Voilà un levier financier au secours des entreprises en difficultés. Outre leur redressement financier, il cible, le cœur de performance à savoir leur mode de gouvernance.

Les choses en sont là. Le taux de créances classées auprès des banques tunisiennes atteint 13,1%, contre une moyenne mondiale inférieure à 5%. Cela doit nous alerter. Quand les affaires tournent mal, il convient de sauver les meubles. Le retournement est là pour une prise en mains, indiquée. Et on assure de toutes parts que le mécanisme est opérationnel sur la place de Tunis. Quelle est sa portée, quel est son impact ?

Un sujet d’intérêt national

Quand des entreprises sous performent, c’est la croissance qui trinque. De ce fait l’offre de retournement des entreprises en difficultés, devient une affaire d’intérêt national. C’est ce qui explique l’initiative conjointe de la chambre Tuniso française de commerce et d’industrie (CTFCI) de la caisse de Dépôts et de consignation (CDC) ainsi que du conseil bancaire et financier (CBF), réunis pour organiser, ce mercredi 14 juin, un séminaire sur ce thème, de grande actualité.

Le retournement est en effet un recours pour remettre en piste les entreprises en difficultés ainsi que pour épargner les banques. Le courant de pensée du retournement bénéficie d’un écho répandu dans le monde contrairement à la pensée de Joseph Schumpeter, l’économiste austro-américain, lequel plaidait pour la destruction créatrice.

Il faut se rendre à l’évidence, le coût d’un retournement est inférieur au coût du naufrage d’une entreprise, conviendront Amel Ben Daly, membre de la CTFCI et Laurent le Portz, Directeur chez UI investissement, lequel intervenait de Paris, via Skype. Outre que le retournement s’accompagne d’une vision de transformation de l’entreprise ce qui lui procure un regain de mordant et par conséquent, un deuxième départ dans la vie.

Le retournement financier est un recours pour remettre en piste les entreprises en difficulté

Au commencement, le diagnostic

La descente aux enfers pour une entreprise ne se fait pas d’un coup. C’est, en général, un processus séquentiel. L’idéal serait de le détecter, tôt. L’ennui est que le management en place, cherchera à le dissimuler.  Ensuite quand le processus s’emballe, il fera dans le déni. Évidemment le signe extérieur in fine, sera l’incapacité de remboursement de la dette.

Cependant préviennent Amel Ben Dali et Laurent le Portz, l’origine du mal peut provenir de n’importe quel niveau de la chaîne de valeur de l’entreprise.  Et, cela rend indispensable le remplacement du management en place par des gens du métier, ce qui n’est pas facile en soi car il faut trouver les compétences qui ont les qualifications adéquates.

En plus de la réalisation d’un réajustement financier par un apport en fonds propres. Et bien entendu, cela se prolonge par un plan de redressement lequel se traduit dans la majorité des cas, par un schéma de transformation de la gouvernance de l’entreprise.

L’opération se concrétise par un pacte d’actionnaire étant donné que le retournement implique une intervention dans la gestion active de l’affaire. Le tout fait l’objet d’un pacte d’actionnaire lequel entr’autres éléments précise les conditions de sortie du fonds de retournement, c’est à dire la réappropriation de l’entreprise par ses possédants d’origine.

Le diagnostic précoce et la transformation de la gouvernance sont essentiels pour le retournement des entreprises

La CDC est là pour faire l’appoint

Les entreprises en difficultés prolifèrent et l’ampleur du phénomène est telle que le système bancaire, se trouve démuni de leviers de sauvetage. Il a bien fallu transposer sur la place de Tunis les structures dédiées. Afin d’accélérer l’opération la CDC est montée au filet. Elle a ainsi initié le plan ‘’ASPIRE’’ lequel répond aux appels des sociétés de gestion, leur apportant une assistance technique ainsi qu’une participation à leur capital à hauteur de 40 %. Avec, bien entendu la possibilité d’un effet de levier, c’est-à-dire une possibilité d’émettre des emprunts. Quand bien même la CDC n’est pas majoritaire dans les sociétés de gestion elle n’en a pas moins voix au chapitre, c’est-à-dire un droit de regard sur l’intervention de la société de gestion.

La CDC offre un appui financier crucial pour le sauvetage des entreprises en difficulté

Le retour d’expérience

Jihène Ben Fadhel, DG du Fonds ‘’INKADH’’, relevant du groupe MAC Private Management ainsi que Abdallah M’Hiri, DG du fonds ‘’MOURAFEK’’, reconnaissent que le métier de retournement est bien lancé sur la place. Tous deux reconnaissent que le marché est porteur tant les entreprises ont été éprouvées, par les vents contraires de la crise sanitaire, puis de la guerre en Ukraine enfin de toutes les convulsions de l’économie mondiale qui n’ont pas manqué ces dernières années.

Jihène ben fadhel, ajoutera que le contexte tunisien est encore plus exposé étant donné que les PME locales sont sous capitalisées et surendettées.  Ce qui les rend plus vulnérables. De plus étant majoritairement familiales, cela complique l’idée de passer la main à un tiers extérieur. Les deux opérateurs conviendront que plus on sauvera d’entreprises et plus l’économie gagnera en stabilité et en vigueur. En effet, cela rassure les investisseurs d’où qu’ils viennent.

Le retournement pourrait être une alternative pour redresser les entreprises publiques sans restructuration ni privatisation

Quid des entreprises du secteur public ?

Quand on se penche sur le cœur du métier du retournement on trouve qu’il focalise essentiellement sur la gouvernance des entreprises. A l’évidence la gouvernance est le cœur battant d’une entreprise car au bout du compte c’est ce qui règle le système d’exploitation de cette entité.  L’on ne peut s’empêcher de penser que cela pourrait bénéficier aux entreprises du secteur public. Le retournement semble répondre à la troisième voie que recherche l’État tunisien quand il souhaite remettre d’aplomb ces entités sans avoir ni à ne les restructurer ni à les privatiser. La question mérite débat.