Formaliser une politique de développement régional ramène toujours à se soucier du rôle de l’Etat. C’est par conséquent un acte éminemment politique !

Dans un propos récent lors du Forum de l’Académie politique de la Fondation Konrad Adenauer, Abbes Mohsen, constatait, avec un certain dépit, que le déséquilibre entre le littoral et les régions de l’intérieur n’a pu jusque-là, malgré une succession de politiques volontaristes, être résorbé. Est-ce à dire que les pouvoirs publics avantageraient la zone littorale ? Qu’en est-il dans la réalité ?

A l’origine, le développement étatiste

La Tunisie indépendante s’est saisie, en priorité, de la problématique du développement régional. Et une première option volontariste a été initiée lors de la décennie 60, disait Abbes Mohsen, en introduction.

Rappelons pour notre part qu’à l’époque, la pensée économique dominante prônait la politique des industries industrialisantes, dites industries lourdes telles la sidérurgie. Ce courant de pensée était véhiculé par l’économiste hongrois Béla Balassa, lequel officiait à la Banque mondiale (BM).

Il a été repris en France par François Perroux et relayé également par Gérard Destanne De Bernis. Cet économiste engagé et influent bénéficiait d’un écho favorable en Tunisie. Et dans ce sillage, de grands projets de développement ont été mis sur pied.

El Fouladh à Menzel Bourguiba, qui traitait le minerai de fer acheminé de Jérissa. La SNCPA, à Kasserine en cohérence avec la culture de la région pour produire de la cellulose destinée à la production du papier Alfa. Le pôle chimie fut réparti entre Sfax et Gabès qui traitait le phosphate de Gafsa. Le textile au Sahel et naturellement le tourisme fut encouragé sur les stations balnéaires.

Durant cette période, par inadvertance ou arbitrage conscient, le littoral se trouvait avantagé, en matière d’infrastructure. Le bilan de ce premier effort de planification confirmait la disparité entre les régions, déclenchant un fort flux d’exode rural. Celui-ci dépeuplait les régions de l’intérieur et à la fois paupérisait le milieu urbain, impuissant à maîtriser sa croissance physique et démographique.

Le 2ème round de l’économie mixte

A l’aube de la décennie 70, disait Abbes Mohsen, les pouvoirs publics ont fini par reconnaître que le levier de l’investissement public, seul, n’est pas totalement opérant. Une option en faveur de l’économie mixte ouvrant la voie à l’initiative privée a été prise.

Le tandem investissement public-investissement privé a bénéficié du protectionnisme et de la règle de compensation sensée booster les exportations.

Nous ajoutons pour notre part qu’une politique d’incitation fiscale devait doper le déploiement territorial des industries manufacturières, résorber le chômage et accélérer la convergence des régions. En bout de course, cela n’a pas rectifié la trajectoire et le déséquilibre régional s’est creusé.

Quel rôle pour l’Etat ?

Avec la mondialisation, les choses ne se sont pas arrangées non plus. Et Abbes Mohsen, avec une pointe de contrariété, de rappeler que ce bilan est d’autant plus rageant que l’Etat persiste à vouloir équilibrer l’infrastructure entre les régions. La volonté y était mais la recette faisait défaut. Dans ce contexte, une échappée vers la décentralisation a été amorcée. L’Etat ne lâche pas prise, cependant le stress des comptes publics limitent sa marge de manœuvre. Mais là encore cette riposte reste inopérante pour rattraper le retard des régions de l’intérieur.

Ces résultats sont sans surprise, lui a rappelé l’assistance en l’absence d’un plan préalable d’aménagement du territoire, en accompagnement à la politique de l’Etat.

L’exception à la règle

Abbes Mohsen semblait comme pencher en ce sens. Il a bien reconnu que le déséquilibre entre le littoral et les régions de l’intérieur privées de façade maritime n’est pas une loi du genre. Il a cité à titre d’exemple les cas de la Bavière, en Allemagne, ainsi que de la Lombardie, en Italie.

Faut-il rappeler que l’Allemagne est un Etat fédéral et que l’unification de l’Italie est encore toute fraîche. Dans les deux pays, les régions ont suffisamment de pouvoir et d’autonomie pour peser sur leur développement et être l’artisan de leur prospérité.

Rappelons aussi que les responsables régionaux sont redevables vis-à-vis de leur électorat régional. Dans cette même perspective, l’on voit qu’en France le langage politique s’est émancipé et on parle des “territoires de l’intérieur”. Davantage que la décentralisation, la régionalisation pourrait être la clé d’un développement national équilibré.