Contrairement à ce que croient certaines parties, notamment, la gauche tunisienne, le Fonds monétaire international (FMI) n’exige pas, uniquement, des conditionnalités qui ont pour vocation de déstabiliser les pays pauvres et d’aggraver la précarité de leur population. Il a également pour mérite de mettre son expertise internationale à la disposition de ces pays en leur recommandant, pour l’accompagnement de ces conditionnalités, des réformes positives à forte rentabilité pour les contribuables de ces pays.

Le cas des négociations du fonds avec la Tunisie est édifiant à ce sujet, particulièrement, en ce qui concerne la conditionnalité sur la réduction de la masse salariale et ses corollaires.

FMI et le redéploiement du personnel pléthorique est nécessaire

Pour mémoire, le Fonds ne rate aucun rapport sur la Tunisie sans appeler le gouvernement tunisien à maîtriser la masse salariale qu’il qualifie « d’une des plus élevées du monde » et à laquelle le FMI impute la responsabilité de la crise actuelle que connaissent les finances publiques du pays.

En accompagnement de cette recommandation, le Fonds a demandé au gouvernement tunisien d’entreprendre trois réformes : suspension des recrutements dans la fonction publique (20 000 de moins chaque année), incitation au départ volontaire négocié à la retraite, objet d’une loi, d’ores et déjà, adoptée, et redéploiement de l’effectif pléthorique existant.

Ces réformes ont pour ultime objectif d’améliorer la productivité du fonctionnaire tunisien et de l’affecter dans des activités où l’Etat peut collecter, légalement, le maximum de ressources fiscales pour le budget.

Sur le terrain, le gouvernement a beaucoup avancé sur les deux premières réformes, et ce, depuis 2017. Cependant, il traîne encore du pied pour la troisième réforme : le redéploiement de l’effectif.

Pourtant la marge de manœuvre dont il dispose pour réaffecter une partie du personnel pléthorique est énorme en ce sens où plusieurs secteurs publics pâtissent d’une insuffisance criante de personnel.

Mieux, les domaines qui souffrent le plus de manque de personnel sont des créneaux rentables qui engrangent de beaucoup de ressources à collecter par l’Etat.

Il s’agit, entre autres, du recouvrement fiscal, du contrôle économique et des prestations fiscales municipales

Des niches génératrices de juteuses ressources fiscales

Concernant le recouvrement fiscal, Amine Bouzayen, chercheur en politiques publiques au Centre Ali Ben Ghadham pour la justice fiscale a évoqué, le 11 septembre 2023, cette question sur les ondes de la radio privée Express Fm.

Il a révélé que « les pertes résultant de l’évasion et de la fraude fiscales sont estimées à environ 25 milliards de dinars, selon les chiffres officiels. Ce chiffre est énorme, car il représente, plus de 60 % des recettes fiscales et représente plus de 100 % des ressources d’emprunt dans la loi de finances 2023 ».

Selon lui, ce potentiel ne peut être collecté par le fisc en raison du manque de personnel. « Le nombre d’agents de contrôle fiscal ne dépasse pas les 1 650, estimant que ce chiffre est très faible ».

Il a rappelé par la même occasion que « des rapports internationaux ont parlé de ce manque au niveau des agents de contrôle fiscal, notamment un rapport du FMI qui considérait que « le manque flagrant de ressources humaines et matérielles au sein de l’administration fiscale la rend incapable de jouer son rôle ».

La deuxième niche génératrice de recettes fiscales est manifestement le contrôle économique. D’après des statistiques officielles, le ministère du commerce ne compterait que 600 contrôleurs répartis sur tout le territoire du pays dont la moitié est sédentarisée dans les bureaux. C’est trop peu au regard de la recrudescence du commerce informel, de l’intermédiation et de la banalisation de la tricherie. Pour ne citer qu’un chiffre, seuls 35% des produits agricoles transitent par les marchés régulateurs de gros (Bir Kassa et autres).

La troisième niche est représentée par les recettes fiscales municipales. Il suffit de relever les longues queues de citoyens qui passent des heures et des heures pour se faire livrer un document en règle (extraits d’état civil, registre de commerce, enregistrement de contrats, légalisation de signatures…) pour comprendre que ces structures manquent dramatiquement de personnel alors que paradoxalement les transactions qui s’y accomplissent se font en cash (liquide) et rapportent beaucoup à l’Etat.

Par-delà ces constats, nous pensons que l’Etat pour renflouer les caisses de l’Etat doit réaffecter en urgence une partie du personnel pléthorique de la fonction publique vers ces activités génératrices de ressources.  Tout simplement, l’Etat doit orienter son personnel là où il y a l’argent à collecter.

Cela pour dire pour finir que la polémique sur l’échec qui sanctionne le plus souvent les programmes convenus avec le FMI ne doit pas être assumé, uniquement, par ce dernier parce qu’il n’a pas assuré le suivi, mais également par les gouvernants bénéficiaires des crédits. Ces derniers ont cette fâcheuse tendance à faire mauvais usage des prêts contractés et à ne pas appliquer, surtout, les mesures d’accompagnement. Tout le mal est là.

A bon entendeur.