“Pour la Tunisie, le recours au BRICS comme alternative au Fonds monétaire international (FMI) représente une voie limitée dans la carte de financement international”, estime Ridha Chkondali, professeur d’économie à l’université tunisienne.

Dans une interview accordée à l’agence TAP, il souligne que “le groupe BRICS (Chine, Inde, Russie, Afrique Sud et Brésil), qui n’est pas nouveau dans le monde des alliances internationales et qui constitue, en 2023, une force économique plus puissante que le G7, a un défaut lié essentiellement à la répartition géographique très large de ses pays membres, ce qui rend l’adhésion à ce bloc tributaire de plusieurs avantages et spécificités”.

La Tunisie est depuis plusieurs mois dans l’attente de la réponse du FMI pour l’octroi d’un prêt de 1,9 milliard de dinars. Cette attente a suscité le mécontentement d’un nombre de Tunisiens qui voient désormais en le bloc BRICS un nouvel espoir et une alternative face à l’atermoiement de la FMI dans l’examen du dossier de la Tunisie.

Chkondali met l’accent sur le virage vers le BRICS, en particulier à la lumière des appels à une adhésion rapide à ce groupe et de son impact sur la carte des financements traditionnels en Europe, dans les pays et auprès des bailleurs de fonds, outre le potentiel d’investissement de ce groupe.

Quelle est votre lecture des chiffres du commerce extérieur de la Tunisie en relation avec les BRICS ?

Ridha Chkondali : Les exportations tunisiennes vers le groupe BRICS – qui représente 42% de la population mondiale et accapare 25% du PIB mondial- ont atteint un montant très modeste de 371 millions de dinars sur un total de 15,615 milliards de dinars, soit environ 2,4% seulement, dont la plupart concernent l’Inde, qui représente environ 80% de ce montant.

Parallèlement, les importations tunisiennes de ce groupe représentent environ 3,809 milliards de dinars sur un total de 19,461 milliards de dinars, soit environ 19,6% dont la majorité provient de la Chine, le principal membre des BRICS.

L’analyse de ces chiffres révèle la grande dépendance économique de la Tunisie vis-à-vis de ce groupe. En effet, le déficit commercial de la Tunisie vis-à-vis des BRICS représente environ 89,4% du déficit commercial total du pays, soit 3,438 milliards de dinars, sur un total de 3,846 milliards de dinars enregistrés au cours du premier trimestre 2023.

Devant cette dépendance, comment la Tunisie peut-elle se rapprocher de groupe?

L’adhésion à ce groupe économique, qui regroupe les pays ayant réalisé une croissance rapide au cours des dernières années, n’est pas du tout facile. Ce groupe, créé en 2006, concurrence le Groupe des Sept (G7) pour créer un équilibre mondial et réduire la dominance des grandes puissances et la dépendance vis-à-vis du dollar à travers le développement des échanges commerciaux entre ses pays membres.

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Cependant, Tout pays souhaitant adhérer à ce groupe doit avoir un taux de croissance élevé pour booster la force économique de ce groupe. Ceci signifie que les pays économiquement faibles, telle que la Tunisie, ne peuvent pas rejoindre le groupe. Dans le meilleurs des cas, le pays peut obtenir le “statut d’observateur”, alors que l’Algérie a plus de chances, compte tenu de ses atouts, à savoir le pétrole et le gaz fortement demandés par la Chine, notamment dans cette conjoncture de conflit russo-ukrainien.

Tout pays souhaitant adhérer à ce groupe doit avoir un taux de croissance élevé pour booster la force économique dudit groupe

La situation en Tunisie est très différente, d’autant plus que le pays traverse d’importantes difficultés économiques qui affaiblissent sa position en tant que futur membre actif au sein des BRICS.

En plus, ce groupe naissant ne peut pas vraiment répondre aux besoins de la Tunisie, notamment en termes d’endettement à moins qu’il dispose d’une vision par rapport à la position géostratégique de la Tunisie qui reste quand même une porte d’entrée pour l’investissement en Afrique, dans la carte des alliances mondiales émergentes.

Si la Tunisie fait le choix d’emprunter cette voie, de quoi aurait-elle vraiment besoin ?

La Tunisie aura besoin, dans ce cas, de conclure des partenariats globaux avec le groupe des BRICS pour sortir du cadre étroit qui la réduit à un simple pont de commercialisation des produits chinois présents en abondance sur les marchés parallèles.
Ces partenariats devront dépasser les échanges commerciaux pour cibler les investissements chinois, russes et indiens qui ne manqueront pas de booster les exportations Tunisiennes vers les pays membres de ce groupe.

La Tunisie aura besoin de conclure des partenariats globaux avec les BRICS pour ne plus être un simple pont de commercialisation des produits chinois sur les marchés parallèles

Il s’agit, également, de transformer ce déficit croissant en un excédent commercial qui réduit le besoin du pays de s’endetter de l’extérieur. Actuellement, les relations commerciales avec le groupe des BRICS ont aggravé le déficit commercial qui a forcé la Tunisie à s’endetter davantage de l’extérieur.

BRICSLes partenaires traditionnels en Europe et dans le monde, comment voient-ils cette intention de la Tunisie de s’approcher des BRICS ?

Selon les résultats du commerce extérieur pour le premier trimestre 2023 publiés récemment par l’INS (Institut nationale de la statistique, ndlr), la Tunisie doit renforcer ses relations commerciales avec les pays avec lesquels elle enregistre un excédent. Il s’agit ceux du marché européen qui fournit à la Tunisie des recettes en devises alimentant les caisses de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et lui permet d’épargner des ressources en devises destinées à importer des produits fabriqués en Chine, un pays avec lequel la Tunisie enregistre le plus gros déficit commercial, un membre éminent des BRICS.

Pour cette raison, je pense que le renforcement des relations commerciales existantes qui privilégient la Tunisie au niveau de la balance commerciale, évitera au pays de s’endetter davantage de l’extérieur, ce qui est largement mieux que de miser sur des pays avec lesquels la Tunisie enregistre des déficits financiers continus.

D’ailleurs, c’est cette situation qui a poussé le pays vers un cercle vicieux d’endettement et de dépendance, surtout si on considère que nous empruntons du Fonds monétaire international (FMI), de l’Union européenne et de la Banque mondiale (BM) pour assurer la couverture du déficit enregistré avec la Chine et la Russie.

Pire encore, les pays membres des BRICS ne disposent que de 15 % des droits de vote à la Banque mondiale et au FMI.

Même en cas d’élargissement de ce bloc économique et de renforcement de son influence sur la scène internationale, au cours des prochaines années, au niveau des instances de gouvernance mondiale, l’adhésion de la Tunisie ne pourra, en aucun cas, constituer une alternative au FMI ou à la BM, tout au plus, elle pourrait consolider les chances du pays d’obtenir l’accord des organismes internationaux en cas de demande d’assistance.

Le bras d’investissement du groupe BRICS peut-il aider économiquement la Tunisie ?

La Tunisie a adhéré en 2022 à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), un des principaux bras d’investissement du groupe BRICS.

Pour les observateurs, ce qui a attiré l’attention ces derniers jours, c’est la rencontre tenue entre le ministre de l’Economie et de la Planification, Samir Saïed, et le président de la BAII, Jin Liqun, en marge des réunions de printemps du FMI.

Les deux parties ont discuté de l’avenir de la coopération dans plusieurs secteurs, dont les énergies renouvelables, le dessalement des eaux de mer et autres.

le financement accordé par ces parties n’est pas en dollar et euro mais en monnaie chinoise (yuan) ou russe (le rouble) qui ne peuvent pas être utilisées pour le remboursement du service de la dette

Ce qui me pousse à dire que cette banque offre des services de développement et appui la réalisation des projets, mais n’accorde pas de financements directs à l’instar du FMI et de la BM.

En plus, les projets de coopération prennent plusieurs formes, dont le partenariat entre les secteurs public et privé, ce qui est important dans la politique de développement, mais n’apporte pas de solutions en termes de financements directs du budget.

De même, le financement accordé par ces parties peut être accordé n’ont pas en devises (dollar et euro) mais en monnaie chinoise (yuan) ou russe (le rouble) qui ne peuvent pas être utilisées pour le remboursement du service de la dette (effectuée en dollar ou en euro).

Toutefois, la Tunisie pourrait tirer plusieurs avantages suite à son adhésion à la BAII, comme l’obtention de financements pour des projets comme le port d’Enfidha, dans le cadre notamment de la Route de la soie qui s’appuie sur une infrastructure multimodale, soit pour le transport terrestre ou maritime ou aérien.

En attendant un pas vers les BRICS, l’Académie diplomatique internationale financée par la Chine en Tunisie est-elle en mesure d’appuyer cette orientation ?

La Chine a œuvré, au cours de ces dernières années, à renforcer sa présence dans plusieurs pays, et l’Académie diplomatique internationale, financée par le gouvernement chinois à hauteur de près de 88,5 millions de dinars, peut renforcer davantage les relations tunisiennes avec la Russie et la Chine, ainsi qu’avec d’autres pays proches de ces alliances.

Cependant, la Tunisie ne peut pas renoncer à des avantages prévus par les accords économiques et sa présence au niveau de nombreuses structures et de groupements internationaux et régionaux, dans l’attente d’éventuelles adhésion à d’autres groupes.

Pour conclure, je dirais que la Tunisie a besoin d’activer la diplomatie internationale à plusieurs niveaux, que ce soit au niveau des relations extérieures ou en termes d’identification d’une diplomatie économique efficace capable de promouvoir l’exportation et d’attirer l’investissement extérieur.