Lorsque le gouvernement de Najla Bouden a adopté en conseil des ministres, le 9 février 2023, le décret-loi amendant la loi 89-9 du 1er février 1989 sur les entreprises publiques, les observateurs (analystes, médias…) qui suivent la crise multiforme dans laquelle se débat depuis des années la Tunisie, avaient poussé un ouf de soulagement. Question de bon sens, ils ont cru que l’accord technique, conclu le 15 octobre 2022 avec le Fonds monétaire international (FMI) pour l’obtention d’un crédit de 1,9 milliard de dollars, allait enfin être finalisé.

Et pour cause : la révision de cette loi et son corollaire attendu, la possibilité de privatiser légalement des entreprises publiques, était une des conditions préalables pour avancer vers l’adoption d’une facilité élargie de crédit du FMI.

D’ailleurs, c’est principalement à cause du fait que cette condition n’était pas satisfaite que le Conseil d’administration du FMI avait déprogrammé, le 22 décembre 2022, la finalisation dudit accord.

C’est pourquoi l’adoption de cette loi en conseil des ministres n’était pas suffisante. Il fallait, pour être acceptée par le FMI, qu’elle soit signée par le président de la République, Kaïs Saïed, et qu’elle soit publiée dans le Journal officiel de la République tunisienne (JORT).

Or, depuis l’adoption de l’amendement de cette loi en conseil des ministres, il y a environ plus de 50 jours (un mois et demi), la loi révisée n’est ni signée par le chef de l’Etat ni publiée dans le JORT.

Nous avons cherché à connaître les raisons de ce retard. Une source de la présidence du gouvernement nous a informé vaguement que « le décret est toujours en négociation (sans préciser avec qui), et que des retouches vont lui être apportées ». Seulement, le temps passe et la situation financière de la Tunisie, à défaut d’argent frais, continue à se détériorer.

Ce statuquo n’est pas du goût des puissances étrangères partenaires de la Tunisie concernées par sa stabilité, entre autres les Etats-Unis et l’Union européenne.

Préoccupées déjà par l’évolution des choses, depuis le coup de force constitutionnel, opéré le 25 juillet 2021, par Kaïs Saïed, ces puissances, sentant apparemment que la petite Tunisie autrefois malléable à merci, commence à leur échapper et que son président mijoterait, en catimini, un plan B pour obtenir, en dehors du FMI, des fonds extérieurs, commencent à s’impatienter et à le manifester de manière agressive et indécente.

Des propos irresponsables

C’est ce qui explique les dures injonctions et déclarations que leurs chefs de diplomatie ont tenu, en ce mois de mars 2023, à l’endroit du pouvoir en Tunisie. Ces derniers estiment, en chœur, qu’en traînant la patte avant de finaliser l’accord avec le FMI, l’économie tunisienne risque de s’effondrer.

Ainsi, le haut représentant des Affaires étrangères de l’UE, Joseph Borrell, a déclaré que « l’Union européenne ne peut pas aider un pays incapable de signer un accord avec le Fonds monétaire international ».

Pour sa part, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a déclaré, le 22 mars 2023 devant le Sénat, que « nous les encourageons (les Tunisiens) fortement à le faire [signer un accord avec le FMI] parce que le risque est que l’économie s’effondre ». C’est
la pression américaine qui était la plus forte.

Relayant son patron, la secrétaire d’État adjointe américaine, Barbara Leaf, venue en Tunisie le 23 mars 2023, dans le cadre d’une tournée africaine, a tenu des propos qui rappellent ceux tenus, il y a plus de 67 ans, par le Régent de France, au temps de la colonisation.

La diplomate américaine s’est permise de parler au nom des Tunisiens faisant remarquer dans une déclaration à l’Agence Reuters que « de nombreux Tunisiens étaient mécontents des années qui ont suivi la révolution de 2011 qui a apporté la démocratie », mais elle a ajouté que « pour corriger ces déficiences, il ne faut pas dépouiller les institutions de leur pouvoir ».

Se tromper de coupable

Bien évidemment, Leaf a occulté de dire un seul mot sur la responsabilité des Etats-Unis dans le déclenchement de cette soi-disant révolution et de celle de leurs amis les intégristes djihadistes islamistes qui ont déstructuré le pays et l’ont mené à la faillite.

Concernant l’accord avec le FMI, Leaf a fait assumer la responsabilité du retard qu’accuse le dossier au président Kaïs Saïed : « Le sort du prêt du FMI est entre les mains du président Saïed », faisant allusion au fait que le chef de l’Etat tunisien n’a pas signé l’accord et avalisé les réformes qui y sont contenues.

« Tant que le gouvernement (tunisien) n’aura pas décidé de signer son propre programme de réformes, nous aurons les mains liées », a-t-elle dit avant d’ajouter : « La décision de la Tunisie de mettre en œuvre les réformes qu’elle a suggérées au FMI est une décision souveraine … et si elle décide de ne pas le faire, nous sommes impatients de savoir quel est le plan B ou le plan C ».

Pour qui roule le FMI?

Et c’est là, nous semble t-il du moins, toute la problématique. Le FMI qui, sous les ordres des Etats-Unis, a fait languir le gouvernement tunisien, plus de 5 mois, avant d’avaliser le prêt de 1,9 milliard de dollars, serait aujourd’hui disposé à faire preuve de souplesse et à lui accorder les facilités de paiement souhaitées.

Les institutions financières (FMI, Banque mondiale) qui tiennent leurs assises annuelles du printemps (10-16 avril 2023) sont pressées de connaître la réponse finale qu’il souhaite avoir de la Tunisie.

Selon leurs ténors politiques américains et européens, le seul obstacle serait le président de la République, Kaïs Saïed. Ce dernier a déclaré, effectivement, à maintes reprises, qu’il a de sérieuses réserves quant à certaines conditionnalités exigées par le Fonds dans le cadre de cet accord. Il s’agit, particulièrement, de la suppression de la compensation dont bénéficient 70% de la population tunisienne d’après le ministre tunisien de l’Économie et de la Planification, Samir Saïed.

Il y a également le dossier de privatisation des entreprises publiques lesquelles, au regard de l’ampleur de leurs déficits et pertes qu’elles traînent, ne seraient pas vendables.

Globalement, Kaïs Saied craint les remous sociaux que cet accord risque de générer en Tunisie. Lui, qui fonde sa survie sur la popularité des gens, ne veut pas courir ce risque. Mieux, il aurait déjà élaboré d’autres alternatives, des plans B et C, comme le laissait entendre Barbara Leaf.

La question qui se pose dès lors est de savoir sur la qualité et la portée géostratégique des alternatives du président tunisien. Ce sera l’objet de notre prochain article.