expliquer la structure et la genèse de l’œuvre, l’intention profonde et souvent inconsciente qui influence le travail créateur et permet à l’artiste d’affirmer sa singularité.

La peinture de Rachid Allagui mise sur l’individu de tous les jours. Pour ce “chantre des petits gens de Tunis et de Cologne”, les natures mortes n’ont pas de place dans sa peinture car ce qu’il veut c’est raconter des histoires par son pinceau”. En effet, la sublimation du quotidien, l’amour des petites gens, ses représentations de la femme et même ses scènes de carnaval révèlent chez Rachid Allagui, une certaine manière très personnelle de regarder le monde et les hommes : il les regarde comme” Majnün” contemplant “Leyla”. Comme le poète, il ne regarde pas l’enveloppe extérieure, la beauté plastique, mais la lumière intérieure. Et c’est celle-ci qui rejaillit sur la toile.

Superposant la critique littéraire à la critique picturale, Béatrice Dunoyer propose une monographie originale, aiguillant le lecteur tout en laissant à celui-ci une liberté d’interprétation respectant ainsi la volonté du peintre qui ne donne pas de titre à ses tableaux pour ne pas influencer le spectateur.

Né en 1940 dans la Médina de Tunis, Rachid Allagui se passionne dès son plus jeune âge pour les arts décoratifs au contact des artisans et artistes qu’il regarde travailler dans les échoppes de la médina. Cet apprentissage le conduira à rentrer aux Beaux-Arts de Tunis en secondaire à l’âge de 15 ans. En 1958, après avoir achevé ses études, Rachid Allagui décide de parcourir le monde et ses merveilles : d’abord le Caire et l’Italie avant de traverser toute l’Europe en scooter. Sa soif de vivre, de découvrir, de visiter villes, monuments et musées est insatiable ; il parcourt toutes les grandes capitales : Paris, Amsterdam, Vienne, Berlin, Oslo… N’ayant sur lui que le strict minimum, quelques affaires de rechange. Des outils pour réparer son scooter et des fusains.

De 1961 à 1965, une fois ses études achevées, après avoir intégré les Beaux-Arts de Cologne, il pratiqua divers métiers, mettant toujours à contribution sa créativité : professeur de dessin et de peinture, décorateur, architecte, créateur de meubles… Bien que Rachid Allagui ait conservé durant toutes ces années son atelier de peinture à Bab el Fella, il faut attendre 1986 et son retour à Cologne pour qu’il puisse enfin se consacrer entièrement à son art : la peinture. En 1990, il y ouvre sa propre galerie d’art.

En 1999, il obtient une bourse qui lui permet de finaliser son troisième cycle aux Beaux-Arts de Paris et à l’Académie de la Grande Chaumière. A cette occasion, il est invité en résidence à la Cité des Arts de Paris. Ses œuvres ont été exposées dans le monde entier : Paris, Londres, Prague, Vienne, Budapest, le Caire, Istanbul, Stockholm, Copenhague, Tunis et aux Etats unis d’Amérique. Elles enrichissent de nombreuses collections publiques (Institut du monde arabe, Ambassade de Tunis à Berlin et à Paris et Ambassade d’Allemagne à Tunis, Consulat de Tunis à Bonn, Fondation Aga Khan à Paris) mais la plupart de ses œuvres appartiennent à des collectionneurs privés.