Le pays se trouve devant la nécessité de corriger les disparités régionales. Les finances publiques étant sous stress, peut –on recourir à un plan Marshall ?

Invité au récent forum de l’académie politique de la Fondation Konrad Adenauer, Afif Chelbi, ancien ministre de l’économie et ancien président du Conseil d’Analyses Economiques (CAE) considère que  le creusement du déséquilibre régional proviendrait des lacunes de gouvernance des politiques publiques.

Certes l’Etat s’est beaucoup dépensé. Mais sur terrain le ruissellement n’a pas fonctionné laissant l’écart se poursuivre. L’équation devient encore plus compliquée, aujourd’hui  pour cause de pénurie d’investissement public. Cependant, aux grands maux les grands moyens. Et pourquoi s’empêcher de voir grand ? Alors, va pour un plan Marshall.

Les lacunes de gouvernance

Certes, l’investissement public joue un grand rôle dans la stimulation du développement régional. Le pays a fait preuve de volontarisme. L’investissement public était là. Mais peut être pas aux bons endroits ni aux bons moments. Malgré tout,  indéniablement l’infrastructure a progressé. Toutefois, la convergence entre régions, a fait défaut.

Il y avait comme une maldonne. Le  pays se retrouve avec des disparités criardes entre le littoral et les régions de l’intérieur. Et elles appellent rectification. Et c’est inévitable. En dehors de la dernière décennie, l’investissement public bon an mal an, était au rendez-vous.

Le rythme et l’allocation ont peut être manqué de coordination.  Pour rechercher les raisons à cette contreperformance Afif Chelbi recommande d’étudier les expériences de pays compétiteurs. Et cet exercice d’économie comparée fait apparaître dit Afif Chelbi,  un déficit de gouvernance dans la conduite du développement régional, en Tunisie.

L’idéal serait selon l’ancien ministre, de penser à trois têtes, le public, le privé et l’international à savoir les IDE. Le profil adéquat serait un Etat Développementiste, stratége dument accompagné par le secteur privé et les IDE.

Cette configuration avait été lancée avant le 14 janvier avec un plan comportant 10 grands projets structurants dans 8 gouvernorats de l’intérieur avec un réseau autoroutier médian transitant par Kairouan. A titre d’exemple, l’usine  Yasaki à Gafsa et Kromberg et Schubert à Beja faisaient partie de ce plan.

Au final on pensait, rééquilibrer les régions. L’ennui est que le  14 janvier est venu tout chambouler. Dix ans plus tard, l’Etat se trouve en crise avec des fondamentaux ravagés. Le titre II est à son étiage. Que faire?

Repenser un plan de développement

Inlassablement,  Afif Chelbi remet l’ouvrage sur le métier dressant un plan en 8 points. C’est un hybride car il combine une sortie de crise avec un programme de déploiement économique. Il le chiffre à 30 milliards de TND qu’il affecte en trois tiers, entre le public, le privé et le multilatéral.

Pas de panique laisse entendre Afif Chelbi, Il ne faut pas se laisser effrayer par le chiffre déjà qu’il existe 5 milliards de TND qui sont disponibles et en attente d’affectation. Ce plan possède une consistance  car il transcende la simple vision de croissance laquelle ne concerne que le niveau de vie et cible le développement, c’est-à-dire le cadre de vie.

Ce plan a pour points d’ancrage la promotion de dix pôles urbains d’attractivité à implanter sur les profondeurs du territoire de sorte à désenclaver les régions les plus reculées. Ce maillage étendu pourrait innerver la pays ce qui serait propice à une vigueur économique.

De la sorte on pourrait espérer reconfigurer de manière efficiente et équitable la physionomie du pays. Cette activation économique est assortie de prérequis notamment la mise sur pied de la banque des régions et d’une recommandation quant au titre II. L’Etat réserverait ses allocations budgétaires aux services sociaux et aux investissements d’appui aux entreprises.

Une option de raison

Afif Chelbi penche pour un Etat libéral dans le sens vertueux du terme. A l’Etat,  l’obligation d’optimisation du cadre de vie. A l’initiative privée, d’investir dans le champ concurrentiel. C’est dans l’air du temps. Cela aussi pourrait impliquer la privatisation raisonnée du secteur public à l’exclusion des activités stratégiques qui touchent à la souveraineté nationale.

A l’évidence les programmes d’investissement s’inscrivent dans la perspective de la transition environnementale et énergétique et il va sans dire, numérique. Cela mérite totuefois, d’être souligné davantage. De même on pense que les dix pôles d’attractivité sont d’abord et avant tout des smart cities.

Et les clusters à promouvoir se rapprocheraient vraisemblablement des technoparks, ce qui s’inscrit raisonnablement dans l’air du temps, cela tombe sous le coup du sens. Sûrement que le plan envisage de loger un compartiment d’économie sociale et solidaire, cela semble aller de soi. Et les pactes de compétitivité ? Selon nous, ils figureraient dans la composante sortie de crise du programme global.

Un plan Marshall reste toujours une idée neuve. Existe-t-il un plan alternatif ? La régionalisation du pays avec l’institution de territoires autonomes dont il reste à optimiser le découpage laisse entrevoir une autre possibilité.

Dans l’hypothèse où les territoires se lieraient par des jumelages de partenariat avec des régions d’Europe, ils se donneraient la possibilité de piocher dans les fonds structurels proposait Pr Abderrazak Zouari dans son livre blanc. Ces fonds destinés au développement régional sont octroyés sous forme de dotation. Ces ressources sont par conséquent non remboursables à la différence d’un plan Marshall constitué par la dette, laquelle est exigible. Les fonds structurels devraient en bonne logique nous être accessibles car la politique de voisinage avec l’UE prévoyait ‘’ tout sauf les institutions’’.

L’affaire mérite débat.