A quelques semaines du démarrage, de la récolte des olives, les responsables du syndicat patronal des oléifacteurs, exploitants d’huileries, multiplient, en cette fin de saison estivale, les sorties dans les médias, pour annoncer, unilatéralement, à qui veut les entendre, que le prix du litre d’huile d’olive pourrait atteindre un niveau exorbitant.

Cette éventualité évoquée par les oléifacteurs n’est pas encore partagée par les autres parties concernées par la question, en l’occurrence, l’administration (ministère de l’agriculture) et l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP).

Pour revenir aux oléifacteurs, en l’espace de quinze jours, deux responsables de leur chambre patronale ont annoncé des augmentations significatives du prix du litre de l’huile d’olive en vrac.

Pronostic des oléifacteurs

Intervenant, sur les ondes de la radio privée, Diwan FM, le vice-président de la chambre régionale des propriétaires de huileries de Sfax, Morsi Chaâbane, a annoncé qu’à la prochaine saison, le litre d’huile d’olive se vendra en vrac sur le marché tunisien à 25 dinars.

Le responsable patronal a justifié cette hypothèse par les prévisions pessimistes sur la prochaine récolte (2023-2024) lesquelles prévoient une production au-dessous de la moyenne, soit 180 mille tonnes. Ces prévisions alarmistes ont, d’ores et déjà, provoqué une hausse de la demande tant du côté des consommateurs locaux que sur le marché international de l’huile d’olive.

Le litre d’huile d’olive est actuellement vendu sur le marché local -quand il est disponible bien évidemment- entre 20 et 25 dinars.

Le relayant, en septembre 2023, sur les ondes de la radio privée Express FM, le président de la chambre patronale des oléifacteurs,  Mourad Ben Achour, a enfoncé le clou en déclarant que le litre d’huile d’olive en vrac vendu sur le marché local pourrait atteindre les trente dinars.

Pour argumenter cette tendance à la hausse des prix, les deux responsables ont tenu à minimiser le taux de consommation de l’huile d’olive sur le marché local. Il serait d’après Ben Achour de l’ordre de 10%, et ce, sans citer une référence crédible.  Il prend ainsi le relais à l’ancien ministre de l’Agriculture Samir Bettaïeb quand il avait déclaré, gauchement, en 2017 « De toute façon l’huile d’olive n’est pas gravée dans les traditions culinaires du pays ». Une déclaration maladroite et gratuite qui avait suscité, à l’époque, une vive polémique au sein de l’opinion publique. Les Tunisiens étant par tradition de grands consommateurs d’huile d’olive.

  • “L’huile d’olive tunisienne pourrait profiter de la baisse de production en Espagne et en Italie.”

La priorité serait à l’impulsion des exportations

Le responsable syndical patronal a cependant souligné l’enjeu d’orienter la production vers l’exportation citant, à ce sujet, des chiffres gonflés à dessein et difficiles à vérifier.

Ainsi, d’après lui les exportations de ce produit du terroir représenteraient 90% de la production et rapporteraient annuellement 3 Milliards de dinars en devises.

Il devait évoquer, ensuite, quatre principales raisons qui pousseraient les officiels à donner la priorité à l’exportation plutôt qu’à la consommation locale.

La première serait le besoin urgent du pays en devises pour payer les importations incompressibles du pays (denrées alimentaires, énergie…).

La deuxième consiste en le fait que le prix de l’huile d’olive en Tunisie n’est pas administré et qu’il est toujours impacté directement par le cours mondial du produit. A titre indicatif, il a rappelé que, par l’effet de la surproduction enregistrée durant les années 2019 et 2020, le prix du litre d’huile d’olive variait entre 3 et 4 dinars.

La troisième a trait à la bonne qualité de l’huile d’olive tunisienne réputée pour être à hauteur de 70% biologique, ce qui lui donne un avantage majeur pour s’imposer à l’export.

  • “La conjoncture est favorable aux exportations d’huile d’olive tunisienne.”

La dernière raison porte sur l’intérêt qu’il y a pour le gouvernement à fructifier la décision qu’il avait prise en mai 2023 et à lui réunir toutes les conditions de succès. Cette décision, rappelons-le, autorise les exportateurs privés à exporter l’huile d’olive tunisienne en vrac dans le cadre du quota annuel accordé par l’Union européenne à la Tunisie.

Par-delà ce plaidoyer pour les exportations, nous pensons que le principal objectif des oléifacteurs est de soutirer au gouvernement de substantielles aides financières devant les aider à exporter, cette année, le maximum de leur production avec le maximum de gains.

Le prix du litre d’huile en vrac à 30 dinars est irréaliste selon l’UTAP

Interpellé sur ces hypothèses avancées par les oléifacteurs, Mohamed Nasraoui, secrétaire général de la fédération tunisienne des producteurs d’olive relevant de l’UTAP, a admis qu’au regard de la sécheresse extrême qu’a connue le pays, en 2023, il n’est pas exclu que le prix de l’huile d’olive en vrac connaisse une légère augmentation par rapport à la saison écoulée mais sans atteindre comme le proposent les oléifacteurs le niveau exorbitant de 30 dinars le litre. « C’est un prix qui n’est pas réaliste », selon lui.

Au rayon de l’administration, à signaler la séance de travail de coordination, tenue le 30 août 2023. Cette réunion, qui a groupé le ministre de l’Agriculture, des Ressources en eau et de la Pêche, Abdel Moneim Belati et le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi, a été consacrée au financement de la campagne oléicole 2023/2024.

  • “Les exportations d’huile d’olive tunisienne pourraient générer des recettes en devises importantes.”

La séance a examiné les mécanismes et les capacités disponibles pour soutenir la prochaine campagne oléicole et pour lui fournir les fonds nécessaires. Cependant, elle n’a pas pris une décision définitive à ce sujet. Elle a chargé une équipe de travail spécialisée, comprenant les représentants des parties concernées pour identifier les besoins techniques et financiers requis pour le succès de cette campagne.

Conséquence : rien d’officiel n’est encore décidé quant au prix du litre d’huile d’olive en vrac. Il faut attendre les propositions de ce groupe de travail. « Wait and see » comme on dit.

La conjoncture internationale est favorable aux exportations tunisiennes

Sur le plan international, la conjoncture est plutôt favorable aux exportations d’huile d’olive tunisienne. La forte baisse de production prévue chez les deux principaux concurrents européens de la Tunisie, l’Espagne et l’Italie constitue une opportunité pour booster les exportations tunisiennes.

Cette baisse a été générée, cette année, par le réchauffement climatique et la sécheresse extrême qui a sévi, particulièrement, en Espagne.

D’après Olimerca, agence indépendante espagnole d’information oléicole, les expéditions d’huile d’olive à l’étranger devraient rester, durant la campagne 2023-2024, au niveau de 600.000 tonnes, soit 27% de moins que l’année dernière. Habituellement, l’Espagne assure 40% de l’offre mondiale.

Concernant l’Italie, il ressort d’une récente analyse faite par la Coldiretti, principal syndicat agricole italien, la production oléicole dans ce pays, notamment, dans la région des Pouilles qui abrite une des industries oléicoles les plus fructueuses d’Italie, est, toujours affectée, et ce, depuis 10 ans, par les ravages de la bactérie tueuse Xylella fastidiosa.

Il ressort de cette analyse que la bactérie tueuse a ravagé plus de 21 millions d’arbres.

Cela pour dire in fine que toutes les conditions sont réunies pour accroître les exportations d’huile d’olive tunisienne dont les recettes en devises jouent de plus en plus un rôle important dans la réduction du déficit commercial et le remboursement de la dette extérieure du pays.

A bon entendeur.